Chapitre 1
Quelque part dans un lycée, une classe de terminale fini de prendre son repas à la cafétéria.
Un groupe de jeunes filles discutent :
-Alors Eva tu vas pouvoir y aller à ce séjour en bord de mer ?
-Je ne sais pas encore si j’ai vraiment envie d’y aller.
-Allez Eva s’il te plaît fais-le pour moi ! Fais-le pour ta Candice chérie !
La fameuse Candice fait des yeux de petits chats à Eva, qui est sa meilleure amie, en joignant ses mains comme si elle priait. Alors évidement Eva se met à rire.
-Candice je t’en prie arrête c’est tordant mais tu me mets mal à l’aise.
-Bon ok je te laisse pour cette fois. Mais le voyage est pour dans quatre mois.
-Monsieur Setton et Madame Willy nous on dit qu’on avant jusqu’aux vacances de février pour donner les autorisations ainsi que les paiements donc je vais attendre de prendre ma décision. D’accord ?
En réalité, Eva a vraiment envie d’aller à ce séjour. Mais elle ne veut pas demander de l’argent à son père. Non pas qu’ils en manquent, loin de là, mais elle a 18 ans et aimerait commencer à gagner sa propre croûte.
Après tout, ses parents l’ont eu au même âge et sa mère, ne se sentant pas prête, à laissé la garde exclusive d’Eva à son père : Ethan.
Il est un père merveilleux pour sa fille.
Malgré son jeune âge de l’époque, et avec l’aide extraordinaire de ses parents, il a pu élever sa fille, poursuivre ses études d’architecte et travailler comme livreur de publicités les week-end en parallèle.
Eva admire son père avec force et amour. Ce qu’elle regrette, c’est qu’il n’est jamais refait sa vie. Il s’est consacré à sa fille et à son travail. Il a un très peu de vie sociale. Ethan est pourtant un très bel homme qui fait tourner les têtes, hommes ou femmes confondus, lorsqu’il passe quelque part. Après tout il n’a que trente-six ans.
Donc Eva essaie de remplir sa tirelire lorsqu’elle le peut.
Dernièrement, elle a travaillé deux semaines pour les fêtes de Noël déguisée en lutin dans un grand magasin, à se faire rire au nez par des enfants ingrats et a distribuer des bonbons ainsi que des papillotes au chocolat.
Pour être tout à fait clair, elle veut payer son voyage elle-même et rendre son père fier d’elle, même s’il l’est déjà.
-D’accord Mademoiselle Eva Calendal. Je vais être patiente, mais dans un mois et demi tu as intérêt à ne pas me faire faux-bond.
-Très bien Candice promis. Tiens ça fait un moment que je n’ai pas vu Théo, tu sais où il est ?
-On l’a vue entrer dans les toilettes il y a une demie-heure et apparemment il n’en est toujours pas sorti. Il a bouffer quoi celui-là ? Un cassoulet ? Je me demande toujours comment une fille comme toi belle et intelligente fait avec un idiot pareil.
-Des fois Candice je me le demande. Je commence a avoir de sérieux doutes sur ses motivations. Il adore faire ses devoirs avec moi, enfin surtout copier. Et faire balader ses mains partout sur moi. Au début, c’était sympa, agréable même, mais au fil du temps que j’apprends à le connaitre, je me sens de plus en plus mal à l’aise avec lui. Je crois que je vais mettre un terme à cette histoire. Jamais il ne se lave les mains tu te rends compte ? Et l’autre jour il a enlever ses chaussures dans ma chambre, j’ai due ouvrir les fenêtres, donc une conversation sérieuse avec lui s’impose.
-Oui je le crois aussi. Tu fais quoi ce soir ?
-Mon père a prévu un repas avec un pote à lui et il aimerait que je sois présente.
-Ah et bien tant pis alors ! J’allais te proposer d’aller boire un verre, comme nous sommes vendredi, et finir la soirée en boîte.
-Désolée Candice, ce sera pour une prochaine. Aller les cours vont pas tarder a reprendre.
Et les filles se dirigent vers leurs salles respectives.
Eva se dirige vers sa salle pour son cours d’italien lorsqu’elle aperçoit ce qui lui semble être la silhouette de Théo. Poussée par sa curiosité, elle va vers cette direction et au détour d’un couloir voit la porte de la salle d’exposition en arts plastiques se fermer. Cette pièce n’est ouverte que lors d’une représentation la plupart du temps elle est vide.
Pensant que ce soit celui qu’elle recherche, elle continue et malgré son coeur battant lourdement dans sa poitrine comme s’il était deux fois plus gros, elle prend une grande inspiration et ouvre assez énergiquement la porte. Ses yeux s’écarquillent de stupeur : Théo et Gwen (la garce de service) collés au corps à corps, leurs bouches agglutinées l’une dans l’autre et les mains de Théo remontant sur les fesses de Gwen.
Malgré cette « surprise », Eva ne se laisse pas abattre et garde la tête froide.
-Et bien voilà qui règle mon problème. Théo c’est fini entre nous, je pensais sincèrement que tu étais un abruti mais voilà qu’en plus tu es un connard de salaud. Merci de ton intervention Gwen, même si le mot « salope » me vient en tête en te voyant là.
Et elle ferme la porte, laissant les deux traitres à leurs actions.
Tout de même sous le choc de cette vue, Eva à la tête qui tourne à cause de l’émotion soudaine et ne se sent pas d’aller en cours et se dirige donc vers la sortie pour prendre l’air.
Elle sort et s’assois sur un banc devant le lycée. Elle prend son téléphone et regarde l’heure. Son cours d’italien étant le dernier de la journée, elle pense rentre chez elle. Mais de son établissement à chez elle il y a cinq kilomètres et les faire à pied ne l’enchante pas vraiment. Surtout qu’Eva porte des bottes à talons hauts, donc autant éviter la douleur et les ampoules inutiles.
Eva se souvient que Candice est à son cours d’espagnol et qu’elle termine aux mêmes horaires. Elle décide de jouer sur son téléphone le temps que son amie sorte et elle rentreront ensemble.
Elle repense à la vision de Théo et Gwen. Evidement que d’un côté elle est soulagée d’avoir mit un terme à sa relation assez compliquée, mais la trahison aussi soudaine est difficile à avaler. Et puis depuis quand est ce que cela dure ? Est- ce que c’est la seule fille avec laquelle il « s’occupe les mains »?
Finalement Eva ne regrette pas de n’avoir jamais partagé le lit avec Théo. Au moins vu son hygiène personnelle, à ce cher garçon, pas de risque d’attraper une saleté.
L’heure passe et les élèves sortent. Eva envoie un message à Candice qui la rejoint aussitôt à l’extérieur.
-Alors Eva on sèche les cours ?
-Oui et il faut que je te dise pleins de choses et je te préviens c’est pas rigolo. Si on allait faire les boutiques et je te raconte tout en chemin et ça me remontera le moral. Tu en penses quoi ?
-J’en pense …. Pourquoi nous n’y sommes pas déjà !
Les deux amies rient de bon coeur et profite du reste de leur après-midi pour s’offrir une petite virée boutiques, où chaussures, mini-sorts, collants et sous-vêtements remplissent les sacs et vident les portes feuilles.
Vers 18h25, les filles se séparent. Candice ayant appelé sa mère pour venir la chercher et ramener Eva à son domicile.
-Merci pour cette ballade, j’en avais vraiment besoin.
-De rien. Bon week-end et si jamais tu as du temps appelle moi on sortira.
-Super merci. A plus.
Pendant que Candice et sa maman s’éloignent, Eva passe son portail et remarque une magnifique moto, garée dans son allée. C’est une Triumph noire modèle Bonneville d’une brillance incroyable. Eva adore les motos c’est utile de le préciser.
-Waouh quelle beauté ! Ça doit être celle du pote à mon père.
Eva entre dans la maison où il règne une agréable odeur de cuisine indienne. Il n’y a pas à dire, Ethan Calendal est un très bon cuisinier. Il aime tant faire la cuisine que le congélateur est plein de plats déjà tout prêts préparés par lui-même.
Elle se dirige vers la cuisine pour aller saluer son père, pousse la porte et entre…en collision avec un torse aussi dur qu’une roche.
-Oula attention ma belle tu as faillie te faire mal !
-Pardon !
A la vue de cet homme, en un instant tout le corps d’Eva se fige. Son regard devient fixe et plus rien autour d’elle n’existe. Tout comme le feu dans une cheminée, on ne voit que le feu fascinant qui tourbillonne autour des bûches.
La bouche légèrement entrouverte, Eva est ramené à la réalité par cette simple phrase :
-Eva ? Ça va ma chérie ?
-Oui papa ça va je te remercie.
-Ma chérie ce serait bien que tu ferme la bouche, tu baves.
Un petit rictus moqueur se dessine sur sa bouche mais il ne rajoute rien de plus pour ne pas mettre sa fille encore plus mal à l’aise.
-Bonsoir Eva comment tu vas depuis le temps ?
L’ami d’Ethan pose cette question somme toute banale mais emprunte d’un puissant magnétisme. Un homme très beau, des cheveux noirs en bataille, des yeux couleur azur, une peau claire et rosée, un nez fin, une bouche très bien dessinée, que l’on mordrait volontiers, et un corps athlétique.
Inutile de dire qu’Eva est sous le charme, sans parler de sa voix légèrement grave et douce à la fois.
-Ah Eva je ne sais pas si tu te rappelle de mon ami Vincent Bourgier. La dernière fois que tu l’a vu tu avais douze ans et lui dix-huit.
-Oui ça y est je me souviens, c’est toi qui est venu avec moi à la fête foraine. C’est ça ?
-En effet et tu t’es blottis contre moi parce que les squelettes te faisaient peur.
Eva rougi à ces mots, mais cela ravive un très joli souvenir car elle a toujours gardé secrètement un petit béguin pour lui.
-Tu m’as acheté une pomme d’amour et toi tu as pris des churros.
-Exact ! Ça me fait plaisir de constater que tu t’en souviens.
Les regards de nos deux jeunes personnes se croisent et en une fraction de seconde : le temps s’arrête. Cela échappe aux yeux d’Ethan qui se souvient soudain qu’il faut passer à table.
Le repas se passe sans encombre jusqu’au dessert. Le poulet tandoori du père d’Eva, est une pure merveille gustative. Le dessert l’est tout autant : fondant aux chocolat et crème anglaise.
Au moment du café, Ethan fait une annonce qui surprend sa fille :
-Ma chérie, voilà j’ai organiser ce repas afin de te mettre au courant de mes projets sur les mois à venir.
-Oula papa tu m’inquiète. Tu prends un air formel et un peu trop sérieux à mon goût. Qu’est ce qu’il se passe ?
Ethan explique à sa fille qu’il part en mission en tant qu’architecte à l’étranger, une contrat très intéressant pour lequel il a soumit sa candidature depuis plus de dix mois. Il est très heureux car son projet a été choisi parmi douze autres architectes. Son absence est comprise entre quatre et cinq mois voir plus si nécessaire, cela dépendra de l’avancée des travaux. Non seulement il compose les plans architecturaux mais il supervise ces mêmes travaux. Sa présence est donc indispensable.
Eva est assez abasourdi par cette nouvelle mais néanmoins elle est comme les chats : elle retombe toujours sur ses pattes.
-Donc si je résume : tu t’en vas à l’étranger pendant cinq mois ou plus c’est bien cela ?
-Oui tout à fait.
-C’est la première fois que nous allons être séparé aussi longtemps.
-Oui et ça me fait bizarre rien qu’en y pensant. L’air songeur et les yeux fixés dans le vide, Eva a soudain une lueur de malice dans son regard ainsi qu’un léger sourire au coin de sa bouche. Elle s’imagine en parfaite autonomie et en totale liberté dans les mois qui arrivent.
-Très bien papa et donc j’ai la maison pour moi toute seule durant tout ce temps, c’est bien ça ?
-Non justement ! C’est là que Vincent intervient.
-Euh ? Pourquoi Vincent ?
-Il vient de finir son contrat à l’armée et est en reconversion professionnelle dans le civil. Seulement il vient de se séparer de sa copine et elle l’a mit dehors. Donc je lui ai proposé de s’installer durant mon absence à la maison. Comme ça, je m’inquiète beaucoup moins, la maison sera entretenue et surtout pas de choses illégales en mon absence jeune fille ! De plus Vincent a besoin d’un logement assez urgemment. Et il fait un super colocataire pour toi.
Eva reste silencieuse pendant que son père déblatère son discours, et son regard se tourne tantôt vers Vincent tantôt sur Ethan. Il est assez nerveux car il parle très vite et ses paupières ne clignent pas. Il est vrai que malgré son travail d’architecte, il n’a jamais eu à s’absenter plus d’une semaine ou deux, et souvent les grands parents d’Eva prennent le relai. Mais ils sont plus âgés désormais et le père d’Ethan est sur un fauteuil roulant depuis un accident vasculaire cérébral de l’année précédente. Il a toute sa tête mais son corps se remet difficilement. Malgré cela il reste un homme avec une joie de vivre exceptionnelle. Et Ethan ne veut pas leur imposer plus de tracas que nécessaire.
-Donc voilà ! On en est là ? Je n’ai pas mon mot à dire ?
-Pour le coup ma chérie, non ! Vincent est un homme en qui j’ai une immense confiance. Je le connais depuis ses quatorze ans et il est droit comme un I.
Eva se retourne sur Vincent qui reste très stoïque les bras croisés.
-Tu vas faire quoi comme reconversion ?
-Je viens d’être accepter dans un centre de formation, où je vais passer mon diplôme d’agent de tourisme. Comme je parle quatre langues autant que je m’en serve. Et puis j’adore voyager. L’armée m’a permis de voir du pays et c’est ce qui m’a donné cette envie. Je veux faire découvrir le monde aux gens. Et puis également, j’ai promis à ton père de m’occuper du jardin, de la piscine et refaire quelques peintures. C’est l’arrangement que nous avons convenu. Et je veillerais sur toi et ferais en sorte que tu ne fasses pas de bêtises.
Sur ce dernier mot, il fait un clin d’œil à Eva qui lève les yeux au plafond de désapprobation.
Celui qui l’a faisait fondre une heure auparavant vient de la transformer en glace.
Dans sa tête cela veut dire qu’elle échange un père contre un autre peut-être pire.
-Très bien papa si c’est comme ça je vais m’y plier. De toute façon je n’ai pas le choix j’imagine ?
-Non mon coeur, ma décision est ferme et définitive.
Le téléphone d’Eva vibre dans sa poche. Elle regarde : ce sont des messages de Théo, Candice et un numéro inconnu.
-Papa je peux me lever de table s’il te plait ?
-Oui c’est bon vas-y !
Les deux hommes restent dans la cuisine tandis qu’Eva se dirige vers sa chambre. Elle s’allonge sur son lit et commence a lire ses messages, à commencer par ceux de Théo qui lui explique qu’il regrette, que c’est un malentendu et que ce n’est pas ce qu’elle croit.
A moins d’être vraiment stupide, ce discours est absurde. Elle ne prend même pas la peine de répondre et les supprime instantanément. En revanche elle appelle directement Candice car par message c’est trop long a expliqué. Et puis la voix de sa meilleure amie la réconforte d’une certaine manière. Eva est enfant unique et par moment la présence d’un frère ou une soeur lui manque un peu.
Une fois l’explication complète et détaillée terminée, les deux amies raccrochent et prévoit d’aller au cinéma dès le lendemain après midi.
Dans le couloir, elle entend des pas. Elle sort et tombe nez a nez avec Vincent et son père.
-Ah et bien comme je te le disais la chambre d’Eva est ici, la mienne à côté et celle qui sera la tienne au fond du couloir. Il y a une salle de bain dans chaque chambre donc cela ne posera pas de problème. Un wc à l’étage et un au rez-de-chaussée.
-Merci Ethan c’est vraiment gentil de ta part, sincèrement.
-Mais non voyons c’est moi que tu arranges. Et puis tu peux rester là autant que tu veux car je n’ai pas de certitude quand à la durée du chantier. N’importe quel contretemps peut venir tout modifier. Par contre j’ai la sensation de t’exploiter. C’est beaucoup de responsabilités pour un homme de vingt-quatre ans.
-Pas du tout au contraire, en plus j’adore le bricolage. Promis tout sera terminé en même temps que ton chantier.
-Super. Tu veux boire un café avant de partir ?
-Non je te remercie, je retourne a l’hôtel. De toute façon on se voit demain.
-C’est vrai. Aller mon pote je te raccompagne.
-Au revoir Eva à demain.
-Oui… à demain…au revoir !
Une fois Vincent parti, Eva va voir son père en essayant de ne pas paraître trop agacée :
-Il revient demain ?
-Oui là il est à l’hôtel, et demain je vais aller récupéré toutes ses affaires pour les amener ici. En moto ce n’est pas très pratique. Tous ses meubles et autres bibelots sont dans un garde-meuble car comme il habitait chez elle, il n’avait pas besoin de tout cela. Mais il lui reste également quelques vêtements chez son ex copine, et c’est pour cela que nous allons tout récupérer. Il va avoir besoin de soutien. Tu verras c’est vraiment un chic type. Je n’ai confiance en personne d’autre pour avoir un oeil bienveillant sur toi durant ces cinq mois.
-Pourquoi il n’amène pas ses affaires chez nous ? Notre garage est immense pourtant !
-Je le lui ai proposé mais il refuse. Il ne veut pas abuser. Et puis s’il change d’avis il pourra toujours le faire ne t’inquiète pas.
-Si tu le dis je veux bien te croire. Tu ne m’as pas dis quand est-ce que tu pars ?
-Lundi matin huit heures à l’aéroport.
-Waouh lundi c’est rapide !
-Oui et j’ai du mal à te laisser ma fille crois moi !
-T’en fais pas on s’en remettra. Et puis tu m’as laissé sous bonne garde apparemment.
-En effet ! Aller viens me faire un câlin !
Le père et la fille se prennent dans les bras l’un l’autre. Ethan fait un bisous à Eva sur le haut de sa tête et les larmes commencent à perler sur les joues de chacun.
L’émotion est à son comble. Et après un bref « bonne nuit », l’un et l’autre vont se coucher.
Pour la première fois de leur existence à tous les deux, ils vont être séparés.
Chapitre 2
Samedi 7h00
Le réveil sonne en allumant la radio, et la chanson “Take on me » de A-Ah retentit.
Parfait pour commencer la journée. Eva se tourne et se retourne dans son lit pour faire durer le moment du réveil, et prolonge ce doux plaisir que sont les draps chauds et confortables. Elle s’assoit et essayant de reprendre un semblant d’esprit, se rappelle qu’elle a décidé d’aider l’ami de son père et celui-ci à emménager.
Elle prend de quoi s’habiller dans son placard et se dirige vers la salle de bain pour prendre une bonne douche chaude.
Sous l’eau coulant le long de son corps, elle repense à cet homme qui va vivre sous le même toit qu’elle. Il est vrai que Vincent est assez bel homme mais cela va faire extrêmement bizarre d’avoir ce presque inconnu partager les repas et la vie quotidienne.
Une fois prête, elle descend prendre son petit déjeuner et entend des voix.
Elle entre dans la cuisine où se trouve déjà son père et Vincent en train de prendre un café et des croissants chauds.
-Bonjour ma chérie tu as bien dormi ?
-Oui papa merci et toi ?
-Très bien.
-Bonjour Vincent tu vas bien ? Prêt à avoir une nouvelle maison ?
Un léger sourire en coin se dessine sur le visage de notre jeune homme et ses yeux brillent d’une joie difficilement dissimulable.
-Bonjour Eva oui je vais bien merci. Toi aussi ? C’est gentil de venir nous aider, je t’en remercie.
-Mais de rien. Bon ces croissants ne vont pas se manger tout seuls.
Après avoir fait un petit-déjeuner copieux. Eva part avec son père et Vincent avec un camion qu’ils ont loué. Après quelques kilomètres, ils arrivent au pied d’une résidence où un appartement est situé au deuxième étage.
-Bon sang ! Mais elle m’avait dit qu’elle ne serait pas là ! La barbe !
-Sophia est là ?
-Et oui apparement, les volets sont ouverts et sa voiture est garée plus loin. Je suis désolé Ethan mais ça ne va pas être drôle pour nous. Je ne sais pas du tout comment elle va réagir tellement elle est imprévisible.
-Oh t’en fais pas j’en ai vu d’autre. Eva ma chérie, tu vas rester dans le camion le temps qu’on aille chercher les affaires de Vincent.
-Pas question ! Je viens avec vous ! Que ton ex soit là ou pas Vincent, ce sont tes affaires pas les siennes donc on y va point final !
Eva sort du camion laissant les deux hommes pantois sur cette soudaine détermination. Il est vrai que la jeune femme ne supporte pas l’injustice mais également elle compte bien savoir pourquoi le couple s’est séparé. Après tout un peu de potin ne fait pas de mal et puis elle souhaite en apprendre un peu plus sur Vincent. Elle va vivre avec lui pendant quelques mois et veut vraiment savoir à qui elle a affaire.
Dans ses souvenirs, c’était un garçon gentil, serviable et toujours là quand on avait besoin de lui. Elle se souvient également du jour où il est parti a l’armée. C’est drôle, jusqu’à cet instant, ce souvenir était bien enfoui au fin fond de sa mémoire.
Pendant ce court laps de temps, Vincent sonne à l’appartement. Une voix féminine et un peu nasillarde réponds :
-Oui ?
-Sophia c’est moi !
-Oui je sais que c’est toi, je t’ai aperçu du balcon. Tu pouvais monter directement, tu as encore les clés que je sache !
-Oui j’ai les clés mais tu m’avais clairement dis que tu ne serais pas là ! Hors tu es bien présente, donc par respect, comme ce n’est plus chez moi mais chez toi, je sonne !
En regardant Vincent, son visage semble impassible mais sa mâchoire se crispe. On sent l’envie irrépressible de tout défoncer à coup de pieds. Probablement que dans sa tête c’est ce qu’il doit se passer. Mais dans la réalité, son corps essai de ne rien traduire à part de l’agacement et un peu de frustration : beaucoup de frustration !
Finalement, la fameuse Sophia ouvre et Vincent, Ethan et Eva peuvent entrer. Ils montent à l’appartement et l’ex compagne de Vincent se trouve sur le palier à les attendre. Elle a un sourire faux se dessinant sur ses lèvres et la tension est assez palpable. Elle adresse un “bonjour” aussi mauvais que possible à l’intention d’Ethan et de sa fille. On imagine aisément que cette chère dame ne souhaitait pas que son ancien amant puisse venir avec de la compagnie.
Vincent se dirige directement dans son ancienne chambre et y trouve des détails assez surprenant, prouvant juste que Sophia n’a pas laissé le lit se refroidir depuis son départ. Un pantalon d’homme nonchalamment posé sur une chaise, un boxer trainant en dessous du lit. Magnifique spectacle pour lui qui est assez maniaque car c’est également lui qui s’occupait des tâches ménagères, lorsqu’ils étaient encore ensemble.
Il rempli son sac de sport, de ses quelques affaires restantes que Sophia a laissé dans un coin du placard, et prends une boite qui contient quelques photos et objets qu’il avait oublié de prendre.
L’ex copine entre dans la chambre, ferme la porte et adresse à Vincent un sourire hypocrite.
-Vincent mon petit Vincent, tu ne crois pas qu’on devrait se remettre ensemble ?
-Pardon ? C’est une blague ?
Elle s’approche tel un chat guettant sa proie vers lui, en ondulant son corps.
-Oui tu me manque tellement.
-C’est ça ! C’est mon côté “bonne à tout faire” qui te manque ? A faire tout pour toi ? Finalement tu m’as jeté comme un malpropre de cet appartement, m’a humilié, discrédité auprès de mes amis. Alors non merci, ou plutôt si, un grand merci car grâce a toi j’ai pu enfin ouvrir les yeux sur ta vraie personnalité ainsi que sur ces “fameux” amis qui ne le sont plus d’ailleurs. Maintenant excuse moi, je prends ce qui est à moi et je pars définitivement et bien sur je ne souhaite plus jamais te revoir. Salut !
Vincent sort de la chambre avec un léger air satisfait dans les yeux. C’est peut-être la première fois qu’il se rebelle contre celle qui l’a fait souffrir. Mais apparement ça lui a fait beaucoup de bien.
Ethan, Eva et Vincent partent vers la cave, récupère le vélo elliptique, un ballon de basket et quelques cartons.
Une fois tout chargé, ils remontent dans le camion. Eva regarde par la fenêtre et voit Sophia sur le balcon. Et malgré la distance, et à travers la vitre, elle peut sentir la rage dans l’expression de cette demoiselle et ne peut refréner un petit sourire en coin. Eva ne la connaissait pas mais elle a vite remarqué la peste que cela devait être. Elle imagine sans mal, Vincent s’occupant de tout et Sophia être juste la petite princesse à qui tout doit être due. Au final, c’est une bonne chose qu’ils se soit séparés.
-Bon on dépose tout ça au garde meubles et après je vous invite au resto pour fêter ce tout nouveau départ. Ça vous va ?
-Parfait pour moi en tout cas ! J’ai une faim de loup.
-Eva ma chérie tu as tout le temps faim, je me demande où tu mets tout ce que tu ingurgite ?
-Merci papa pour me faire passer pour une goinfre.
Vincent se met à rire car il se rappelle ce petit détail qui l’amuse toujours autant.
-Je confirme Eva, tu as toujours un appétit d’ogre. Mais honnêtement j’adore ça qu’une fille aime manger. C’est toujours plus agréable de partager son repas avec quelqu’un qui apprécie. Surtout que je cuisine pas mal aussi, pas aussi bien que ton père mais ça va c’est mangeable. En tout cas personne n’a fini a l’hôpital après avoir gouter mes plats.
Nos trois compagnons rient de bon coeur à ces remarques et filent déposer tout le bric-à-brac de Vincent pour ensuite aller se restaurer.
Il les emmène dans une brasserie où le fait-maison est, bien sur, de rigueur.
Après un apéritif, des menus bien copieux et de délicieux desserts, ils déposent le camion chez le loueur et rentrent à la maison. Ethan doit finir sa valise pour son départ du surlendemain.
Une fois à la maison, Eva va préparer du thé et reçoit un coup de téléphone de Candice, qui lui rappelle qu’elle doit la rejoindre pour aller au cinéma.
-Oups je t’avais légèrement oublié Candice, excuse moi !
-Bon ce n’est pas grave, au pire il y a une séance dans une heure, ça te dit ?
-Ecoute mon père s’en va lundi matin et je ne veux pas louper un peu de temps avec lui. Tu comprends ?
Candice n’a pas le temps de répondre qu’Ethan arrache le téléphone des mains d’Eva et réponds à l’amie de sa fille :
-Bonjour c’est Ethan, c’est bon elle sera au rendez-vous pour la séance t’inquiète pas.
Et à ces mots il rend le mobile à la jeune femme.
-Ok Eva donc on se voit dans une heure. Bye.
Et elle raccroche.
-Mais papa qu’est-ce qui te prend ?
-Il me prend que nous allons passer des mois sans nous voir, c’est vrai. Mais il est vrai aussi que tu ne vas pas t’arrêter de vivre non plus, donc va au cinéma et éclate toi. Même si tu veux passer la nuit chez ta copine vas-y je serais heureux pour toi.
-Mais papa…
-Il n’y a pas de “mais papa”, tu sors un point c’est tout !
Vincent entre dans la pièce en souriant et dit à Eva que son père est un homme exceptionnel et que sans lui il n’en serait pas là où il en est.
-Pourquoi ? Qu’est-ce que mon père à bien pu te faire pour que tu dises ça ?
-Je te l’expliquerais un jour mais pas aujourd’hui, ce sera très long et là tu dois te préparer pour aller au ciné. C’est pas vrai ?
-Oui tu as raison, je vais me changer.
-Prends une douche !
-Quoi ? Je sens mauvais ?
-Ben oui a vrai dire.
-Je ne te permets pas de me parler comme ça !
-Te fâche pas ! Je ne fume pas mais Sophia elle oui, et le ménage et elle ne s’entendent pas très bien. Tu sens la cigarette froide et la poussière.
Pour une jeune femme qui va sortir c’est pas terrible comme odeur. Désolé je préfère être franc.
-Je suis agacée par ta remarque et flattée que tu te soucies de moi.
Eva soulève ses vêtements et sent une odeur pas très agréable, et s’en va vite se doucher.
Une fois toute propre, pimpante et parfumée, notre jeune femme descends au rez-de-chaussée pour prendre son sac. Ethan et Vincent sont assis à la salle à manger en train de boire le thé.
-C’est bon tu es prête à y aller ?
-Oui papa c’est bon on peut y aller.
-Tu veux que je t’emmène ?
-Non c’est bon Vincent, papa s’en charge. Mais merci.
Le téléphone d’Ethan sonne à ce moment précis. Il décroche, ça à l’air important.
-Oui attends une minute s’il te plaît ! Vincent, tu pourrais emmener Eva au cinéma ? C’est pour mon départ de lundi et l’organisation de mon arrivée, ça va être long.
-Pas de soucis, je m’en charge.
-Merci Vincent.
-Bon et bien on y va ? Prends un casque !
-On y va en moto ?
-Yes !
-Trop cool merci !
-Aller hop en selle !
Eva essai de ne rien laisser transparaitre de ses émotions, mais intérieurement elle ressemble à une petite folle qui saute partout. La moto, elle adore. En plus avec un bel homme auquel elle va s’accrocher c’est encore mieux.
Elle détache ses longs cheveux auburn qui virevoltent avec la légère brise qui se lève, et enfile son casque.
Ne croyez pas qu’Eva est amoureuse de Vincent, c’est simplement qu’elle apprécie sa compagnie, un peu comme, un grand frère. Et que peut-être vivre avec lui ne sera pas trop mal en définitive.
Le week-end passe à une vitesse folle et lundi matin est déjà là. C’est le départ d’Ethan, et tout ce qu’on, peut dire c’est que le moment est des plus difficiles.
Ethan et Eva pleurent à chaudes larmes. Père et fille sont très proches et la séparation est assurément compliquée. Mais l’embarquement est annoncé et il doit y aller.
-Papa je compte sur toi pour être le plus impressionnant des architectes !
-Oui ma chérie je te la promets. En attendant, fini tranquillement le lycée, prépare ton bac c’est important et continue à être une fille merveilleuse.
Ils se prennent dans les bras l’un de l’autre et pleurent une fois de plus.
Ethan lâche sa fille et embarque. Eva se colle à la vitre pour suivre l’appareil jusqu’au décollage. Et même une fois parti, elle reste sur cette vitre. La jeune femme de dix-huit ans est tout d’un coup redevenue une petite fille, laissant toutes ses émotions prendre le dessus et s’effondre en tombant sur les genoux.
Vincent se baisse et la prend dans ses bras. Elle se blottit contre son torse et continu à verser des larmes, tandis que lui est juste présent pour elle et c’est tout ce qui compte à cet instant.
Chapitre 3
Après le départ d’Ethan, nos deux compagnons rentrent à la maison. Eva ne va pas en cours aujourd’hui, car le départ de son père l’a plus bouleversé qu’elle ne le voudrait. Il est donc préférable qu’elle se repose et reparte au lycée le lendemain sur un meilleur pied.
Vincent la dépose à la maison et s’en va au centre de formation, non sans lui avoir préparé du thé avant de partir.
-Si tu as besoin de quoique ce soit Eva, tu as mon numéro et je rapplique ici à la vitesse grand V.
-Merci Vincent ça devrait aller. Juste le temps d’encaisser le coup et ça ira mieux.
-Très bien, bonne journée.
-Toi aussi.
La journée est longue pour Eva, mais dans l’ensemble elle semble se remettre de ses émotions doucement. Elle envoie un texto à Vincent pour savoir à quelle heure il rentre.
Elle reçoit en réponse : 17H30
La jeune femme fait tous ses devoirs puis prend du pop-corn et s’installe sur son lit avec son ordinateur.
Visionner des videos de chats lui remonte le moral, puis elle fini par s’endormir.
Son téléphone sonne : il est déjà 17h. C’est Candice.
-Tu devineras jamais Eva, Théo et Gwen ont rompus. Et elle lui a mit une magnifique gifle devant tout le monde à la cafétéria. C’était trop bien ! Et toi comment ça va ?
-Je me remet de mon choc émotionnel mais demain je serais là. J’ai fais les devoirs de Monsieur Piquet en maths et je me suis avancé en science. Mais d’après l’emploi du temps sur le net, on a une autre prof qui va être là pour le remplacer ?
-Oui Piquet va se faire opérer de sa jambe, il nous l’a dit en classe ce matin. Il a déjà prit ses dispositions car il va être en arrêt maladie un bon moment, peut-être même jusqu’à la fin de l’année. C’est Madame Leody Anna je crois. Bon on verra bien.
Les deux amies discutent encore un petit moment, lorsque Vincent revient du centre de formation.
-C’est moi ! Annonce-t-il de cette voix douce et grave, qui plait beaucoup à Eva, il faut le reconnaître.
Elle dit au revoir à Candice et raccroche.
-Bonsoir Vincent, tu as passé une bonne journée ?
-Oui très bien et toi ça va mieux ?
-Oui ça va mieux je te remercie. Tu aimerais manger quoi ce soir ?
-Bonne question. Mais tu sais quoi ? C’est moi qui vais faire le repas. Il faut juste voir ce qu’il y a dans le frigo et je m’occupe de tout.
-C’est très gentil de ta part. Tu sais je crois que mon père a laissé de quoi nourrir tout le quartier, alors tu vas avoir le choix.
-D’accord. Ecoute je vais me changer et après on voit ce qui se trouve dans les placards ensemble. Ça te va ?
-Parfait.
Vincent part changer de vêtements, tandis qu’Eva s’active a faire un peu de rangement dans la cuisine.
Il redescend et la jeune femme fait un arrêt sur image sur le bel homme qu’est Vincent. Il porte simplement un t-shirt noir et un vieux jean délavé qui lui moule assez bien le fessier, ce qui n’est pas sans déplaire à la lycéenne, qui se secoue rapidement la tête pour reprendre ses esprits.
-Bon alors que contiennent ces placards et ce frigo.
Vincent regarde de partout et il ne manque rien. Tellement qu’il n’a aucune idée de ce qu’il va préparer.
-Dis moi Eva, il y a quelque chose qui te ferais plaisir ?
-Pleins de choses comme tout le monde.
-Ça ne m’avance pas. Mais bon, allons voir le congélateur.
Et après une fouille complète, Vincent opte pour des steaks hachés accompagné de frites et d’une salade verte.
Eva propose un apéritif à Vincent qui préfère prendre de l’eau, tandis qu’elle prend un soda.
-Tu sais que c’est pas top niveau énergétique mademoiselle.
-Je suis au courant merci. Mais j’en avais trop envie.
-Je passe l’éponge cette fois mais je n’en rachèterais pas.
-Tu es un rabat-joie. Mais je l’accepte, après tout tu dis ça pour ma santé n’est-ce pas ?
-Ben oui, je suis sensé veiller sur toi et ton alimentation en fait parti.
-Très bien, tu m’exaspère mais je vais prendre un verre d’eau à la place.
Vincent esquisse un petit sourire tandis qu’il fait cuire la viande.
Les frites sont bientôt dorées et la salade est prête a être remuée.
-Voilà c’est prêt ! J’ai fait aussi une mayonnaise maison si tu veux en manger avec les frites.
-Mais c’est super ça, mon père en fait aussi tout le temps.
Les deux jeunes gens se mettent à table et commence leur repas.
Cela leur permet de discuter de choses et d’autres. Eva est reconnaissante que Vincent soit là, car malgré tout, elle se rend compte que si elle avait été seule, l’absence de son père aurait très dure à gérer psychologiquement.
-Tu veux devenir Hôtesse de l’air ? C’est une excellente idée et je trouve que ça t’irais très bien.
-Je te remercie. Le seul souci, c’est les langues, je n’ai pas un assez bon niveau.
-J’en parle quatre, je pourrais largement t’aider. Et puis ça me ferais plaisir.
-Je ne manquerais pas d’étudier ta proposition, merci.
-Le repas te plaît Eva ?
-Oui c’est bon merci. Les steaks sont juste comme je les aime, saignant.
-Je les aime aussi comme ça, sinon c’est une semelle de chaussures et ce n’est pas terrible à mastiquer.
-Tu as raison, tu voudras un dessert ?
-Non merci, je vais prendre peut-être un café et ça ira.
-Et si je fais du thé Vincent, ça te va ?
-C’est moi qui vais faire le thé. Vas t’installer au salon si tu veux, le temps que je prépare tout ça.
-Non je vais t’aider à débarrasser tout de même. Ce soir je me fais servir, je peux au moins t’aider un minimum.
-Bon c’est d’accord.
Vincent prend les assiettes et Eva les verres et les couverts.
Un peu d’eau s’est renversée sur le carrelage mais aucun de nos deux jeunes gens ne le remarque. Eva fait un pas vers le lave-vaisselle et pose malencontreusement le pied sur la petite flaque. Elle glisse en arrière et lâche les couverts et les verres qu’elle a dans les mains. Les fourchettes et couteaux partent en l’air et atterrissent sur Eva, qui a le réflexe de se protéger le visage avec ses bras. Tandis que le verre cassé s’éparpille au sol.
Vincent se jette par terre pour voir si Eva est blessée.
-Punaise Eva ça va ?
-Oui ça va, je viens de faire une jolie chute et j’ai l’air ridicule. Mais sinon tout va bien.
-Attends que je t’examine.
Il la regarde de haut en bas et la jeune femme voit les yeux de Vincent s’écarquiller.
-Qu’est ce que tu viens de voir ?
-Ton bras est ouvert et tu saigne beaucoup.
-Oh quelle horreur !
En effet, lors de la chute un des couteau est tombé sur Eva côté tranchant et lui a fait une belle entaille dans le bras. Elle saigne abondamment. Dans l’adrénaline de la chute, elle ne s’en est pas rendu compte, mais maintenant qu’elle le voit, elle a la tête qui tourne.
Vincent essai de ne pas paniquer. Il regarde la plaie d’Eva en essayant de juger s’il lui faut des points de suture ou non. Après un bon coup d’oeil, il faut emmener Eva aux urgences. Il lui fait un point de pression avec un torchon propre, pour essayer d’arrêter l’hémorragie.
-Eva, ma belle, il va falloir aller à l’hôpital. Viens je t’y emmène.
Il l’aide à se soulever car elle est sur le point de s’évanouir mais essai de se contrôler.
Il lui prend son sac, lui ses affaires et montent tous les deux dans la voiture d’Ethan.
Vincent file à toute allure sur la route et Eva lui demande d’y aller doucement car toutes ces émotions d’un coup, lui donne envie de vomir.
-D’accord, mais je ne suis pas très à l’aise de te voir comme ça. Tu es très pâle et je me sens coupable de ce qui t’arrive.
-Vincent ce n’est pas grave, ça aurait pu arriver à n’importe quel moment. Ce n’est pas ta faute.
-On est bientôt arrivé ne t’inquiète pas.
-Je ne m’inquiète pas puisque tu es avec moi.
Un magnifique sourire se dessine autant chez Eva que chez Vincent et en un éclair tous les tracas s’effacent. Un sentiment particulier se diffuse dans le véhicule, on entend pratiquement leurs coeurs battre à l’unisson. Cependant le retour à la réalité se fait sentir immédiatement après, car ils viennent d’arriver aux urgences.
Mais cela à permis à Eva de se détendre et de ne pas se laisser aller à l’évanouissement.
Ils entrent et après quelques minutes d’attente, Eva est prise en charge. Vincent l’accompagne. Il se sent très mal pour elle. Après tout, il a tout de même la responsabilité d’Eva, la fille de son meilleur ami. Que dirait-il s’il apprenait que son ami à laissé un accident pareil arriver à sa fille ?
-Vincent ? Vincent ? Qu’est ce qu’il y a ?
-Euh…rien j’étais en train de penser à ton père et à la façon dont il allait m’étriper quand il apprendra ce qu’il t’est arrivé.
-Ah ah ah ah non t’en fais pas. On ne va surtout pas lui dire.
-Ton père n’est pas stupide, quand il rentrera dans cinq moi il verra bien ta cicatrice. J’en suis sur.
-On lui dira à ce moment là, comme ça tu pourras t’enfuir sans t’inquiéter. Tu es trop mignon tu le sais
ça ?
-Mignon ?
-Oui mignon. Et en plus, grâce à toi, j’ai mal mais j’encaisse mieux la douleur, donc merci pour ça.
Nos deux jeunes gens attendent que le médecin revienne pour pouvoir poser des points de suture à Eva. Il lui en faudra six en tout, mais aucun ligament n’a été touché. La plaie est profonde mais pas dangereuse.
Une fois l’acte chirurgical exécuté, tout l’administratif effectué et le paiement des frais acquittés; nos deux amis peuvent rentrer à la maison. Il est 22h52.
Eva somnole dans la voiture. De plus, elle a cours le lendemain et ne sait pas si elle sera en forme, mais d’être avec Vincent à cet instant présent, la réconforte. Elle peut néanmoins lire, dans l’expression qu’il affiche, de l’anxiété et à l’air préoccupé. Elle ne dit rien et préfère attendre d’être rentré pour lui poser des questions.
Une fois la voiture garée et qu’ils sont dans la maison, Eva se retourne et demande à Vincent à quoi il pense.
-A rien ne t’inquiète pas.
-C’est faux je le vois bien. Dis moi ce qu’il y a !
-Je me suis inquiété pour toi, et c’est toujours le cas. Je ne suis pas à l’aise à l’idée que dès le premier soir où nous sommes ensemble, il te soit arrivé malheur.
-Ecoute moi ! Je te répète que ce n’est pas grave. Ça aurait très bien pu m’arriver au lycée, j’aurais pu me faire agresser (Vincent tressaille à cette idée), en étant aussi toute seule : les accidents ça arrive. Donc s’il te plaît arrête de t’en faire. On ne dira rien à papa pour l’instant et dis toi que je suis là en assez bonne santé et surtout que je suis très fatigué. Conclusion : allons dormir !
-J’ai du mal a voir en toi la femme que tu es devenue. Je me rends compte que la petite fille de douze ans bien changée.
Ils montent à l’étage en direction de leurs chambres respectives et juste avant de rentrer dans la sienne, Vincent regarde Eva tendrement. Il plonge ses yeux dans les siens et le temps se fige. Plus rien ne peu perturber cet instant magique. Eva se dirige doucement vers Vincent qui s’approche en même temps et lui porte une main délicate sur sa joue. La tension est à son comble et leurs coeurs, comme un orchestre, battent la chamade de concert. Leurs visages sont terriblement proches et leurs respirations s’accélèrent. Le moment est intense, Eva continue de s’approcher en fermant les yeux et Vincent laisse ses lèvres aller vers elle et lui donne un baiser sur le front.
-Bonne nuit Eva fait de beaux rêves ma belle.
Vincent lâche Eva et entre dans sa chambre. La jeune femme est sonnée et ne sait pas quoi penser de ce qu’il vient de se passer. Elle se dit que c’est tout ce qu’il y aura ce soir, se résigne et va également dans sa propre chambre. Une fois la porte fermée, elle s’appuie dessus toute déboussolée.
“ Je ne comprends pas ce qu’il vient de se passer, mais c’était très intense.”
Eva le coeur ne cessant de battre au dessus de la normale, se met en tenue pour dormir et se couche dans une totale incompréhension. Mais malgré tout heureuse de constater qu’elle ne lui ait pas indifférente, et que les sentiments qu’elle éprouvait pour lui cinq ans auparavant, étaient toujours d’actualité : plus forts et puissants. La seule question importante désormais c’est » Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ? »
Chapitre 4
Eva prend son petit-déjeuner dans la cuisine. Elle n’a pas vu Vincent mais néanmoins constate qu’il s’est levé bien avant elle et à déjà mangé.
Les questions et différentes pensées, se bousculent toujours dans sa tête. Elle a très peu dormi et souffre légèrement de son bras. Néanmoins, elle espère affronter sa journée le plus normalement possible. Sauf qu’elle se rend compte que la situation va vite se compliquer si Vincent a aussi des sentiments pour elle. Elle fini de manger et met la vaisselle sale dans le lave-vaisselle. Elle regarde l’heure : 7H30.
-NON ! Je vais rater le bus ! C’est Vincent qui a besoin de la voiture en plus aujourd’hui !
Elle entend des pas qui descendent les escaliers, se retourne et voit une gravure de mode en face d’elle. Vincent : rasé, les cheveux en bataille en coiffé-décoiffé, une chemise blanche impeccable, un jean noir qui laisse bien entrevoir le corps d’Apollon qu’il contient. Bouche-bée et les yeux rivés sur lui, plus un mot ne sort de sa bouche et elle en oublie même l’histoire du bus.
-Bonjour Eva, comment ça va ?
-Hein ? Oui salut, euh oui ça va merci. Toi aussi ?
-Oui, je viens de t’entendre dire que tu allais rater le bus ?
-Tu as des oreilles de chien ma parole !
-Oui j’ai une très bonne ouïe. Tu ne pourras rien me cacher, dit-il en s’approchant d’Eva.
Il est tellement proche que les effluves de son parfum envahissent la pièce. Le coeur de la jeune femme est au bord de la crise cardiaque tellement il bat vite.
-Veux-tu que je t’emmène ?
-Oui s’il te plaît je vais être en retard. J’aurais bien prit la voiture mais tu en as besoin non ?
-Et oui c’est pour ça, dimanche je me suis aperçu que la moto avait un pneu crevé et je ne suis pas encore aller au garage pour le faire changer. Du coup je te pénalise, je suis vraiment désolé.
-Non ce n’est rien. Bon alors on y va ? Je n’ai pas envie d’être la dernière arrivée.
-Bien madame, prends tes affaires.
Vincent prend son blouson en cuir et Eva son sac et son manteau.
Ils grimpent dans la voiture et foncent jusqu’au lycée. La lycéenne se demande si elle doit aborder tout de suite ce qu’il s’est passé la veille mais Vincent la devance.
-Dis moi Eva, je voudrais te parler d’hier soir si tu veux bien le temps du trajet.
Le rouge foncé qui caractérise les joues d’Eva se manifeste très vite, et elle tourne légèrement la tête vers la vitre.
-Euh oui si tu veux. Mais vite car le lycée n’est pas non plus à des kilomètres.
-Parfait. Je ne sais pas par où commencer. Mais tu es une jeune femme très séduisante. Les jeunes garçons, tout comme les hommes plus murs, doivent se retourner sur ton passage.
-C’est gentil merci.
-De rien, et même moi je dois me rendre à l’évidence, tu n’es plus une gamine et tu es magnifique il faut le reconnaître.
-Vincent où tu veux en venir ?
-Je vais y aller franchement, tu m’attire beaucoup.
Dans son esprit, Eva danse une très belle valse enflammée avec Vincent, sous fond d’un orchestre sublimé par une ambiance d’opéra. Un large sourire fend son visage. Elle jette un oeil àVincent qui lui à l’air grave. Au vu de son expression, la valse dans sa tête commence à faiblir.
-Tu sais Eva il faut que tu comprenne que je suis le meilleur ami de ton père, je n’ai pas le droit d’être attiré par sa fille. C’est interdit ! On a beau n’avoir que six ans d’écart, ce n’est pas bien. Il m’étranglerait s’il apprenait cela. Donc pour ton bien et le mien, puisque de toute façon nous vivons sous le même toit, je vais mettre une distance entre nous. Hier soir j’étais à deux doigts de t’embrasser, mais j’ai réussi à me retenir et t’ai donc embrassé sur le front. Je sais c’est frustrant et j’en suis navré.
La valse est terminée, Vincent est parti, l’orchestre ne joue plus et autour d’elle c’est l’effondrement. Tout comme Cendrillon, la robe de princesse imaginée par Eva est devenue un ignoble haillon. La lumière est devenue ténèbres. Elle serre la mâchoire, prend une grande inspiration et d’un ton extrêmement sec :
-Tu as fini ?
-Oui ma belle. Je sui désolé mais je ne peux pas.
-Très bien, puisque c’est comme ça, fini de m’appeler “ma belle” c’est Eva point final. Ou mademoiselle Calendal tiens ! C’est bon comme distance ? Et puis c’est bon je me débrouillerais pour rentrer ! Bonne journée, Monsieur BOURGIER !
Elle sort de la voiture et claque la porte sans se retourner. Ses illusions ont prit fin et l’espoir s’est écroulé comme un château de cartes.
C’est avec les larmes aux yeux et une douleur plus vivace à son bras blessé, qu’Eva va en cours. Candice est déjà au lycée et repère vite son amie en détresse. Elle court vers elle les bras grands ouverts pour rapidement la prendre dans les siens.
-Oh ma chérie, j’ai un millions de questions à te poser. La première : c’est quoi ce pansement au bras ? La deuxième : pourquoi tu es dans un état pareil ? Allez raconte tout à ta Candice d’amour !
Après avoir éclaté en sanglot dans les bras de sa meilleure amie, Eva lui raconte tout ce qui s’est passé jusqu’à cet instant.
-Aller calme toi Eva ! Bon si je résume : il est en fait amoureux de toi mais se l’interdit, j’ai juste ?
Eva fait un arrêt sur image. Elle n’avait pas réalisé cet aspect-là des choses et pourtant Candice, en une seule phrase, a extrêmement bien défini la situation.
-Mais punaise tu as raison ! Je n’avais pas du tout vu les choses sous cet angle.
-Et oui je suis la meilleure. Maintenant sèche tes larmes, et allons affronter notre nouvelle prof de maths.
Les deux amies se serrent l’une contre l’autre et se dirigent vers leur salle de classe pour ce cours d’une heure.
Elle entrent et s’assoient à leurs places respectives. Tout le monde bavarde joyeusement lorsqu’un silence s’abat tout à coup.
Eva se retourne vers la porte d’entrée et voit dans l’encadrement de la porte une superbe femme d’environ une trentaine d’année grand maximum. Elle porte un jean slim bleu foncé, un chemisier kamel et un blaser noir. Des cheveux blond doré montés en queue de cheval et bien entendu, un maquillage léger mais très beau. Inutile de préciser que la majorité des garçons présents bavent à la vue de cette professeur. Et bien sur la majorité des filles la déteste déjà.
-Oh lala Eva tu as vu ça ?
-Oui j’ai vu et j’entends surtout un silence inespéré dans cette classe.
Les deux filles ricanent mais restent concentrés sur cette femme qui a les yeux rivés sur l’entièreté de la classe. Tout le monde pose ses fesses sur les chaises derrière les bureaux et attend d’entendre la voix de cette nouvelle prof.
-Maintenant qu’il n’y a plus un seul bruit, je vais pouvoir me présenter : je suis madame Anna Leody. Pour tout le monde ce sera Madame ou Madame Leody, c’est bien clair ? Je ne tolérerais aucune familiarité de quelconque nature. Je ne suis pas votre copine. Mon rôle c’est de vous préparer au bac et rien de plus. Monsieur Piquet sera absent jusqu’à la fin de l’année, donc c’est avec moi que vous passerez le reste de votre terminale. Est- ce que quelqu’un à des questions ?
Un élève lève la main et demande si elle viendra au voyage scolaire organisé à la fin du mois de mai. Et elle donne comme réponse qu’elle vient juste d’arriver et n’a pas encore toutes les informations nécessaires pour le reste de son remplacement.
-S’il n’y pas d’autres questions, nous allons commencer le cours.
L’heure passe très lentement. Madame Leody n’est pas du tout accommodante ni très agréable, ce qui contraste avec son physique avantageux. De plus, elle déblatère son cours comme si tout le monde savait de quoi elle parle.
La sonnerie retentit, tout le monde se lève et fuit rapidement la classe.
Eva et Candice partent vers leur autre cours et font des commentaires sur cette Anna Leody.
Finalement la journée se passe sans trop d’encombres et c’est déjà la fin des cours.
-Dis Candice, puisque nous sommes en binôme pour le cours d’anglais, tu veux qu’on travaille chez moi ce soir pour le devoir-maison ?
-Oui ce serait chouette, d’ailleurs je voulais te le proposer. Je t’aurais bien dit qu’on aille chez moi mais mes petits frères sont de vrais terreurs. Et surtout lorsque je suis occupée bien évidemment.
-Oui t’inquiète pas. En plus je suis seule jusque’à 17h30 -18H. Tu veux rester dormir ? Demain on a cours qu’à partir de 9h, qu’en pense-tu ?
-Mais très chère c’est une merveilleuse idée. J’appelle ma mère tout de suite.
-Et tu sais quoi ? Je commande chinois pour ce soir, ça te va ?
-Parfait ! Et Vincent ?
-J’en fais mon affaire ne t’inquiète pas et puis autant jouer sur la corde sensible de ce qu’il s’est passé ce matin.
Un petit clin d’oeil envers Candice et les deux filles prennent le bus pour rentrer. Il est 17h.
Les deux amies prennent une petite collation et se mettent à leur devoir dans la salle à manger.
L’amie d’Eva relève la tête et sent la pièce.
-Qu’est ce qu’il t’arrive ?
-Je sens une merveilleuse odeur de parfum masculin.
-Oui c’est celui de Vincent, c’est très agréable. Lorsqu’il est descendu ce matin, l’odeur le suivait et franchement je n’avais qu’une envie c’était fourrer ma tête dans son cou. D’ailleurs c’est agréable que la pièce se soit imprégnée de cette effluve.
-Je me languis de le voir en chair et en os celui-là.
-Et bien tu vas être servie, j’entends la voiture.
La porte d’entrée s’ouvre et Candice n’en croit pas ses yeux de la beauté de cet homme.
-Bonsoir les filles. Oh en plein travail, je ne vous dérangerais pas longtemps.
Candice se lève et va voir de plus prêt cet apollon moderne.
-Je suis Candice, la meilleure amie d’Eva. Enchantée de vous rencontrer. A ce qu’Eva m’a dit, vous êtes son ange gardien qui l’a emmené aux urgences pour son bras.
Vincent est légèrement décontenancé par l’aisance de la jeune femme, et puis surtout le terme “d’ange gardien” le met mal à l’aise.
Il cherche du regard Eva, qui dans son coin ricane doucement, sachant que Candice peut-être très exubérante parfois. C’est une douce vengeance que lui accorde son amie. Et elle l’en remercie secrètement. Après tout, Vincent aurait pu aborder les choses d’une autre manière, mais néanmoins elle repense à la phrase de Candice : “ Bon si je résume : il est en fait amoureux de toi mais se l’interdit, j’ai juste ?”
La jeune femme fini par intervenir auprès de Vincent après avoir savouré ce petit moment.
-Candice ce serait bien qu’on finisse notre devoir. Tu ne voudrais pas avoir une mauvaise note quand même ?
-Oui tu as tout à fait raison, j’arrive. Ravie en tout cas de vous avoir rencontré Vincent.
-Eva je pourrais te voir une petite minute s’il te plaît ?
-J’arrive.
Nos deux compagnons vont dans la cuisine, un peu éloigné de la salle à manger. Vincent se retourne vers Eva et ses yeux se plongent dans les siens. La jeune femme détourne rapidement le regard, fait un pas en arrière et demande à Vincent ce qu’il veut.
-Je tenais à te présenter des excuses pour la brutalité de mes paroles ce matin. J’ai toujours du mal avec ce genre de chose alors souvent je suis brut de décoffrage. Et je manque de tact. Donc pardon.
-C’est bon ça va, j’encaisse.
-Je reste tout de même sur ma position, il ne doit pas se passer quelque chose entre nous d’accord ?
-D’accord.
-Mais, de la distance, ça va être difficile et puis au final je n’en ai pas envie car je t’apprécie beaucoup et je tiens à ce qu’on soit des amis. Est-ce que cela te convient ?
-Aller c’est bon, je te pardonne et on passe à autre chose, c’est ok ?
-Je suis rassuré ça me va très bien.
-D’ailleurs pour passer à autre chose, ce soir je commande chinois pour nous trois, c’est bon ?
-Candice va rester ?
-Mais oui, c’est ma meilleure amie et on a encore pas mal de devoirs à faire, donc voilà.
-Très bien, je vais faire une heure de jogging et surtout je ne veux pas entendre de commérages de filles.
-Tu as raison c’est terrible d’entendre ça.
Les deux amis rient ensemble et Vincent monte dans sa chambre se changer. Eva le regarde monter marche à marche et trouve que son fessier est à croquer. Elle se secoue la tête pour se ressaisir et retourne voir Candice.
-Dis moi Calendal, mais c’est qu’il est très séduisant ce Vincent. Je me le mettrais bien sous la dent.
-Oh Candice je t’en prie…moi d’abord !
Les filles se remettent au travail dans une ambiance des plus joyeuses.
Les heures passent et le moment du repas approche. Eva a commandé chinois comme convenu et nos trois acolytes partagent autour de la
table : beignets de crevettes, nouilles sautées, nems et autre canard laqué. L’ambiance qui règne entre eux est des plus joviale et la détente entre amis est de mise.
Une fois le repas fini et la table débarrassée, Candice file prendre une bonne douche tandis qu’Eva reste avec Vincent dans la cuisine pour faire un peu de rangement. Malgré ce qu’ils se sont promis en restant juste des amis, la tension entre eux est palpable même dans l’air. Le désir, s’il pouvait prendre forme, se transformerait en un félin suivant sa proie. Vincent et Eva sont chacun le chat de l’autre, guettant les mouvements de chacun de façon maladroitement subtile. Chacun regarde ce que l’autre fait et dès que leur regard se croise, l’un et l’autre se détourne rapidement.
-Eva ?
-Oui Vincent ?
-Comment va ton bras ?
-Bien, ça lance de temps en temps mais ça va.
-N’oublie pas de bien nettoyer ta plaie et passe bien la vaseline pour assouplir ta peau.
-Euh oui merci du conseil, même si je le savais déjà.
L’air gêné, Vincent veut dire quelque chose à Eva mais ne sait pas comment l’aborder, et bien entendu, notre lycéenne l’a bien remarqué. Elle décide donc de prendre les devants :
-Bon Vincent je vois bien que tu as envie de me dire quelque chose et que tu tourne autour du pot. Vas-y crache le morceau !
-Je ne sais pas comment te demander ça, mais…je…
-Mmmmh ?
-Vendredi soir, j’ai envie de sortir avec des copains.
-C’est bien ça, et ?
-Et je ne veux pas te laisser seule à la maison. Est ce que ça te dérangerais d’aller chez Candice ? Tu y serais en sécurité et je serais plus serein de te savoir chez une personne de confiance.
-Tu me chasse de chez moi ?
-Non ne crois pas ça !
-Détends toi je plaisante. Oui c’est bon j’irais chez elle.
-Merci je te revaudrais ça.
-J’y compte bien.
-Je ne suis pas sorti depuis longtemps et j’ai vraiment besoin de me détendre.
-Pas la peine de te justifier. Sors !
Une fois le rangement effectué, l’histoire du vendredi clôturée, Eva et Vincent montent se coucher.
Une fois dans la chambre, Candice assomme Eva de questions sur Vincent, ce qu’il lui a dit, qu’elle le trouve trop sexy et bien d’autres encore.
Après avoir répondu à cet interrogatoire, les filles tombent de sommeil et s’endorment assez rapidement au doux son d’une musique relaxante dont Eva raffole. Cela la rassure et lui permet de passer une nuit calme et reposante.
Mais vers deux heures du matin, un bruit réveille la jeune femme en sursaut. Quelqu’un est dans la maison et fait un vacarme énorme.
Eva se lève, tandis que Candice à un sommeil de plomb, et prend une batte de baseball qu’elle a dans sa penderie. Elle ouvre délicatement la porte, et sort de sa chambre à pas de loup. Il fait nuit, mais la clarté de la pleine lune à travers les volets, permet d’y voir tout de même sans allumer. Elle songe a aller réveiller Vincent mais sa porte est ouverte, elle suppose donc qu’il est descendu aussi pour voir ce qu’il se passe.
Soudain, un autre bruit se fait entendre, des placards qu’on ferme trop violemment. Cette fois, s’il y a un cambrioleur, son compte est bon. Ethan a fait prendre des cours d’auto-défense à sa fille et elle n’a pas peur. Elle se rapproche du boucan qui se trouve précisément dans la cuisine, agrippe bien comme il faut sa batte, la lève prête à fendre l’air pour assommer l’importun : quand soudain elle aperçoit un Vincent dans le plus simple appareil, nu comme un ver, le regard fixe et ressemblant à un zombie plus qu’à un être humain. Oh bon sang se dit-elle, il ne manquait plus que ça, Vincent est somnambule.
Elle pose sa batte et se dirige vers lui. Garder son sang froid pour affronter un inconnu c’est une chose, mais observer cet homme si beau, si sexy, si désirable, c’est un véritable supplice. De plus, l’homme en question n’a rien a envier à personne, et c’est le regard gourmand mais néanmoins sérieux, qu’Eva parle doucement à Vincent et tente, tant bien que mal, de le diriger vers sa chambre. Malgré cet état, la jeune femme est assez amusée de cette situation assez cocasse. De plus, le jeune homme ne se rappellera de rien du tout, ce qui est assez ironique. Elle arrive à le guider dans les escaliers et jusque dans son lit. Une fois la porte fermée, Eva retourne se coucher; elle rangera le bazar plus tard. Néanmoins c’est avec un sourire aux lèvres emplit d’envie, qu’elle se rendort paisiblement.
Chapitre 5
Trois jours ont passés depuis l’incident de la cuisine. Eva n’a rien dit à Vincent préférant garder ce petit secret pour elle, mais l’a tout de même partagé avec Candice, qui a voulu tout savoir sans perdre le moindre détail croustillant de cette petite escapade nocturne.
C’est vendredi. Eva part au lycée en bus et en arrivant elle ne voit pas son amie. Elle lui envoie un message et reçoit comme réponse, de la part de la mère de Candice, qu’elle a attrapé une gastro-entérite, qu’elle est très malade et a beaucoup de fièvre. Du coup, elle ne pourra pas venir dormir ce soir chez elle.
Tant pis se dit-elle, je passerais la soirée seule devant un bon film, pendant que Vincent sortira avec ses copains.
Le journée se passe tant bien que mal et Eva est de retour chez elle vers 17 heures. Vincent la suit de 30 minutes.
Il entre dans la maison et s’étonne que la porte soit ouverte. Il va vers le salon où il trouve une Eva en train de faire ses devoirs.
-Salut ! Tu peux me dire ce que tu fais là ?
-Salutation à toi aussi, et bien je fais mes devoirs. Pourquoi ?
-Tu ne devais pas rester chez Candice ce soir ?
-Elle est très malade et donc je vais éviter d’attraper ce qu’elle a.
-Oui ok mais je sors ce soir et je refuse de te laisser seule ici.
-Pour quelle raison ? Je peux rester seule ce n’est pas grave.
-Non c’est hors de question ! Je vais appeler mes potes j’annule !
-Mais Vincent ne fais pas ça !
Le jeune homme est déjà au téléphone pour prévenir ses amis qu’il se décommande. Il va vers la cuisine pour qu’Eva ne puisse pas entendre.
Elle se replonge dans ses devoirs et trouve ridicule qu’il se gâche la soirée pour elle. Il ne lui doit rien et elle est assez grande pour rester un soir toute seule.
Il raccroche, se passe sa langue sur ses lèvres, inspire et dit à Eva :
-Je sors ce soir !
-Et bien voilà qui est très bien, tu vois tu t’inquiète pour rien.
-Mais tu fais parti du lot !
-Quoi ?
-Oui tu as bien entendu, je sors avec mes copains mais tu viens avec nous. Comme ça je t’ai à l’oeil, je passe du temps avec mes potes et toi tu pourras profiter de la soirée sans être enfermée ici.
-Euh…oui mais si tu veux parler en privé avec tes amis je vais être de trop non ?
-T’en fais pas pour ça !
-D’accord alors, où est ce qu’on va ?
-En premier on se retrouve au resto italien : Le Stromboli et ensuite direction la boite de nuit : Le Sunbeach. Voilà notre programme. Maintenant que c’est réglé, je vais me préparer, et tu devrais faire pareil. Autre petit détail : ce sont mes amis qui viennent nous récupérer. Et avant de partir on désigne celui qui ne boira pas d’alcool pour ramener tous les autres sain et sauf.
-Quel genre de tenue je dois mettre ? Je ne suis jamais allé en boîte de nuit.
-Tenue correcte exigée jeune fille !
Il fait un clin d’oeil à Eva qui est à la fois amusée et agacée. Une fois hors de vision, elle saute de joie à l’idée de passer sa soirée de cette façon. Elle envoie rapidement un message à Candice et part choisir ses vêtements. Une fois prête, elle descend rejoindre Vincent qui est en bas des escaliers à l’attendre. Il l’entend et se retourne vers elle. Ses yeux s’agrandissent de stupéfaction. Eva porte une robe moulante noire qui lui arrive juste au-dessus des genoux, des bottes à lacets noires également, de fines bretelles tiennent la robe et un boléro par dessus les épaules. Ses magnifiques cheveux auburn bien coiffé en brushing, un maquillage discret mais classe et une touche de gloss rouge foncé sur les lèvres. Vincent n’en croit pas ses yeux, lui qui essai de toute ses forces de résister à cette tentation permanente et qui vient de passer trois jours sans la moindre pensée érotique. En voyant cette belle jeune femme devant lui, il n’a qu’une envie c’est tout abandonner et céder à des désirs. Mais il secoue légèrement la tête comme pour faire sortir ses idées lubriques, se racle la gorge et lui dit :
-Tu es très belle Eva.
-Je te remercie, toi aussi tu es très beau.
Vincent très classe comme à son habitude, une chemise noire, un jean bleu foncé avec une jolie ceinture assortie, une coiffure impeccable et surtout un parfum suave et enivrant. Le tout sublimé par une fine chaine en or autour de son cou. Nos deux acolytes se regardent les yeux dans les yeux, mais ne parlent plus. Malgré qu’Eva descende, le temps ralenti, leurs corps se rapprochent. Aucune parole ne sort de leurs bouches. Eva arrive à la dernière marche d’escalier et Vincent plonge dans les ténèbres de sa conscience. Comme s’il y avait un ange sur son épaule droite et un diable sur celle de gauche. Les deux ont des idées totalement différentes sur la façon de procéder à cet instant précis.
C’est Eva qui finalement va percer cette bulle temporelle :
-Tes amis arrivent à quelle heure ?
-Euh…je…oui…non…attends !
C’est très amusant de voir cet homme de vingt-quatre ans si charismatique se transformer en adolescent pré-pubère timide et mal à l’aise. Il fini par se ressaisir et regarde son téléphone :
-Ah j’ai reçu un texto c’est eux ils sont devant le portail. Prends tes affaires on y va !
-Très bien.
Nos deux compagnons prennent leurs manteaux et sortent.
Dehors, un 4X4 gris foncé les attend où deux hommes assez jeunes sont assis. Ils montent et s’assoient à l’arrière.
-Salut les gars, je vous présente Eva.
-Salut Eva moi c’est Medhi et lui Alex.
-Bonjour, merci de m’emmener avec vous mais je ne veux pas être un boulet.
-Ah non pas du tout, un boulet aussi joli on ne peut que l’accepter.
En disant cela, Medhi s’attire aussitôt les foudres de Vincent. Eva remarque immédiatement son froncement de sourcils et essai de détendre l’atmosphère. Au bout du compte, l’ambiance se détend et ils arrivent au restaurant.
Le cadre est agréable entre modernité et style italien. Le repas est des plus délicieux et nos quatre amis passent un très bon moment. Entre anecdotes croustillantes et souvenirs de collège et lycée.
Au départ un peu gênée, Eva se fond vite dans le groupe et y va même de ses propres histoires.
Au dessert, Alex prend la parole :
-Je suis très heureux que tu sois avec nous Eva, c’est assez rafraîchissant et tu as l’air d’une fille vraiment bien.
-Je te remercie Alex et c’est vrai que je passe un moment sympa avec vous trois.
L’expression de Vincent change en un éclair. Il passe d’un sourire large et cordial à une attitude glaciale et terne. Serais-ce de la jalousie ? Et Alex continue sur sa lancée :
-Tu as quel âge déjà Eva ?
-Elle a dix-huit ans !
-Merci Vincent, mais je pense qu’elle pouvait répondre elle même.
-Bon les gars si nous y allions hein ? Danser et boire nous défoulera bien.
Tout le petit monde se lève et va payer l’addition. Vincent à l’air renfrogné, et Alex qui n’a d’yeux que pour Eva, s’en moque éperdument. L’ambiance joviale se transforme peut à petit en duel de mâles dominant, ce qui commence à mettre mal à l’aise Eva et Medhi.
Ils remontent dans le véhicule et roulent jusqu’au Sunbeach. Ils se garent et entrent dans la boîte de nuit.
L’environnement du lieu et l’ambiance musicale calme Alex et Vincent. Nos quatre amis s’installent à une table et commandent à boire. Ce soir c’est Alex qui a été désigné pour ne pas boire d’alcool. Le serveur arrive avec son plateau où se trouve trois cocktails alcoolisé et un non alcoolisé. Les quatre copains trinquent et sirotent leurs boissons. Alex se lève d’un bond :
-En piste, je veux danser. Eva tu m’accompagne ?
-Mais volontiers, c’est ma première fois en boîte.
-Génial je vais te montrer comment se déhancher ma grande.
Alex prend la main d’Eva et l’entraine sur la piste. Vincent est décomposé, et medhi lui pose la main sur son bras pour lui faire comprendre qu’il est temps de lâcher prise et de vider son sac.
-Vincent, toit et moi on se connait depuis assez longtemps pour se parler franchement. Alors qu’est ce qu’il y a entre cette fille et toi ?
-Oh et puis merde ! Je suis dingue d’elle ! Voilà c’est dit ! Mais tu connais Ethan toi aussi, il me tuerait s’il savait que j’étais amoureux de sa fille.
-Waouh incroyable, tu as réussi à me le dire en un quart de seconde. Ça devait vraiment te démanger pour me l’annoncer de la sorte ?
-Oui et non, ce n’est pas bien mais alors vraiment pas bien.
-Mais et elle tu sais si elle en pince pour toi ?
-Oui elle aussi est attiré mais il ne faut pas, j’ai promis à son père de veiller sur elle, pas la culbuter. Mais ça fait presque une semaine qu’on cohabite et j’ai trop envie d’elle ça me perturbe.
-Après il n’y a aucune autre femme qui t’attirerait ?
-Non ! Après Sophia je comptais plus me concentrer dans ma formation et là Ethan me contacte me demande ce service et moi comme je lui dois littéralement la vie, je lui ai dis “oui”. Je me souvenais de cette adolescente de douze ans avec son appareil dentaire, elle était mignonne et on s’entendait bien. Et puis je suis parti à l’armée, je suis resté en contact permanent avec Ethan, je l’ai même revu à plusieurs reprises lors de mes permissions, mais je n’avais plus revu Eva et lorsque je l’ai eu devant moi vendredi dernier…mon coeur s’est arrêté, les papillons dans mon ventre se sont affolés et je fonds complètement lorsqu’elle est là.
Medhi comprend parfaitement le désarroi de son ami, lui lance un regard compatissant et ne peut lui apporter que du soutien moral. C’est alors qu’il lève les yeux vers la foule sur la piste de danse, et ce qu’il voit est aussi semblable que s’il avait vu un fantôme.
-Aller Vincent vient on va commander un autre cocktail ça te remontera le moral ok ?
-Oui tu as raison merci.
Les deux hommes se lèvent et s’orientent vers le bar. Medhi en profite pour semer Vincent dans la foule et se dirige en trombe vers Eva et Alex. Ils dansent très près l’un de l’autre, leurs corps collés en un mouvement fluide et sensuel, et leurs visages à deux doigts de s’embrasser langoureusement.
Medhi se poste juste devant eux et leur fait comprendre qu’il est temps d’arrêter ce petit jeu.
-Mais ça va pas Medhi, on était bien comme ça avec Eva !
-Qu’est ce qu’il se passe ? Où est Vincent ?
-Vincent est au bar, Alex s’il te plait éloigne toi d’Eva et venez avec moi !
-Pour quelle raison ? Je suis bien avec elle !
-Par pitié ne me demande pas pourquoi et fais ce que je te demande s’il te plaît !
-Bon ok !
Il lâche Eva et tous les trois vont rejoindre Vincent au bar. Quand soudain, Alex le trouve en train de discuter avec une femme. La conversation à l’air d’être assez fluide et il se retourne sur Medhi :
-Je ne sais pas pourquoi tu as interrompu ma danse avec Eva mais je vois que Vincent à l’air de passer un agréable moment, maintenant si tu le veux bien je retourne danser avec elle. Eva tu veux bien qu’on y retourne ?
-Oui d’accord.
Mais Eva observe la scène de loin et se demande qui est cette femme. Cela dit, elle aime bien Alex et il est vrai que le courant passe plutôt bien entre eux.
La soirée suit son cours et même Medhi fini par trouver quelqu’un avec qui se trémousser sur la piste.
3h45 : il est temps de partir. Nos quatre amis se retrouvent pour rentrer chez eux. C’est Alex qui conduit car c’est celui, rappelons-le, qui n’a bu que du soda pendant la soirée. Eva monte devant tandis que Vincent et Medhi vont sur la banquette arrière et s’endorment l’un contre l’autre, ce qui ne manque pas de faire rire Eva et Alex qui les prennent en photo.
Ils roulent tranquillement pour ramener Medhi en premier. Alex décide d’aborder Eva :
-Dis moi Eva, tu as passé une bonne soirée ?
-Oui je me suis éclaté et tu danse très bien c’était agréable.
-Merci, toi aussi tu te débrouille très bien et tu ne m’as même pas marché sur les pieds.
-Ahah oui c’est un atout indéniable.
-Blague à part, j’aimerais te revoir.
-Tu es sérieux ?
-Oui je le suis. J’ai passé une très bonne soirée et pour être honnête, tu me plais, alors je me disais que si tu n’avais personne dans ta vie et si tu étais intéressée, est ce que tu voudrais sortir avec moi ?
Eva reste bouche bée, elle ne s’attendait pas à ça, surtout de la part d’un ami à Vincent. Cela dit malgré l’attirance certaine entre elle et son colocataire, il refuse qu’il y ait quoique ce soit entre eux, alors autant en profiter pour rencontrer quelqu’un d’autre.
-Je voudrais y réfléchir si ça ne t’embête pas. Même si tu me plait bien aussi je le reconnais. Mais je n’ai pas forcément les idées claires à cette heure-ci.
-Je comprends, je suis peut-être un peu trop direct ?
-Non ne t’en fais pas. Je te donne mon numéro de téléphone et comme ça tu m’enverras un message et j’aurais le tien.
-Ça marche.
Alex se gare devant chez Medhi qui vit encore chez ses parents. Ils réveillent leur ami et l’aide à rentrer chez lui.
Prochaine étape : chez Eva et Vincent.
Alex arrive, fait une manoeuvre dans l’allée et sort du véhicule suivi de la jeune femme. Il enregistre le numéro de téléphone de celle-ci. Vincent est toujours endormi sur la banquette arrière.
-Alex on devrait sortir Vincent de la voiture.
-Oui je sais mais je voulais te regarder encore une fois avant de partir.
Doucement celui-ci se rapproche d’Eva pour l’embrasser. La respiration du jeune homme s’accélère, il ferme les yeux et sa bouche n’est qu’à quelques centimètres de celle d’Eva.
Soudain une portière se ferme très brusquement, ce qui fait éloigner Alex d’Eva.
-On est à la maison, super on va pouvoir dormir dans un vrai lit. Merci pour cette soirée Alex et pour nous avoir ramener. Aller à la prochaine.
Vincent prend Eva par la main pour rentrer à la maison. La jeune fille est trop fatiguée pour essayer de comprendre quoique ce soit et dit à peine au revoir à son nouvel ami. Après une bonne nuit de sommeil, tous les événements de la soirée se réorganiseront de manière rationnelle. Il ferme la porte à clé. Eva tombe littéralement dans les bras de Vincent : elle vient de s’endormir soudainement.
Piochant dans ses dernières forces, il porte Eva comme une princesse jusque dans sa chambre à l’étage. Il entre dans la pièce et l’allonge sur son lit. Il lui enlève les bottes car ce sera plus confortable. Il attrape une couverture et l’étale sur elle. Il la regarde tendrement, et trouve qu’elle a l’air d’un ange. Si seulement il n’y avait pas cette barrière invisible de sa loyauté envers Ethan. Il lui fait un bisous sur le front et lui souhaite une douce nuit. Il ferme la porte et soupire. Le regard pleins de regrets et d’amertume, c’est le coeur lourd qu’il part se coucher à son tour.
Chapitre 6
Le lendemain matin, Eva se réveille toute habillée, sur sa tête ses cheveux ont livrés une bataille sans merci et son maquillage ressemble à de la buée dégoulinante sur une vitre. Mais elle remarque qu’elle n’a plus ses bottes et qu’elle sont bien posées au pied de son lit. Ça sent le passage de Vincent à plein nez, étant donné qu’après une semaine en collocation avec lui, elle a pu voir à quel point il est maniaque.
Elle prend des vêtements et se dirige vers sa salle de bain où une merveilleuse douche chaude va la débarrasser des derniers souvenirs physiques de la veille.
Une fois prête, elle descends pour prendre un petit déjeuner léger. Elle ne voit Vincent nulle part, prend une salade de fruits et regarde son téléphone : Alex lui a laissé deux messages.
4h58 J’ai passé une super soirée, on remet ça quand tu veux
5h07 J’ai vraiment envie de te revoir fais moi signe si tu en as envie toi aussi
Eva, qui a maintenant les idées plus claires, se rend compte qu’Alex n’est pas mal du tout et en se remémorant son visage, il n’a rien à voir avec Vincent. Il est aussi grand mais il est blond, les cheveux courts rasés sur les côtés et un peu plus épais sur le dessus, un teint assez pâle et les yeux verts. Un peu trop mince au goût de la jeune femme mais ça peut s’arranger avec le temps. Elle lève les yeux de son écran et se laisse aller à un petit sourire malicieux en s’imaginant sortir avec ce jeune homme. Soudain, elle entend la porte d’entrée se fermer : c’est Vincent qui est allé faire quelques courses. Il arrive dans la cuisine avec deux gros sacs remplis et les pose sur le plan de travail.
-Salut jeune fille comment ça va ?
-Bonjour Vincent, ça va bien et toi ?
-Je suis en pleine forme. Tu as bien dormis ?
-Oui merci. C’est toi qui m’a enlevé les bottes ?
-Affirmatif, c’était tout de même mieux pour dormir.
-C’est clair merci.
-Pour midi j’ai prévu du poisson en papillote et des haricots verts à la vapeur, ça te va ?
-Oui pas de soucis, je vais faire une sauce crème soja, tu m’en diras des nouvelles.
-Parfait !
-Aller comme je suis une âme charitable, je vais t’aider à ranger tout ça.
-Oh c’est tellement généreux !
Nos deux amis sourient de leurs petites boutades et se mettent au travail. De temps à autre, leurs bras se frôlent, leurs corps se touchent et leurs regards se croisent en marquant un léger arrêt dans le temps. L’alchimie est tellement palpable entre eux qu’elle peut prendre forme en une boule d’énergie solaire. On pourrait presqu’entendre leurs coeurs battre au rythme d’un troupeau de chevaux au galop. Une fois tout rangé et le repas au four, Vincent propose à Eva de prendre un apéritif. Après tout, ce n’est pas parce que c’est samedi et qu’ils ne sont que tous les deux, qu’il ne faut pas profiter de ces petits moments entre amis. Bien évidemment, elle accepte et il leur sert deux mojitos et Eva sort un assortiment de chips de légumes et de l’houmous. Ils s’installent au salon et commencent à discuter.
-Dis moi Eva, je vais aller droit au but, tu as passé une très bonne soirée hier ?
-Ah oui c’était vraiment bien, merci encore de m’avoir emmené.
-De rien. Par contre j’aimerais te demander si tu comptes revoir Alex ?
Eva est en train de boire et manque de s’étouffer avec sa boisson.
-Quoi ?
-Je te demande si tu compte revoir Alex ? Je ne suis pas stupide, j’ai bien remarqué la façon dont vous vous regardiez hier soir.
Son ton est calme et posé, mais Eva se doute qu’il y a anguille sous roche. Néanmoins, elle reste sur ce même ton et enchaîne sur la conversation.
-Et bien peut-être. Pourquoi tu me demande ça ?
-Je l’ignore, je crois que je voulais avoir ta réponse et j’avais le vague espoir que ce soit un non catégorique.
-Vincent, puisque tu mets le sujet sur la table, je vais y aller assez franchement. A la base, c’est toi qui me plaît, et ne le nie pas, je te plais aussi n’est-ce pas ?
-Eva s’il te plaît ! Ne me fais pas ça !
-Ecoute moi ! Oui c’est vrai qu’Alex me plait bien, mais dis moi franchement Vincent, hier soir tu semblais jaloux, je me trompe ?
Vincent prend une grande inspiration et lance à Eva un regard malheureux et triste.
Avec une belle compassion, Eva lui met la main dans le dos ce qui fait tressaillir notre jeune homme et accélérer les battements de son coeur.
-Eva ne te met pas en colère contre moi s’il te plait ! Mais bien sûr que j’aimerais qu’on sorte ensemble, hier soir en te voyant avec lui je bouillonnais littéralement de rage, et il a faillie t’embrasser juste avant que je sorte de la voiture, je brûlais de fureur. Et toi en plus qui tombe dans mes bras une fois dans la maison…Tu ne peux même pas imaginer toutes les pensées que j’ai eu en te voyant là contre moi. Te voir là, endormie si belle, je me suis imaginé l’espace d’un instant que tu pourrais être mienne. Mais je ne peux pas !
-Vincent j’aimerais tellement que ça puisse fonctionner entre nous. Mais tu mets cette barrière entre nous et cela me rend triste car je vois bien qu’entre nous ça pourrait marcher.
-Eva, avec tout l’amour que j’ai pour toi je ne peux pas, ton père est mon meilleur ami, je ne peux pas lui faire ça. Ce serait trahir un membre de ma famille. Il m’a sauvé la vie bordel ! Et rien que pour ça je luis dois le plus grand respect, à commencer par ne pas tourner autour de sa fille. Donc, entre nous ce ne sera qu’une belle amitié si tu le veux bien. Mais dis toi qu’on a encore quatre mois et demi à vivre ensemble, alors si on se déteste ça va compliquer grandement les choses.
Eva est abasourdie et perplexe. Vincent vient de lui déclarer littéralement sa flamme, mais son amitié envers son père est tellement forte qu’il préfère renoncer. Elle réfléchie quelques secondes à ce qu’il vient de dire. Il est vrai que lui faire la tête pendant les mois qui viennent risque d’être très lourd et l’ambiance électrique. Notre jeune femme se ressaisie rapidement, car elle est comme les chats elle retombe toujours sur ses pattes, et d’un ton des plus apaisé elle lui dit :
-D’accord Vincent, je comprends. Alors amis ?
-Oui ma belle, amis.
Et dans un geste des plus naturel, ils se prennent dans les bras l’un de l’autre, non sans regret.
-Bien si nous passions à table mademoiselle ?
-Oui je meurs de faim !
Le samedi se passe tranquillement, Eva à ses occupations de devoirs et de rangement et Vincent s’occupe un peu des quelques travaux dans la maison comme refaire quelques joints de salle de bain, ou reboucher un trou dans un mur. Le soir, ils se mettent un film d’action avec un bol de pop-corn chacun, où les commentaires de l’un et de l’autre fusent envers les acteurs. La soirée fini et chacun va dormir jusqu’au lendemain.
Le dimanche, Eva propose à Vincent d’aller faire un tour à la fête foraine, il y a longtemps qu’elle n’y a pas mit les pieds et ce serait un bon moyen de se vider la tête. Comme il fait un temps magnifique pour un mois de janvier, Vincent décide d’y aller en moto. La jeune femme est ravie, cela faisait un moment qu’elle désirait qu’il lui fasse faire un tour.
-Tiens je t’ai acheté un casque, j’espère qu’il te plaira.
-Oh merci Vincent tu es une amour.
Et, de joie, elle lui saute dans les bras. Leurs visages, une fois de plus, se frôlent et leurs yeux se plongent directement dans le regard de l’autre. Eva comprend qu’elle va trop loin et stoppe l’étreinte.
-Hum…merci beaucoup c’est très gentil, on y va ?
Le casque est rose fuchsia avec un chat noir en origami dessiné dessus. Elle est très heureuse car non seulement c’est sa couleur préférée mais en plus elle adore l’origami. Elle lui avait confié cela lorsqu’elle avait douze ans, donc c’est avec émotion qu’elle est touché de ce geste et du fait qu’il s’en souvienne. Elle enfile le casque, qui est bien ajusté à sa taille et grimpe sur la moto.
Eva entoure Vincent de ses mains pour se tenir et il démarre l’engin. C’est dans un vrombissement, majestueux que nos deux amis partent faire des tours de montagne russe et dévorer des sucreries sans se soucier de quoique ce soit.
Ils arrivent, gare l’engin, mettent les casques dans le petit coffre et s’en vont profiter de leur journée. Les heures passent, les attractions s’enchaînent et Eva et Vincent semblent les plus heureux du monde à profiter de ces instants.
-Vincent, j’ai envie de grignoter quelque chose, pas toi ?
-Mmmh si ! Un chichi ça te dis ?
-Oh oui !
Ils se dirigent vers un stand qui en confectionne et font la queue, lorsqu’une voix retentit derrière eux :
-Oh Eva bonjour !
Eva se retourne et se retrouve nez à nez avec son professeur de maths : Madame Leody.
-Bonjour Madame Leody, c’est surprenant de vous voir hors de la salle de classe ?
-J’ai une vie hors mes cours tu sais. Et vous, Monsieur, votre visage m’est familier. On ne se serait pas déjà rencontré ?
-Attendez que je réfléchisse…ah oui c’était au Sunbeach vendredi ce n’est pas si vieux que ça. Et vous êtes donc son professeur de mathématiques si, j’ai bien compris ?
-Oui c’est ça.
Anna Leody se met à glousser comme une dinde ignorant son sort à Noël. Et Eva n’est pas dupe, elle voit bien que cette femme en pince pour Vincent. Mais elle n’a pas d’autres choix que d’accepter la condition. Il a été très clair à ce sujet et notre jeune femme ne veut pas lui causer de tord. Elle accepte la situation et n’a pas le droit de se mettre en travers de sa vie privée. Mais alors qu’elle cogite, la queue avance et la prof de maths, qui a accaparé Vincent, les suit.
-Anna, ça vous dirait de vous joindre à nous ? Sauf si vous êtes avec quelqu’un.
-On peut se tutoyer ce serait mieux non ? Et puis je suis venue avec ma nièce de onze ans qui en est à son troisième tour de montagne russe, et comme je n’aime pas les manèges à sensation, j’attends. Mais oui pourquoi pas, ce serait sympa. Et puis Eva on apprendrait à se connaître qu’en penses tu ?
-Rien Madame Leody, je n’en pense rien.
La prof de maths qui est toute en joie, perds tout à coup sa bonne humeur. Eva lui fait bien comprendre en une seule réflexion, qu’elle n’a aucune envie de trainer avec elle. Cela dit Anna n’est pas de cet avis et compte bien rester avec eux deux. Sa nièce revient vers sa tante et lui adresse un charmant :
-C’est qui eux ?
-Ce sont des amis à moi, et on va rester avec eux jusqu’à la fin de la journée.
-Mouai ! Je vais à la maison hantée !
-Oh quelle bonne idée, on y va Vincent ?
-Euh on va peut-être finir nos chichis d’abord.
-Parfait alors on vous attend là-bas.
La prof et sa nièce s’en vont vers l’attraction. Et Eva en profite pour glisser un mot à son ami :
-Tu n’es pas sérieux ? On ne va pas rester avec ma prof de maths ? Si ?
-Et bien en fait elle est plutôt sympa. Bon certes elle a l’air un peu godiche comme ça, mais en réalité j’ai parlé avec elle au Sunbeach et c’était pas mal comme conversation. Je vais lui donner sa chance, viens toi aussi, peut-être que ça vous rapprochera pour les mois qui arrivent ?
-C’est toi qui le dis !
Malgré ses réticences, Eva se rend tout de même à la maison hantée et bien entendu, comme c’était prévisible, Anna s’accroche au bras de Vincent comme une tique sur le dos d’un chien, tandis qu’elle se coltine la nièce pas très aimable de sa prof. Chacun des duos montent dans un petit wagon mécanique de l’attraction, et entrent dans l’obscurité. Madame Leody hurle de toutes ses forces de peur, on se demande si elle n’en rajoute pas un peu, mais sa nièce reste de marbre, rien de lui fait d’effet. Eva se décide à lui adresser un peu la parole :
-Tu t’appelle comment ?
-Vanessa et toi ?
-Eva.
-C’est joli comme prénom.
-Merci. Je n’ai pas l’impression que tu sois heureuse d’être là, je me trompe ?
-Si je suis contente mais pas trop.
-Pourquoi ?
-Ma tante m’énerve, elle n’est avec moi que pour rencontrer quelqu’un et d’ailleurs ton frère semble être le candidat idéal.
-Ah ah non ce n’est pas mon frère !
-C’est ton petit copain ? Tu ferais mieux de faire attention à ma tante alors !
-Perdu, c’est juste un très bon ami rien de plus.
Rien de plus pense Eva les yeux perdus dans le vide, elle réalise soudain que ce ne sera “rien de plus”, et pour couronner le tout, elle entend la voix nasillarde et le gloussement d’Anna dans le charriot derrière elle, même Vincent rit. La journée semblait belle et elle tourne au désespoir.
Une fois l’attraction terminée, la jeune femme va voir Vincent pour lui demander de rentrer chez elle. Elle sort comme excuse qu’elle est fatiguée et qu’elle a une longue journée de cours le lendemain. Comme le jeune homme se soucie du bien-être de sa protégée, il n’insiste pas et la ramène à la maison. Une fois de retour, Eva monte dans sa chambre. Vincent ne sait pas quoi penser de cette soudaine froideur mais il la laisse tranquille et se met sur le canapé avec un magazine. Pendant ce temps, Eva prend une décision, elle attrape son téléphone dans son sac et envoie un message à Alex qui lui répond dans l’instantané.
18h40 Salut Alex tu vas bien ?
18h41 Salut oui ça va et toi ?
18h42 Je vais bien. Tu voudrais qu’on se voit un de ces jours ?
18h42 Ah mais carrément ! J’en rêve !
18h43 Quand est ce que tu es libre ?
18h44 Je ne travaille jamais le lundi.
18h45 Je finis mes cours à 15 heures tu peux me rejoindre au lycée si tu veux et après on va boire un coup au petit café du coin. Qu’en penses-tu ?
18h46 Pas de soucis je serais là à la sortie à t’attendre. Vivement demain !
18h47 Moi aussi alors à demain bises.
18h48 Bisous fais de beaux rêves.
Eva descends rejoindre Vincent, plus souriante qu’à son retour, propose de commander des pizzas et de passer un moment paisible avant d’aller se coucher. Une fois le repas fini, nos deux amis font un peu de rangement, discutent de choses banales et montent se coucher en même temps. En haut des escaliers, Vincent regarde Eva qui se dirige dans sa chambre après lui avoir adressé un bref “bonne nuit”. Il ne le sait pas encore mais bientôt ça va être l’ascenseur émotionnel dans son esprit et son sang froid va être mis à rude épreuves.
Chapitre 7
Un mois et demi vient de passer et nous sommes en mars. Les journées sont assez douces en température, et le soleil se montre tous les jours.
Nos deux amis ont fait un petit bout de chemin chacun, mais pas ensemble.
Eva sort avec Alex depuis le jour où il l’a attendu la première fois devant le lycée, quant à Vincent, il voit régulièrement Anna Leody. La jeune femme a demandé à Vincent de ne pas emmener sa copine dans la maison et il en est de même pour elle : interdiction qu’Alex mette les pieds dans cette demeure. Malgré les tensions entre tous, Eva semble heureuse de passer du temps avec son nouveau copain, en apprenant à le connaître de jour en jour. Malheureusement, en essayant d’oublier Vincent, Alex parle très souvent de lui, étant donné qu’ils sont amis d’enfance et qu’ils ont partagés les bancs de l’école ensemble. Cela dit, elle aime passer de tendres moments en sa compagnie.
Par contre en ce qui concerne sa professeur de maths, c’est assez différent. Madame Leody, en classe, se montre assez impitoyable avec les autres élèves mais fait des faveurs et des gentillesses auprès d’Eva. Cela la met très mal à l’aise, car souvent elle lui sourit assez niaisement, l’interpelle dans la cours du lycée où même, vient s’immiscer dans ses conversations avec Candice, tout ça pour en apprendre plus sur Vincent. Cette situation à le don d’agacer la lycéenne mais elle reste toujours courtoise malgré tout.
Le weekend est déjà là et chacun vaque à ses projets.
Alex est venu chercher Eva pour aller au cinéma et manger au restaurant juste après. Une fois dans la voiture, il lui demande :
-Tu as prévu quelque chose pour le weekend prochain ?
-Non pas vraiment, je n’y ai pas trop réfléchi. Pourquoi ?
-Je voulais te proposer de partir deux jours à la montagne. Mes parents possède un petit chalet qu’ils louent, et il n’y a personne la semaine prochaine. Donc je me suis dis qu’on pourrait peut-être y aller toi et moi ?
-En effet ce serait super, mais il y a un hic !
-Lequel ?
-Vincent !
-Quoi Vincent ? Il n’est pas ton père que je sache, et puis tu as dix-huit ans je te rappelle !
-C’est vrai mais c’est tout de même lui qui me “garde” pendant que mon père est à l’étranger.
-Tu as les moyens de joindre ton père ?
-Bien évidemment ! Je pourrais lui demander. Et puis aussi, je vais lui poser la question à tout hasard. On ne sait jamais, il dira peut-être oui, qui sait ? Si mon père accepte, il ne pourra pas s’y opposer.
-Super ! Alors je croise les doigts pour que ce soit positif.
Alex et Eva arrivent au cinéma. La séance se déroule assez classiquement avec, dans la salle, quelques craquements d’emballages de bonbons, de paquets de chips entamés, d’odeur de popcorn encore chaud et de téléphones portables s’allumant inopinément, à la réception de textos. Une fois la séance terminée, nos tourtereaux se dirigent vers le restaurant. Il s’agit d’une brasserie où ils servent une délicieuse cuisine maison. Ils sont réputés pour leur fameux beignets de poissons.
Pendant le repas Alex observe très attentivement la jeune femme. Il prend conscience qu’Eva et lui ne sont pas allés plus loin dans leur relation. Elle n’a jamais passé une nuit dans son appartement et par respect, il n’a jamais demandé ou insisté. Mais quelque chose lui trotte dans l’esprit. Inutile de se faire des illusions sur les intentions d’Alex. Eva est belle et pleine de qualités. Elle est majeure, sait ce qu’elle veut dans la vie et ses conversations sont toujours très riches.
Pendant le dessert, le jeune homme décide de parler à coeur ouvert :
-Dis moi Eva, est ce que tu veux rester chez moi ce soir ?
La jeune femme s’arrête soudainement de manger sa tarte aux citrons, et regarde son interlocuteur droit dans les yeux, l’air interrogateur.
-Je ne sais pas.
-Tu ne sais pas ? Mais est-ce que cela te ferait plaisir ?
-Oui pourquoi pas.
-On dirait que tu hésite, c’est à cause de Vincent encore, c’est ça ?
-Non ! Ta question m’a juste surprise c’est tout.
En réalité, ce qu’Eva n’ose pas dire à Alex, c’est qu’elle n’a jamais eu de relation sexuelle avec un garçon. Elle n’en a pas honte, mais ne sait pas comment aborder le sujet avec lui. Et pour tout dire, elle espérait secrètement que ce soit avec Vincent. Mais malgré que ce soit “mort” entre eux pour une relation de quelconque nature, elle n’a pas envie de passer à l’acte ce soir. La jeune femme détourne le sujet de conversation en parlant du contenu de leurs assiettes. Le jeune homme accepte de suivre avec enthousiasme, mais ne renonce pas. Une fois le repas terminé et l’addition payée, ils montent dans la voiture et Alex lui repose la question :
-Tu veux venir passer la nuit chez moi ou je te ramène ?
-En fait ça aurait été avec grand plaisir mais ce n’est pas la bonne période du mois et ce serait dommage de nous gâcher la soirée avec ça, tu comprends ?
-Oh je vois ! Oui je comprends tout à fait je n’insiste pas. Désolée Eva, je ne voulais pas te mettre mal à l’aise. Par contre, tu vois pour la semaine prochaine ?
-Oui je vais mettre le paquet pour pouvoir être avec toi au chalet.
Alex fait un clin d’oeil à sa copine et la reconduit chez elle, non sans être un peu frustré mais compréhensif. Ils s’embrassent d’un bref baisé dans la voiture et le jeune homme rentre chez lui. Eva reste quelques instants devant le perron de sa porte d’entrée perdue dans ses pensées. Elle ne sait pas ce qu’elle ressent vraiment pour lui et réalise qu’il va falloir qu’elle se positionne sur ses sentiments. Sont-ils véritables ? Est-elle amoureuse profondément ?
Les yeux rivés vers le ciel étoilé, elle entraperçoit du coin de l’œil, de la lumière dans le jardin. Elle s’y dirige et tombe sur un Vincent en train de boire quelque chose, assis sur un transat.
-Salut jeune homme !
-Oh salut jeune fille, tu as passé une bonne soirée ?
-Oui ça va et toi ?
-Bof ça ne restera pas dans mon top dix des meilleures soirées.
-Tu étais avec Anna ?
-Oui mais je n’ai pas voulu resté chez elle.
-Pourquoi ça ?
-A cause de toi voyons !
-De moi ?
-Mais oui, tu es sous ma responsabilité et je me dois de rester à la maison avec toi.
-Mmmh je suis perplexe, tu es vraiment sûr au fond de toi qu’il n’y a que ça ? Parce que si tu avais eu envie de passer la nuit chez elle, tu aurais insisté pour que j’aille squatter chez Candice. Alors ? C’est quoi ta véritable excuse ?
-Je constate que tu es perspicace. Mais oui je ne voulais pas rester avec elle ce soir.
-Elle est aussi ennuyeuse qu’en classe ?
-Non, ce n’est pas ça, c’est juste qu’elle a des envies qui ne concordent pas avec les miennes.
-Vas-y dis m’en plus !
-Non ça ira pour les confidences ce soir.
-Très bien. Tu bois quoi ?
-Du thé, tu en veux ?
-Oui je veux bien.
-Viens on rentre dans la maison, l’humidité de la nuit commence à tomber, il ne faudrait pas tomber malade.
Eva s’installe sur le canapé dans le salon, en ayant prit soin de retirer ses escarpins qui commençaient à lui tirailler la plante des pieds.
Vincent arrive avec ses deux tasses de thé à la main, et s’assoit à son tour près de sa protégée.
-Tu as mal aux pieds ?
-Comment tu le sais ?
-Je le vois à la rougeur de tes orteils.
-Charmant !
-Non je ne plaisante pas ! A l’armée, les rangers font le même effet quand tu n’es pas habitué.
Vincent pose sa tasse de thé sur la table basse, attrape les pieds d’Eva,
et les installe sur ses cuisses. Il la regarde avec une telle tendresse que même le plus solide des métaux, fondrait devant ces yeux bleus azur. Un léger sourire en coin accentue le charme de cet homme, et ses doigts commencent un massage intense.
Le soulagement est tel qu’Eva à l’impression de se retrouver dans un bain chaud entouré de pétales de roses. La sensation est extraordinaire et tout son corps se détend.
-Ça fait du bien ?
-Oh que oui et surtout ne t’arrête pas !
-Je n’arrêterais que lorsque tu me le diras.
-Parfait alors bonne nuit !
Vincent se met à rire ainsi qu’Eva. Une fois de plus leurs regards se croisent, sauf que cette fois-ci chacun fixe l’autre sans décrocher. Le temps s’arrête. Pas un bruit ne vient troubler ce moment, juste tous les deux dans cet instant suspendu, les yeux dans les yeux. Le jeune homme ralenti ses mouvements et repose les pieds de la jeune femme sur le sol très doucement, comme s’il s’agissait d’une pièce de cristal, mais il reste assis. Eva prise d’un soudain accès de confiance en elle, se lève, regarde Vincent de toute sa hauteur et vient s’asseoir en cavalier au-dessus du jeune homme. Pour la première fois, il ne dit rien, n’essaie même pas de la dissuader ni de la repousser. Leurs visages sont très proches, et toujours les yeux rivés dans ceux de l’autre. La lycéenne positionne ses mains dans le cou de son ami, et l’attire contre elle pour l’embrasser passionnément. Quant à lui, ses bras entourent le corps magnifique de celle qui fait réellement vibrer son coeur. Il lui rend son baiser avec encore plus d’intensité, et commence à lui retirer son chemisier tandis qu’elle lui enlève son t-shirt. Eva embrasse la mâchoire de Vincent tout en caressant son torse musclé. Lui, passe ses mains soigneusement dans le dos jusqu’aux fesses de sa dulcinée, comme s’il découvrait une somptueuse sculpture de marbre sous un drap de satin. Cet homme est la délicatesse même, et Eva le comprend bien. Les baisers se font plus intenses et plus insistant. Elle cesse de l’embrasser et lui chuchote quelques mots à l’oreille, et avec une tendresse extraordinaire, il lui sourit et promet d’y aller en douceur et à son rythme.
Après des préliminaires remarquables, Vincent attrape Eva comme une princesse, la porte jusque dans sa chambre à lui et l’allonge sur le lit. Il retire son pantalon et son boxer et la jeune femme se fait la réflexion, que ce corps d’homme est encore plus beau que la première fois qu’elle l’a vu, une nuit dans la cuisine.
Il ouvre le tiroir de sa commode et prend une petite boîte d’où il sort un préservatif. Il le met, fini de retirer les vêtements d’Eva, se penche
au-dessus d’elle, l’embrasse et se glisse tout doucement en elle. L’extase est au summum, le temps et l’espace n’existe plus. Vincent est doux avec sa belle Eva et le moment est plus que magique.
La nuit passe comme une caresse et nos deux tourtereaux s’endorment l’un contre l’autre le sourire aux lèvres. Cela dit, que va-t-il se passer lorsqu’ils retrouveront leurs esprits et que la douceur du moment sera passée ? Décideront-ils de braver les interdits ? Resteront-ils avec leurs compagnons respectifs ? Ou est-ce que cela aura été une aventure passagère ?
Le lendemain matin, Eva se réveille la première. Elle s’assoit sur le bord du lit et se retourne pour regarder son amant, qui lui, dort sur le ventre la tête tournée vers elle. Un sourire lumineux aux lèvres, elle repense à la soirée de la veille et ne peut s’empêcher d’émettre un petit rire. Finalement son samedi ne s’est pas vraiment terminé comme elle l’aurait pensé, mais ça en valait la peine selon elle.
Elle se lève et va dans sa salle bain, au bout du couloir. Elle observe son corps et se sent différente, comme si elle avait franchi un cap. D’ailleurs c’est le cas si on y pense.
Après une bonne douche délassante, et s’être habillée; elle descend à la cuisine se faire un peu de café. Une fois servi, elle prend un croissant acheté la veille par Vincent, et s’installe au comptoir avec son téléphone. Son sourire perd de son éclat lorsqu’elle remarque cinq messages d’Alex.
23h45 J’ai encore passé une très bonne soirée, même si j’aurais aimé que tu reste
0h22 Tu me manques, j’aimerais vraiment que tu puisses venir au chalet le weekend prochain.
0h24 Je suppose que tu t’es vite endormie alors bonne nuit ma belle à très vite
7h36 Bonjour Jolie Eva, je sais qu’il est un peu tôt mais tu voudrais passer la journée avec moi ? Réponds moi vite s’il te plaît !
9h00 Bon et bien tant pis je m’en vais. Bonne journée.
Oh non se dit-elle ! C’est vrai qu’il y a Alex.
Prise d’une culpabilité soudaine, elle commence à se poser mille et une questions. Comment va-t-elle faire ? Doit-elle lui dire ? Le quitter ? Elle n’a pas le temps de trop cogiter que Vincent arrive dans la pièce en simple boxer. La vue de ce corps lui suffit à oublier en un instant ses contrariétés.
-Bonjour toi.
-Salut jeune homme. Comment ça va ?
-Je vais bien et toi ?
-Moi aussi. Tu veux un café j’en ai fais il est bien chaud.
-Oui merci.
Elle lui sert une bonne tasse et s’assoit à côté de lui.
La tension est toujours présente, et on imagine très bien ce qu’il se passe dans la tête de nos deux tourtereaux, ils n’osent pas se regarder presque honteux. C’est Vincent qui démarre la conversation :
-Dis moi Eva, va falloir qu’on parle sérieusement.
-Ça je m’en doute. Vas-y je t’écoute !
-Bon tout d’abord, j’ai passé une très belle nuit. Je ne te cache pas que j’en avais vraiment envie et que je n’ai même pas opposé de résistance.
-Oui j’ai remarqué ça, et je t’en remercie.
-Cela dit, même si c’était formidable. On ne peut pas continuer. Par contre on vient de franchir un cap ensemble et il faut qu’on sache ce qu’on veut. Parce que, vois-tu, la situation serait moins compliqué si nous n’avions pas de compagnons chacun. Hélas, toi tu as Alex et moi Anna. D’ailleurs, je suis bien ton premier ?
-Oui, et pour tout te dire, Alex voulait que je reste hier soir et j’ai prétendu avoir mes règles pour ne pas passer la nuit avec lui. C’est toi que je voulais Vincent. Depuis le début c’est toi. Je ne sais pas ce que nous réserve la suite, mais là à l’instant, c’est avec toi que je veux être.
Le jeune homme reste les yeux dans le vague et repense à ce que vient de lui avouer Eva. La situation se complique pour lui et il ne sait pas du tout comment tout cela va finir, ni comment il veut que cela finisse. Tout ce qu’il a en tête, c’est sa jolie partenaire qui se trouve juste à droite de lui et le souvenir, encore frais, de leur nuit ensemble. Soudain, il se lève, se dirige vers les escaliers, et monte d’un pas déterminé, dans sa chambre. Eva reste assise les yeux rivés sur son café. Le bonheur d’il y a quelques minutes vient de disparaître. Les larmes commencent à remplir ses yeux et la tristesse prend sa place, lorsqu’elle sent des bras s’entourant en douceur, autour d’elle et la chaleur d’un corps. Vincent pose sa tête dans le cou de son amante et lui susurre que pour l’instant, il ne souhaite qu’une chose : passer la journée avec elle dans la maison. Ils réfléchiront plus tard. La jeune femme se détend et retrouve son sourire. Eva se tourne vers lui et l’embrasse fougueusement. Il lui rend son baiser avec autant de passion. Il la soulève et l’installe sur le comptoir. Les téléphones resteront silencieux pour la journée, et nos deux jeunes gens seront en mode “hors ligne” pour n‘importe quel appel ou visite.
Ce que Vincent est allé chercher dans sa chambre : sa boîte de préservatif. Ce dimanche du mois de mars promet de beaux et doux moments, mais aussi son lot de problèmes à venir.
Chapitre 8
Lundi est déjà là. Eva s’est préparée pour aller au lycée et Vincent pour sa formation. Chacun est dans sa salle de bain respective, et une fois prêt ils se retrouvent à la cuisine pour le petit-déjeuner.
Malgré le weekend sensuel et passionné qu’ils ont passé, la réalité va les rattraper.
Vincent entame la conversation :
-Tu as bien dormi ?
-Très peu en vrai, et toi ?
-Pas beaucoup non plus. J’ai trop réfléchi je crois !
-Tu n’avais pas l’air de “réfléchir” hier après-midi !
Un sourire malicieux se dessine sur le visage d’Eva. Si elle se trouvait dans une bande dessinée, on verrait la bulle de ses pensées au dessus de sa tête, et des images de son dimanche s’afficheraient. Vincent la regarde d’un oeil séducteur, et on peut aisément imaginer ce qu’il se passe dans son esprit à cet instant. Ni une ni deux, il se dirige vers elle d’un pas décidé et l’embrasse fougueusement.
-Qu’est ce que tu me fais Eva Calendal ? Je ne sais plus où donner de la tête, mes pensées sont embrouillées, et le pire c’est que je suis un sale traître.
-Pourquoi un traître ?
-Je suis même doublement un traître. D’abord vis à vis de ton père, je ne veux pas du tout imaginer la suite. Et envers Anna.
-Ah oui c’est vrai. Et puis il y a Alex, oh le pauvre ! Qu’est ce que je vais lui dire ? Et puis, il faut que je lui donne une réponse pour le weekend qui arrive.
-Attends ! Quel weekend ?
-Ah oui j’ai un peu oublié de t’en parler, mais en même temps on a été légèrement distrait. Bref ! Alex m’a invité dans le chalet de ses
parents, et je ne lui ai pas encore donné de réponse.
-Oh punaise, le fameux chalet !
-Pourquoi dis tu ça ?
-Il emmène très souvent ses conquêtes là-bas pour, justement, passer à l’acte.
-Oui c’est sa garçonnière si je comprends bien.
-C’est ça ! Et tu compte y aller ?
-Je n’en sais rien. Depuis samedi soir, je ne suis plus sûre de quoique ce soit.
-Moi non plus et je ne suis pas très à l’aise avec ça. C’est plutôt la suite qui m’inquiète.
-Bon j’adorerais discuté avec toi encore un peu, mais il faut que j’aille en cours et je vais arriver en retard.
-Je t’emmène !
-Non ça ira merci.
-Ce n’est pas une question.
-Ok, mais en moto alors !
-Bien madame !
Un beau rictus sur le visage de nos deux amis s’installe, et chacun prend un casque et un blouson.
Vincent monte en premier et démarre la moto. Eva s’installe contre son amant et prenant soin de bien l’entourer de ses bras. La tendresse est au rendez-vous et le soleil s’élevant dans le ciel, ne peut qu’illuminer ce très joli moment.
Arrivé à l’établissement scolaire, Eva descend joyeusement et tend son casque à Vincent qui le range dans le petit coffre. Elle a très envie de l’embrasser, mais renonce.
-Merci Vincent. Je rentrerais avec Candice ne t’inquiète pas.
-Très bien. Mais en cas de soucis tu peux m’appeler.
-Bonne journée.
-Merci a toi aussi.
Et dans un vrombissement bien exagéré, il repart.
La meilleure amie de notre lycéenne, arrive en courant et lui saute dans les bras.
-Eva chérie, regarde moi droit dans les yeux !
-Pourquoi ?
-Fais ce que je te dis s’il te plaît !
-D’accord !
-Oh la la ! Toi et moi il faut qu’on parle, à ton regard, tu as beaucoup de choses à me raconter. Là ça va être chaud parce que ça va sonner, mais dès qu’on a un moment de libre, je veux tout savoir.
L’enthousiasme des deux jeunes femmes fait plaisir à voir, et c’est bras dessus bras dessous, qu’elles se rendent à leur premier cours.
La journée ne leur laisse pas un seul moment de répit. Même pour l’heure du déjeuner, il n’y pas un seul instant où elles peuvent être seules.
Il est 13H45 et les deux lycéennes se dirigent vers le cours de science, lorsqu’une voix retentit dans le couloir.
Eva marque l’arrêt, lève les yeux au plafond, et ne veux surtout pas entendre cette personne, mais elle n’a pas le choix.
-Bonjour Madame Leody.
-Ah bonjour Eva, tu peux m’appeller Anna tu sais.
-Non !
-Ah euh ok. Je voulais te demander si Vincent allait bien ?
-Oui il va bien pourquoi ?
-Parce que j’ai essayais toute la journée d’hier de le joindre, mais impossible. Pas un message, pas un appel, rien du tout. Alors je m’inquiète.
-Ah maintenant que vous le dites, Vincent est resté au lit car il était très fatigué. Je lui dirais de vous appeler, là il est occupé et il a beaucoup de révisions pour ses examens à venir.
-Merci c’est très gentil. A demain.
-C’est ça, à demain.
Une fois la professeur de maths partie, Candice se retourne vers son amie, les yeux écarquillés, car elle vient de comprendre le véritable déroulement du weekend de sa copine.
-Eva ? Vincent était “fatigué” ?
-Oui, d’une certaine manière.
-Oh…mon…dieu ! Mais c’est génial !
-Oui et non, mais on en parlera plus tard si tu veux bien ?
-Pas de soucis. Mais je te préviens, je veux tous les détails ! Compris ! Je savais bien que quelque chose était différent !
-C’est d’accord !
Les heures passent et Candice n’est pas du tout concentré sur les cours. Elle n’a qu’une hâte, c’est d’en savoir plus, car les histoires croustillantes : elle adore ça. Eva, quant à elle, cogite beaucoup. Elle sait qu’Alex va se manifester, et va vouloir aller plus loin dans leur relation. Elle ne veut pas lui faire de mal, et elle tient à lui, mais pas comme elle tient à Vincent. Pendant que le professeur déblatère son cours, elle ferme un instant les yeux, et revoit son doux amant l’embrassant et la caressant. Son regard gourmand posé sur elle, et elle lui mordant l’épaule de plaisir. Soudain, une pensée lui vient : et si jamais il couche avec Anna, elle va voir la trace de morsure. Et quelle sera son excuse ?
Elle secoue un peu sa tête, comme si elle voulait remettre ses idées en place et se fait interroger par Monsieur Pardec. Par chance, elle connait ses leçons par coeur et les soupçons du professeur s’évanouissent.
La journée se termine enfin, et nos deux copines sortent du lycée. Elles décident d’aller boire un café à la crêperie, qui se situe deux cent mètres plus loin. Mais leur joie est de courte durée. Une voix masculine les interpelle et ce n’est pas bon du tout.
-Eva ? Candice ?
-Oh Théo, ça faisait longtemps ? Pas assez à mon goût !
-Oh c’est bon Candice, lâche moi ! De toute façon c’est à Eva que je veux parler.
-Qu’est ce que tu veux Théo ?
-Je voulais prendre de tes nouvelles c’est tout.
-On est dans la même classe ! Non qu’est ce que tu veux réellement ?
-Je veux qu’on se remette ensemble bébé !
-Déjà ne m’appelle pas comme ça je déteste, et en plus la réponse est non !
-Oh aller s’il te plaît !
-Ah parce que tu crois que “s’il te plaît” ça va suffire ?
-Pourquoi tu fais ça ? Je t’aime toujours tu sais ?
-Je suppose que ta chère Gwen ne veux plus entendre parler de toi ?
-Non et puis de toute façon on est plus ensemble, je ne l’aimais pas, c’est toi qui compte à mes yeux.
-Et bien je suis ravie pour toi mais c’est à sens unique, je ne t’aime pas, je ne veux plus de toi, c’est fini entre nous et basta !
-C’est à cause du mec qui t’a emmené en bécane ?
-Non !
-Alors c’est l’autre avec sa bagnole ?
-Non plus !
Il se recule et la déshabille d’un regard malsain et pervers. Rien à voir avec Vincent ou Alex. Il ressemble, à cet instant, à un prédateur prêt à se jeter sur sa proie pour la torturer avant de la dévorer.
-Oh putain j’ai compris ! Tu te tape les deux c’est ça ?
-Mais enfin non !
-Oui c’est ça ! Ton attitude a changée je le vois bien. Deux mecs et moi j’ai jamais rien eu ?
Il se rapproche d’Eva qui essaie de reculer mais il est plus rapide qu’elle, la colle contre le mur et met son front contre le sien. Son haleine pas très fraîche, emplit les narines de la jeune femme, ce qui rend la situation encore plus désagréable, mais elle essaie de garder son calme. Inutile de faire un scandale devant l’établissement, et de voir la vidéo tourner en boucle sur internet. Parce que, bien entendu, les “courageux” préfèrent filmer plutôt que de porter secours à la jeune femme. Il lui murmure des paroles qu’elle seule peut entendre :
-Quand je pense que tu n’as jamais voulu que je te touche les seins ? Et que même te mettre la main plus haut que les cuisses, c’était interdit ? Et je vois que d’autres en profite et que moi rien ? Mais t’es qu’une p…
Il n’a pas le temps de finir sa phrase, qu’il reçoit un violent coup de genou entre les jambes. Il se plie en deux de douleur et reprends un coup dans le dos qui le scotche sur le sol.
-Ecoute bien Théo, pour moi et toutes les autres filles, le respect tu connais ? Quand on te dit non, ça veut dire non ! Et plus jamais tu t’approche de moi tu entends ?
Elle lève la tête vers tout le groupe d’élève qui s’est rassemblé autour d’eux, téléphones en mains évidemment, et leur adresse ses paroles :
-Vous êtes content maintenant ? Vous avez eu ce que vous vouliez ? Et maintenant Théo, tout le monde au bahut va voir que t’es fais mettre minable par une nana ! Aller bonne chance pour les jours qui arrivent !
Candice et Eva partent, oubliant la crêperie. Malgré son self-control, la jeune fille est bouleversée car malgré que son ex copain se soit emporté violemment, il a raison sur un point : il a vu un changement. Finalement, il est plus observateur que ce qu’il n’y parait. Cela ne justifie pas son comportement bien entendu.
Les filles arrivent chez Eva et s’installent dans la cuisine pour bavarder. Il est 17h et Vincent ne va pas tarder. Elles discutent un moment et Eva fini par tout lui raconter : sa soirée avec Alex et sa première fois dans les bras de Vincent, suivi du dimanche.
-Waouh, c’est trop beau. Il a vraiment l’air d’être un homme bien.
-Oh oui, franchement ça a été magique.
-Et maintenant tu vas faire quoi ?
-C’est une bonne question. Franchement je n’en sais rien. D’un côté, je voudrais que Vincent et moi ce soit acté et comme ça c’est bon, mais d’un autre il y a Alex a qui je ne veux pas faire de mal. Et puis Vincent est avec la mère Leody. Je suis perdue, mais je crois que lui aussi. Ce soir on va en discuter tous les deux et on mettra les choses au clair.
-Tu as raison.
La porte d’entrée s’ouvre et on entend Vincent qui vient de rentrer, mais pas tout seul.
Eva se précipite dans le hall et tombe nez à nez …. avec son père.
Elle n’en croit pas ses yeux et lui saute dans les bras, les larmes aux yeux.
-Oh ma chérie tu m’as tellement manqué !
-Moi aussi papa !
Il l’embrasse sur le front et lui explique qu’il a prit une semaine de congés pour souffler un peu et surtout revoir sa fille. Vincent était au courant, mais a gardé le secret.
-Ah c’est bon de revoir sa maison. Ce soir resto pour tout le monde !
-Super papa on va se retrouver tous les trois.
-Je t’arrête ! Non nous serons cinq !
-Cinq ?
-Mais oui cinq. Toi et ton petit copain Alex, Vincent et sa copine et moi.
Eva essai de rester la plus calme possible, mais intérieurement elle hurle et court comme une folle pour se sortir de cette situation. Elle jette un oeil à la cuisine et voit Candice étouffer un fou rire. Comment cette journée ne pourrait pas être pire ?
-Mais papa, tu n’es pas fatigué de ton voyage ?
-Oh non, j’étais en première classe dans l’avion, bien traité et bichonné. J’ai pu bien me reposer. Donc ce soir on va manger italien chez Donatello. C’est bon on est ok ? Vincent ?
-Oui oui c’est bon, j’ai envoyé un message à Anna et Alex pour les prévenir de nous rejoindre au restaurant directement.
-Mais…quoi ? Comment ?
-Désolé Eva, mais je tenais tellement à te faire une surprise. Pardon ma chérie, je sais que tu n’aimes pas trop ce genre de plan.
-Non papa ne t’inquiète pas. Petite question : ça ne te dérange pas que je sorte avec un copain à toi ?
-Alex n’est pas vraiment un de mes amis, mais s’il te rend heureuse ça me va.
-Donc les six ans d’écart ne te dérange pas ?
-Non, et puis tu es majeure quand même. Je vais prendre une bonne douche. On part vers 19h c’est bon pour tout le monde ?
-Oui papa c’est bon.
-Compris Ethan. Je vais me préparer aussi.
Eva reste bouche bée et surtout en colère contre Vincent. Elle sent une main sur son épaule : c’est Candice qui est toujours là et qui a tout entendu.
-Eva calme toi ! Tu as besoin d’une conversation des plus sérieuses avec Vincent.
-Ah ça oui ! Bon la surprise de mon père à la maison c’est merveilleux. Je n’avais pas réalisé à quel point il m’a manqué, malgré qu’on se voit à travers l’écran de la tablette, l’avoir près de moi et dans mes bras c’est autre chose. Mais là…bon aller je vais me préparer et essayer de garder mon sang froid.
-J’y vais. Tu auras encore plus de choses à me raconter comme ça.
-Ah oui mais là ça va prendre une demie journée à ce train là. Bisous ma belle on se voit très vite.
-C’est ça bye !
Eva referme la porte et se tourne vers les escaliers, les yeux emplis de rages et d’incompréhension. Elle monte vers sa chambre qui se trouve tout de suite à gauche des dernières marches. Une fois devant sa porte, elle prend la poignée pour entrer et s’arrête. Elle entend le bruit de la douche venant de la chambre de son père. La chambre où est Vincent se trouve au bout du couloir. Elle regarde chacune des portes, et tout à coup se dirige vers celle au bout du corridor. Le regard décidé, le corps raidi, elle ne prend même pas la peine de frapper et entre en trombe dans la chambre où Vincent est en train de se déshabiller, assit au bord du lit. Ce même lit, où la veille, ils ont partagés de délicieux moments.
-Il faut qu’on parle ! Et tout de suite !
-Là immédiatement ?
-Oui ! Je ne sortirais pas de cette chambre avec au moins un minimum d’informations !
-Tu as raison. Mais va falloir faire vite pour que ton père ne nous surprenne pas.
-D’accord ! Alors première question : je suis quoi pour toi ? J’ai besoin de savoir si j’ai été juste une aventure ou si ça peut s’inscrire dans la durée ?
-Putain Eva pas cette question et pas ce soir s’il te plaît !
-Non je veux savoir tout de suite !
Les larmes commencent à lui monter; partagée entre colère et chagrin. Vincent essaie de garder la tête froide mais cela semble difficile. Eva voit bien qu’il est entre le marteau et l’enclume. Et lui ne peut que contempler la beauté de cette jeune femme. Malgré sa fureur envers lui, elle reste belle, et ses cheveux auburn tombant sur ses épaules, ne font que lui rappeler la douceur de la veille. Il revoit, lui aussi, son corps ondulant sur lui, sa peau délicate et gourmande glissant sous ses grandes mains. Soudain, Eva s’abat sur lui pour l’embrasser fougueusement. Elle le plaque contre le matelas, lui grimpant dessus et l’obligeant à s’allonger. Il ne la repousse pas évidement, trop avide de désir et d’envie. Il lui rend son baiser avec autant d’ardeur. Il la déshabille et elle fait de même. Il l’attrape et se dirige vers la salle de bain tout en continuant à l’embrasser. Il allume la douche pour que le bruit de l’eau masque le vacarme qui va suivre. Il met un préservatif, retire le reste des vêtements qu’il leur reste et dans un acte inespéré, nos deux amants laissent libre court à cette passion dévorante. La soif d’union charnelle étant trop forte pour qu’ils résistent, ils oublient pendant une demie heure, le monde qui les entoure.
Et pendant que nos deux fous, sont sous l’eau, Ethan ne se doute pas une seconde de ce qu’il se passe sous son toit. Il sort de sa chambre beau comme un sous neuf, rasé, parfumé et habillé d’une simple chemise blanche et d’un jean bleu foncé. Les cheveux coiffé en arrière et la fine chaîne en argent que sa fille lui a offert pour son anniversaire.
Ethan est un très bel homme et Eva regrette qu’il ne veuille pas refaire sa vie. A moins que la soirée leur réserve des surprises bien plus intéressantes…
Chapitre 9
Après cette fin de journée mouvementée, nos trois compagnons se retrouvent devant Chez Donatello, qui est le restaurant préféré d’Ethan. Anna est déjà là tandis qu’Alex a un peu de retard. On ne va pas se le cacher, Eva et Vincent sont très nerveux, même s’ils font tout pour que cela ne se voie pas. Ils se dirigent vers la prof de maths qui a l’air toute excitée. Elle se jette sur Vincent, ce qui provoque chez Eva une montée soudaine de chaleur colérique et le hérissement de ses poils. Mais extérieurement, elle reste une jeune femme calme et posée.
-Ah, je rencontre enfin celle qui fait battre le cœur de Vincent.
-Enchantée Monsieur Calendal.
-Ah non ! Pitié pas de monsieur; Ethan me va très bien.
-D’accord Ethan je prends note. Bonsoir Eva, mais dis-moi, tu es magnifique ce soir.
-Merci.
Il n’y a pas qu’elle qui trouve Eva magnifique. Vincent a beau essayer de faire bonne figure, mais la jeune femme est resplendissante, et il ne peut s’empêcher de la regarder, mais sa compagne ne remarque rien, trop absorbée par l’idée d’un repas offert probablement. Soudain, Alex arrive. Il n’a pas eu le temps de se changer et porte toujours son costume cravate du travail.
-Je suis vraiment désolé pour ce retard, mais j’ai eu des dossiers urgents à traiter.
-Non, ne t’en fais pas, ce n’est pas grave. Le tout, c’est que nous soyons tous ensemble. Bien, puisque nous sommes tous présents, allons dîner, je meurs de faim.
Et tout le monde entre dans le restaurant. La table est rectangulaire pour six personnes, et Ethan prend soin de placer sa fille à côté de lui, Alex à côté d’elle, Anna et Vincent en face d’eux.
-Bon maintenant que nous sommes tous installés, nous pouvons commander un apéritif.
Et au final, le repas se passe sans trop d’encombres. Ethan raconte les trois mois qu’il vient de passer à l’étranger, Vincent sa formation qui est en passe de se terminer, Alex les régale de ses anecdotes de clientèle farfelue et Anna se plaint des conditions de travail du professeur remplaçant et des élèves, bien entendu. Quant à Eva, elle reste silencieuse, ce qui interpelle son père.
-Ma chérie, nous avons tous des histoires à raconter, mais toi, rien ? Quelque chose ne va pas ?
-Si ça va, je suis juste un peu fatigué, c’est tout. Mais à part que je sors avec Alex et que je prépare mon bac, tout le reste est banal et sans intérêt. Ah si, parfois Candice vient à la maison et on passe un chouette moment entre filles. Voilà mon résumé.
Sur le visage de Vincent, se dessine un petit rictus. Il baisse légèrement la tête, de manière que cela ne se remarque pas. Il sait très bien que la vie à la maison n’est ni banale ni sans intérêt, c’est plutôt le contraire. Mais il culpabilise, tout de même, de la situation dans laquelle lui et Eva se sont mis. Et pour l’instant, il ne sait pas ce qu’il doit faire. Il s’en veut de ne pas avoir été assez fort pour la repousser. Ethan, qui connait très bien sa fille, voit bien que quelque chose cloche. Elle a l’air cynique lorsqu’elle prononce ces mots, et elle a la mâchoire serrée. Son père reconnait très bien ce trait de caractère, puisque c’est également le sien. Il faut dire qu’ils se ressemblent beaucoup tous les deux et qu’à part la couleur auburn des cheveux d’Eva, elle est le portrait de son père. Il essaie de rester le plus discret possible et affiche un sourire à la fois ravageur et bienveillant. Ce qui ne manque pas d’attirer une ou deux serveuses qui l’observent très attentivement.
-Ne t’inquiète pas, ma chérie, une fois le bac passé, tu pourras souffler et prendre vraiment du temps pour toi. D’accord ?
-Tu as raison, papa, merci.
Le seul fait de regarder son père droit dans les yeux suffit à apaiser momentanément Eva.
-Alors Anna, vous avez des projets après votre remplacement au lycée ?
-Pour être honnête, les mathématiques, c’est bien, l’enseignement, c’est sympa, mais j’aimerais fonder ma propre famille maintenant.
Vincent manque de s’étouffer avec cette révélation. Mais il se ressaisit et met ça sur le compte d’un aliment qui est passé de travers. Eva reste abasourdie et tente malgré tout de rester stoïque face à cette femme.
-Ah c’est bien ça, de faire des projets de vie. Mais vous avez encore le temps, non ?
-Oh j’ai tout de même 29 ans.
-J’en conviens, mais prenez le temps, profitez de la vie. Et puis, il faut vous trouver l’homme qui sera le futur papa.
-Oh, mais je l’ai déjà trouvé !
Et elle jette un regard langoureux à Vincent, qui ne sait plus où se mettre. Il devient écarlate de honte, Eva bouillonne de rage, et Alex regarde si le serveur n’arrive pas avec la carte des desserts, très mal à l’aise avec l’ambiance qui règne autour de lui. On peut très bien imaginer qu’il aurait préféré rester devant un bon film, étalé sur son canapé, chips et boisson à la main.
-Euh Anna, tu ne crois pas qu’il est un peu tôt pour parler bébé ?
-Mais non Vincent, pourquoi ?
-D’abord, parce que j’ai 24 ans, que j’aimerais finir ma formation et trouver un boulot stable, ou monter ma propre agence qui sait.
-Je pensais que ça te ferait plaisir !
-Anna, ça ne fait que deux mois que nous sortons ensemble, et tu me parles déjà d’avoir des enfants ? Désolé, mais je n’adhère pas !
-Donc j’imagine que la question du mariage n’est pas abordable non plus ?
-Mais ça va pas ? À aucun moment !
-Bien alors, je vais aller me rafraichir. Excusez-moi !
Elle se lève et se dirige, le corps raidi de rage, vers les sanitaires. Un froid s’est abattu sur la table et Ethan se sent mal.
-Et moi qui pensais passer une bonne soirée entre amis, c’est un peu compromis.
-Ne t’en fais pas, Ethan, je vais régler l’histoire avec Anna, je te le promets. Là je vais éviter de la suivre aux toilettes.
-Vincent, tu n’as pas à assumer les états d’âmes d’une femme, qui, me semble-t-il, n’est pas très stable émotionnellement. J’ai bien compris qu’elle n’est pas la femme de ta vie, ça, c’est sûr. D’ailleurs, sans vouloir te vexer, qu’est-ce que tu as bien pu lui trouver ? Au téléphone, tu me parlais souvent d’une femme belle et magnifique dont tu étais tombé éperdument amoureux. Et je vois cette femme-là ? Je me demande si tu me parlais bien de la même.
Eva lève la tête vers son père et Vincent, et saute sur l’occasion pour poser plus de questions.
-Qu’est-ce qu’il t’a raconté exactement, papa ?
-Oh et bien que c’est une femme merveilleuse, qu’avec elle ils partagent de tendres moments, qu’ils ont des points communs. Et que certains soirs, ils discutent longuement. Et qu’elle aime les balades à moto.
La panique envahie le jeune homme, et immédiatement ses yeux se dirigent vers la lycéenne. Eva affiche un sourire gigantesque. Elle vient de comprendre que Vincent ne parle pas d’Anna, mais qu’il s’agit d’elle.
Dans sa tête, il y a un ballet d’opéra qui se joue : c’est beau, majestueux, et la danseuse, la représentant, saute dans les airs : légère comme une plume d’oiseau. Alex, qui s’est finalement résigné à sortir son téléphone, n’écoute pas la conversation et est juste absorbé par les textos qu’il envoie et qu’il reçoit. Eva le regarde avec amertume et réalise qu’ils n’ont vraiment rien à faire ensemble. Elle se rend compte qu’Alex n’est qu’un exutoire. Seulement, il a fallu juste deux petits jours pour qu’elle ouvre les yeux. Sans qu’il se doute de quoi que ce soit, Ethan, en invitant les deux couples à dîner ce soir, a permis à sa fille d’y voir plus clair. Et elle l’en remercie secrètement.
Anna revient, les yeux rougis, des toilettes.
-Veuillez me pardonner, mais je dois rentrer chez moi. Merci Ethan pour le dîner. Bonne soirée.
Et sans dire un mot de plus, elle quitte le restaurant.
Alex la regarde partir et on sent, à sa posture, qu’il aimerait faire pareil. Eva saisi l’occasion :
-Alex, je crois qu’on va y aller. Si tu veux partir, vas-y !
-Tout dépend de ce que vous voulez faire par la suite. Mais ne t’en fais pas, ton père nous a invité et le moins que je puisse faire, c’est honorer l’invitation.
Un peu agacée, la jeune femme trouve qu’il a tout de même raison. Ce n’est pas très poli de quitter une table de la sorte. Mais vu qu’il s’agit d’Anna Leody, ce n’est pas si grave que ça.
Un serveur arrive à ce moment-là et propose la carte des desserts.
Ethan réfléchit quelques secondes et dit tout haut :
-Un dessert, ça ne peut pas faire de mal, et puis je compte bien profiter de la soirée.
Chacun commande une douceur accompagnée d’un café. Et au final, les discussions reprennent comme si rien ne s’était passé. Ethan pose des questions à Alex sur son travail à la banque et Alex, en retour, lui demande comment ils se sont rencontrés avec Vincent. Eva va enfin savoir comment son père a sauvé la vie de Vincent, car tout le monde en parle, mais personne n’a jamais voulu répondre clairement à cette question.
-Et bien, Vincent était un jeune de 14 ans et j’en avais 26. Il effectuait un stage dans l’entreprise où je travaillais et c’est moi qui ai dû le prendre en charge pendant une semaine. Ça a été un coup de cœur amical et nous ne nous sommes plus quittés. Puis Vincent a grandi, a rencontré Eva qui, je pense, est devenue comme une petite sœur pour lui. Et voilà ! C’est parce que je lui fais une confiance absolue, que j’ai pu partir à l’étranger et lui confier ma fille sans me soucier de quoi que ce soit. D’ailleurs, maintenant que j’y pense, où est-ce que tu as fait ton stage à l’époque ?
-Dans la banque, juste à côté du bâtiment de ton entreprise. Pour moi, la finance était une vocation.
-Ah oui, c’est clair. Vincent m’en parlait déjà à ce moment-là. Mais je suis tellement heureux de voir ce que vous êtes devenus les garçons. Même si vous avez encore beaucoup de chemin à parcourir, à 24 ans, vous avez de belles perspectives et ça, ça fait plaisir. Mon Eva t’a dit qu’elle voulait devenir hôtesse de l’air ?
Et pendant qu’Ethan continue de s’entretenir avec Alex, Eva regarde Vincent tout comme lui l’observe. Les mots qu’a utilisés Ethan sont percutants et la culpabilité ne fait que se renforcer autant du côté de la jeune femme que celui du jeune homme.
La soirée se termine sur une note positive. Nos trois amis rentrent chez eux tandis qu’Alex rentre chez lui, non sans un léger regret de ne pas avoir pu vraiment parler avec Eva.
Arrivé à la maison, Ethan monte se coucher. Il ressent le contrecoup de son voyage et de la soirée et laisse seuls sa fille et son ami.
Une fois la porte de la chambre fermée, Vincent ne peut s’empêcher de prendre Eva dans ses bras. Elle est heureuse malgré tout de sentir la chaleur et le doux parfum de cet homme contre elle. Cependant, elle voit qu’il lui cache quelque chose.
-Vincent ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Il met son front contre le sien et lui dit qu’il est un escroc et qu’Ethan ne devrait pas lui faire autant confiance.
-Ne dis pas n’importe quoi !
-Si je t’assure, Eva.
Les yeux larmoyants, Vincent n’arrive plus à contenir son chagrin.
-Ton père m’a sauvé la vie, je lui dois tout. Et comment je l’en remercie ? En tombant amoureux de sa fille !
Le cœur de la lycéenne se consume littéralement dans sa poitrine. Vincent vient d’admettre qu’il est amoureux de la jeune femme. Mais le malaise et la tristesse, qui émanent de lui, sont palpables et Eva a bien peur de la suite de cette révélation.
-Je n’ai pas rêvé ? Tu viens bien de dire que tu es amoureux de moi ?
-Oui, je dois le reconnaître. Je dois y voir plus clair. Je vais profiter du temps que ton père est à la maison, pour prendre quelques jours.
-Tu vas aller où ?
-Je l’ignore.
-Et ta formation alors ? Tu ne vas pas renoncer maintenant que tes examens approchent ?
-Non et tu as raison. Je vais me coucher, la nuit porte conseil. On se voit demain.
Et sans un mot, Vincent embrasse Eva sur le front et part se coucher.
Malgré tout l’amour qu’elle éprouve pour lui, elle décide de le laisser cogiter seul. Elle aussi doit y voir plus clair, car dans sa tête une question revient en boucle : de quelle façon Ethan a pu lui sauver la vie ? Et pour quelle raison, culpabilise-t-il autant ?
La nuit est lourde et difficile pour notre jeune femme. Mais elle doit aller au lycée tout de même, le lendemain.
À son réveil, son esprit est toujours occupé par les évènements de la veille. Elle se prépare et va prendre son petit déjeuner à la cuisine.
En entrant, elle y trouve Ethan et Vincent en pleine conversation, et joyeux de partager ce moment ensemble. Après tout, ils sont meilleurs amis avant tout, et même si elle ne connaît pas le fin mot de leur histoire, les voir sourire la rend heureuse. Elle voit défiler, dans sa tête, des images d’un futur éventuel. Elle se voit plus âgée en couple avec Vincent. Ethan les regardant avec beaucoup de bonheur. De voir sa fille et son meilleur ami ensemble, le comble de joie. Pourquoi pas un mariage avec une belle robe à traîne, Candice en témoin et au milieu de tout ça : Vincent en costume bleu marine et nœud papillon rose pâle, sublimé par une coiffure impeccable. Et ses yeux azur magnifiques, plongés dans les yeux verts de sa future femme…
Cette illusion est de courte durée, car Ethan la surprend en lui adressant la parole.
-Bonjour ma chérie.
-Bonjour papa, bonjour Vincent. Vous avez bien dormi ?
-Oui ça va. La nuit était très agréable et sans moustiques. Toi, par contre, tu as une tête de déterrée. Nuit agitée ?
-On peut dire ça. Je vais prendre un café, un croissant et j’y vais.
-Je t’emmène ce matin.
-Merci papa, je veux bien.
Vincent ne décroche pas un mot à Eva ni même un regard. Ce qui la chagrine un peu, mais elle comprend. D’ailleurs, elle y a pensé toute la nuit et se dit que prendre un peu de distance cette semaine devrait être salvateur.
Ethan prend les clés et accompagne sa fille. Dans le véhicule, Eva en profite pour questionner son père :
-Dis-moi, papa, il y a une question qui me taraude.
-Vas-y je t’écoute !
-Comment tu as sauvé la vie de Vincent ?
-Tu veux savoir ça maintenant ?
-Oui j’aimerais bien.
-Pour être franc avec toi, te raconter cet événement ne me dérange pas. Mais pas dans la voiture et je voudrais demander à Vincent si ça ne le dérange pas que je t’en parle. Et puis autour d’un café ou d’un thé, ce sera mieux.
-C’est si grave que ça ?
-En tout cas, ça n’a pas été le moment le plus joyeux de sa vie. Donc, par respect pour lui, je t’en prie, n’insiste pas.
-Très bien, j’attendrai que tu m’en parles en premier.
-Merci de ta compréhension. Dis-moi, ça se passe bien avec Vincent justement ? Il a l’air un peu distant avec toi. Tu ne lui en fais pas voir de toutes les couleurs, j’espère ?
-Non, je t’assure qu’il n’y a rien, tout va bien. Tu sais, lorsque tu n’es pas là, on bavarde comme des pies. Et puis, en ce moment, il prépare ses examens, donc j’imagine qu’il a la tête ailleurs.
-Tu as sans doute raison. Je me fais du mouron pour rien. Et puis il y a cette femme : Anna.
-Ah oui la prof de maths.
-Entre nous, elle n’a pas l’air d’être le couteau le plus aiguisé du tiroir.
Eva se laisse aller à un fou rire, qui la fait postillonner sur le tableau de bord. Ethan suit le mouvement, et se met à rire lui aussi. Ce moment intime, partagé entre le père et sa fille, fait partie de ces instants où ni l’un ni l’autre ne voudraient se quitter. L’amour qu’Ethan a pour son enfant est tellement profond, qu’une séparation définitive est difficilement envisageable. Le fait de partir comme il le fait, c’est une grande première. Mais, il faut se rendre à l’évidence, Eva finira bien par quitter le nid familial et Ethan devra s’y faire. Surtout qu’après le lycée, il faudra bien qu’elle aille soit à l’université, soit dans une école qui la préparera à être hôtesse de l’air si elle veut, toutefois, suivre cette voie. La journée suit son chemin jusqu’au soir. En rentrant, Eva retrouve son père en train de nettoyer la terrasse, côté jardin, au nettoyeur haute pression.
-Salut papa.
-Coucou ma belle. Ça va, les cours se sont bien passés ?
-Oui comme d’habitude.
-Candice n’est pas avec toi ?
-Non, elle a du retard sur certains devoirs et le professeur lui a donné une dernière chance avant l’heure de colle.
-Ok ! Bon, si j’allais nous faire du thé, tu en penses quoi ?
-Je veux bien, merci.
Ethan et sa fille s’installent dans la salle à manger pour partager leur boisson chaude. Eva sent que quelque chose se prépare. Son père pose un album photo sur ses jambes et lui dit :
-Voilà, maintenant que nous sommes tous les deux, je vais pouvoir répondre à la question que tu m’as posée ce matin, au sujet de Vincent.
-Tu lui as demandé sa permission ?
-Oui, il me l’a donné.
-Il va bientôt rentrer, il pourra se joindre à la conversation, si ça ne le gêne pas.
-Ça ne risque pas d’arriver, il est parti avec un sac à dos dans la matinée.
Eva reçoit cette information comme un coup de massue sur la tête. Son cœur s’accélère brutalement. Pourquoi est-il parti ? Et surtout, pourquoi ne lui en a-t-il pas parlé ? Ni lui avoir dit au revoir ? La culpabilité ? La honte ?
Notre lycéenne n’est pas prête pour ce que va lui révéler son père.
Chapitre 10
-J’avais tout juste 24 ans lorsque j’ai eu mon poste d’architecte. Le travail me convenait tout comme le personnel. Et ce n’était pas loin de l’école où tu étais. Donc, je pouvais me libérer rapidement pour aller récupérer ma petite fille. Tu sais à quel point je peux être anxieux pour toi.
-Oh oui !
-L’année suivante, on me donne un chantier assez intéressant : dessiner les plans pour la construction d’un immeuble de dix étages. Je n’en revenais pas, mon patron me savait suffisamment fiable pour me donner un projet comme celui-là. Et il m’a mis en relation avec le chef d’équipe de construction lorsque tout était prêt pour sa réalisation. Et c’est comme ça que j’ai rencontré monsieur Joffrey Da Roca dit Jeff, le père de Vincent.
-Mais Vincent s’appelle Bourgier pas Da Roca !
-Oui en effet, mais écoute la suite, tu comprendras.
-Désolée de t’avoir coupé.
-Ce n’est pas grave et je comprends ta réaction. Donc, je fais la connaissance de son père. Un homme assez grand avec une carrure impressionnante. Il n’aurait pas dépareillé avec un bodybuilder à ses côtés. Il était assez froid, un peu rustre par moment, mais sa façon de gérer ses ouvriers était incroyable. J’imagine que, vu son apparence, personne n’aurait voulu se frotter à lui. Et son travail était irréprochable. Le chantier s’est poursuivi pendant huit mois sans problème. Début novembre, Jeff vient me voir et me demande si son fils ne pourrait pas effectuer un stage avec moi, à la demande du collège. Je lui ai dit qu’un enfant de 14 ans sur un chantier, ça risquait d’être dangereux, mais il a insisté et je l’ai pris avec moi au bureau. C’était moins préjudiciable et je pouvais l’emmener sur les chantiers de temps en temps en prenant le maximum de précautions.Mon patron n’y voyait aucun inconvénient puisqu’il me faisait une confiance absolue. Donc, me voici avec le tout jeune Vincent Da Roca : petit, maigre, des boutons partout, mais déjà un cœur énorme. Il portait des vêtements trop larges pour lui et ne laissait entrevoir que très peu de peau. Durant son stage, il ne s’est jamais plaint, était toujours très attentif à ce que je lui disais, prenait sans arrêt des notes et posait plein de questions. Nous avons passé une semaine de stage très lucrative pour nous deux, et j’étais heureux d’apporter cette envie d’apprendre et cette joie à ce gosse.
-J’ai du mal à imaginer Vincent tout maigre, boutonneux et mal habillé. Lui qui est toujours tiré à quatre épingles.
-Oui, mais le vilain petit canard est devenu un très beau cygne.
-Tu as tellement raison…
Eva a le regard dans le vide, imaginant Vincent allongé nu auprès d’elle, détaillant chaque partie de son corps magnifique d’homme, une musique suave en fond sonore…
-Ma chérie tu m’écoutes ?
-Oh… Euh… Oui, excuse-moi, poursuit !
-Donc, je disais que j’étais très content d’avoir eu Vincent une semaine en stage. Il est retourné au collège et j’ai repris le cours de ma petite vie, mais curieusement, il me manquait. Je l’ai senti tellement perdu ce garçon, et il était tellement attachant, que parfois, je demandais à son père s’il allait bien, si la reprise des cours se passait bien, ce qu’il voulait faire plus tard. Mais Jeff était toujours vague et il n’avait pas l’air d’être vraiment attaché à son enfant. Cela m’attristait, car en tant que papa poule, je le trouvais injuste. Mais j’étais loin de me douter de la suite. Environ un mois et demi après, juste avant les fêtes de Noël, son père n’est pas venu travailler. Ce qui était assez surprenant puisqu’il n’avait jamais raté un seul jour de travail. Forcément, un événement grave avait dû arriver. Je demande aux ouvriers et personne ne savait. J’appelle mon patron et il me donne son adresse. Ni une ni deux, je me suis rendu à son domicile.
-Mais papa, pourquoi tu es allé chez ton chef de chantier ?
-Je l’ignore. Mon instinct m’a dit d’y aller, je ne pouvais pas faire autrement. Comme si une force me poussait à le faire. À ce jour, je n’arrive toujours pas à expliquer pourquoi je suis parti là-bas. Mais heureusement que j’ai écouté mon intuition. Au moment où j’arrive, je trouve une maison assez classique. Ni grande ni petite à étage, un petit jardin entretenu et un garage accolé au mur. Cela semblait parfait, trop peut-être. Je sonne au portail une fois, deux fois, trois fois, personne. La voiture de Jeff toujours garée dans la rue. Quelque chose n’allait pas. J’ai vu un voisin revenir chez lui avec son journal et l’ai interrogé, mais il n’avait pas vu de mouvement, ce qui le surprenait. J’ai ouvert le portillon et me suis dirigé vers la porte d’entrée. J’ai toqué encore, mais aucune réaction, alors j’ai posé mon oreille contre la porte et j’ai écouté : des bruits de pas assez agités raisonnaient. Et puis un hurlement de jeune garçon retentit : Vincent ! À ce moment-là, je n’ai pas réfléchi, j’ai essayé d’ouvrir, et par chance, c’était ouvert. Par contre, je revois encore cette image horrible devant mes yeux. Le corps de la mère de Vincent allongé sur le sol, la peau violette d’ecchymoses et du sang sur son visage. Lui, je ne le voyais pas. Je me suis jeté sur la malheureuse qui ne respirait plus. J’ai vérifié son pouls, il n’y en avait plus. J’allais lui faire un massage cardiaque lorsque j’ai encore entendu crier, ça venait de l’étage. Putain, le gosse ! Tant pis pour madame Da Roca, je me suis précipité vers les cris, et je me suis retrouvé face à Jeff et son fils. Il était en train de le massacrer à coups de poings et de coups de pieds. C’était atroce. Je lui ai sauté dessus, sans réfléchir. Il m’a balancé contre le mur, mais grâce à l’adrénaline, je me suis relevé instantanément et j’ai plongé sur lui, mais vers ses jambes pour le déstabiliser et le faire tomber. Par un heureux hasard, ça a marché et ça m’a donné quelques minutes d’avance pour attraper Vincent et fuir avec lui loin de ce monstre. À l’extérieur, les bruits ont attiré d’autres voisins et j’ai pu leur demander de l’aide. L’un d’eux a appelé les pompiers et la police et un autre m’a aidé à allonger Vincent sur le trottoir. Il était dans un état
lamentable et j’ai bien cru qu’il allait mourir, là dans mes bras. Un gamin de 14 ans.
Ethan tourne la tête vers une fenêtre. L’émotion de ce souvenir lui revient comme s’il le revivait instantanément. Les larmes commencent à lui couler le long de ses joues et Eva prend son père dans ses bras. Le cœur de son papa semble encore meurtri de cet évènement et la souffrance est encore bien présente.
-Papa, si tu veux arrêter là de m’évoquer cet événement, je comprendrais.
-Non Eva, tu m’as posé une question, Vincent m’a autorisé à tout te raconter, alors je vais poursuivre. Et puis je porte ce fardeau depuis dix ans, je sens que ça me fait du bien d’en parler.
-Très bien alors vas-y à ton rythme.
-Merci mon ange. Donc, je vérifie le corps de Vincent. On aurait dit qu’un tigre l’avait attaqué tellement il était en sang et le visage tuméfié. Mais il respirait encore et le voir s’accrocher à la vie comme il le faisait, je ne l’oublierais jamais. Il a réussi à ouvrir faiblement un œil, ce qui était surprenant, car ils étaient gonflés et bleus. Il m’a regardé et a légèrement souri. Bon sang, il venait de vivre une atrocité et en me voyant, il a souri. Les pompiers sont arrivés et la police quelques minutes plus tard. Ils l’ont pris en charge immédiatement et les policiers ont pénétré dans la maison pour arrêter son père. Il s’avère que lorsque je l’ai poussé, il a heurté le coin d’un meuble et s’est évanoui du choc. Tout compte fait, pas si costaud que ça le Jeff. Il est sorti menottes aux poignets et sa tête était recouverte de sang. Il m’a regardé droit dans les yeux et la haine et la rage emplissaient son visage. Il avait plus l’air d’un monstre enragé que d’un être humain. Tu vois, Eva, on ne connaît jamais vraiment les gens qui nous entourent.
-Et pour sa mère ?
-L’autopsie a révélé qu’elle avait subi divers chocs à la tête, coups de poings dans le ventre et coups de pieds un peu partout. Elle est morte d’une hémorragie interne. Le médecin m’a dit que je n’aurais rien pu faire, même si j’avais pratiqué un massage cardiaque. J’ai longtemps culpabilisé, car je pensais que j’aurais pu la sauver aussi, mais c’était trop tard. Et puis, en y réfléchissant, si je m’étais attardé sur Kathy, je n’aurais pas pu sauver Vincent des griffes de cette ordure. Quand j’y repense, j’en ai la nausée.
-Et du coup, les pompiers ont emmené Vincent à l’hôpital, mais qu’est-ce qu’il s’est passé ensuite ? Qui s’est occupé de lui ? Il avait de la famille pour prendre soin de lui ?
-Dès qu’il est parti, j’ai été interrogé par la police qui a pris ma déposition ainsi que les témoignages des voisins. Et lorsque je suis sorti du commissariat, je suis allé directement voir comment Vincent allait. Par je ne sais quel miracle, il s’en est sorti sans trop de dégâts. Des côtes cassées, une épaule déboîtée, des coupures, des griffures et des hématomes à la pelle. J’avais sérieusement peur qu’il ait une hémorragie interne comme sa mère, mais cet adolescent gringalet était plus coriace que ce qu’il n’y paraissait. J’étais tellement soulagé de savoir ça. Les jours suivants, j’allais le voir à la pause déjeuner quand tu étais à l’école. Et petit à petit, nous avons fini par nouer un lien très fort. Il a habité jusqu’à ses seize ans chez sa tante, mais dès qu’il avait un moment, je le voyais arriver sur le chantier sur lequel j’étais ou au bureau.
-Et son père, qu’est-il devenu ?
-Il a été condamné pour meurtre et il est mort il y a deux ans d’un cancer du foie. J’ai appris, que c’était un homme alcoolique et très violent qui battait sa femme et son fils. C’est pour cela que Vincent s’habillait avec des vêtements larges, pour cacher les bleus et les marques de coups.
Maintenant qu’elle y pense, Eva a remarqué les larges cicatrices sur le corps de son amant, mais elle ne s’est pas posé plus de questions. Avec le recul, elle est horrifiée parce qu’elle sait d’où cela provient désormais. Un mélange de compassion et de tristesse l’envahit. Pauvre Vincent ! Elle comprend amplement la raison pour laquelle son père ne voulait rien lui dire et pourquoi le jeune homme tenait cela secret. Voir son père tuer sa mère devant ses yeux, elle imagine à peine l’horreur qu’il a dû vivre.
-Et après ses seize ans ?
-Il a demandé l’émancipation, car c’était difficile de vivre chez sa tante. Elle se remettait difficilement de la mort de sa sœur et n’a pas pu être un soutien émotionnel efficace pour Vincent.
-Il l’a obtenu, j’imagine ?
-Bien sûr qu’il l’a eue, et il a changé de nom de famille. Vincent Da Roca est devenu Vincent Bourgier. Bourgier étant le nom de jeune fille de sa mère.
-Waouh sacré changement. Mais et toi dans tout ça ? Tu faisais quoi pour lui ?
-À ton avis, qui l’a accompagné dans toutes ses démarches ?
-Oui, suis-je bête, ça semble tellement logique maintenant que tu le dis.
-Il n’avait pas de famille. Il ne lui restait que la soeur de sa mère, mais elle n’a pas eu la force nécessaire pour s’occuper correctement de lui.
-Je me souviens qu’il venait à la maison mais le plus souvent j’étais à l’école. Je n’arrive pas a me rappeler pleinement de sa présence chez nous.
-Et pourtant ma chérie il était là plus souvent que ce que tu te souviens. Mais je continu et après on en reparle.
-D’accord.
-Une fois qu’il a été libre, avec l’accord de mon patron de l’époque, je l’ai prit comme assistant, comme ça il avait un petit salaire et un gars de l’équipe d’ingénieur l’a logé dans un studio qu’il avait, contre un minuscule loyer. De toute façon, avec ses antécédents, retourner à l’école allait poser problème. C’était un écorché vif plein de colère et d’amertume. On lui avait pris sa mère, son père était en prison, sa tante dépressive. Non, ça faisait beaucoup trop pour lui. C’est pour cela que je l’ai pris sous mon aile. Je m’étais attaché à lui comme s’il était mon petit frère, vu que nous n’avons que douze ans d’écart. Et c’était réciproque. Il a commencé à venir à la maison et il s’est aussi attaché à toi. Je lui ai appris à cuisiner et il m’a appris à jouer aux échecs. Et toi, tu lui as appris la patience.
À ces mots, Ethan éclate de rire, ce qui contraste avec le ton grave qu’il a employé jusqu’à présent. Et maintenant qu’elle y songe, en effet, cela lui revient en mémoire : Eva était sans arrêt avec Vincent. Lorsqu’il venait chez eux à leur maison, elle ne le lâchait pas d’une semelle. Mais pourquoi donc elle ne s’en rappelle qu’à cet instant ?
-Les deux ans que Vincent a passé à venir chez nous ont été salutaires pour lui. Et puis, il a assisté à une réunion sur l’armée, il s’est engagé et il est parti. Je l’ai encouragé à faire ce qui lui semblait juste et bon pour lui. Je ne sais pas si tu te souviens, mais lorsque je t’ai annoncé que Vincent partait, tu as eu une crise d’hystérie et tu n’as pas mangé pendant deux jours. Puis, le jour de son départ, tu t’es évanouie du choc. C’est sûrement pour cela que tu as un trou de mémoire de cette période.
-Probablement. J’ai besoin d’y réfléchir.
-Oui, prends ton temps. Enfin, voilà l’histoire de Vincent Bourgier. Qu’en as-tu pensé ?
-Que c’est horrible ce qu’il lui est arrivé, mais que le destin t’a mis sur sa route et que ça a été formidable pour lui, car c’est quelqu’un de bien. Et si tu n’avais pas été là, il serait mort. En effet, tu lui as sauvé la vie et pas qu’une fois. Merci pour ça. Toi aussi, tu es quelqu’un de formidable.
Un câlin vient sceller ce moment de partage entre le père et sa fille. Même si les souvenirs sont douloureux, Ethan est soulagé d’avoir raconté cette histoire à Eva. Et quant à elle, cela a permis à sa mémoire de se réveiller. Elle comprend enfin pourquoi elle se souvient vaguement de Vincent chez elle. Lorsqu’il est parti, le choc émotionnel a été tellement fort que son cerveau a fermé les archives de ses souvenirs de lui. Et maintenant que ça revient, elle a finalement toujours eu un très fort béguin pour lui.
La soirée s’est poursuivie par un plat de spaghettis bolognaise, une glace et deux parties de cartes. Puis chacun est allé se coucher. Eva monte après son père et une fois celui-ci couché, en catimini, elle se glisse à pas de loup dans la chambre de Vincent. Bien sûr, elle a conscience que ce n’est pas bien d’aller fouiller dans les affaires de quelqu’un d’autre, mais ce dont elle a besoin à cet instant précis, c’est de sentir son odeur. Une fois dans la chambre, elle s’allonge sur le lit et hume les oreillers. Le parfum suave de son amant est toujours imprégné dans le tissu et elle remarque quelques cheveux auburn. Elle laisse échapper un petit rire en sachant très bien à qui ils appartiennent. Elle ferme quelques instants les yeux et voit défiler les images de leurs moments intimes. Eva ne se rend pas compte qu’avec la fatigue, elle finit par s’endormir non pas dans les bras de Morphée, mais dans ceux invisibles de Vincent.
Le lendemain, elle se réveille et prend peur en voyant son père debout en face d’elle.
-OH mon Dieu, papa !!! Mais qu’est-ce que tu fais là ?
-Je te retourne la question ?
-Oh… Euh, eh bien, je…
-Tu as dû faire une crise de somnambulisme, vu le sujet d’hier soir, ça a dû te perturber plus que ce que j’imaginais.
-Je pense… Oui, ça doit être ça ! Je vais vite me préparer, sinon je vais être en retard en cours.
-Pas la peine, c’est pour ça que je te cherchais. Candice a appelé, tu as oublié ton téléphone à la cuisine. Le lycée est fermé pour cause d’invasion de nuisibles. Des équipes sont déjà sur place pour s’en débarrasser.
-Elle t’a dit de quoi il s’agissait ?
-Des rats. Bien habille-toi, je t’emmène en balade aujourd’hui.
-Super, je vais m’habiller.
Une fois prête, elle descend à la cuisine pour manger un morceau. Elle s’assoit et demande à Ethan :
-Dis-moi papa, où est-ce que Vincent est allé loger cette semaine ? Il ne va pas dormir sur sa moto, j’imagine ?
-Il est chez une amie.
-Une amie ???
-Oui, une amie, pourquoi ?
-Une amie qu’on connait ?
-Tu poses une bien curieuse question, ma chérie. Serais-tu jalouse ?
Eva commence à bredouiller des mots incompréhensibles, mais Ethan n’est pas dupe, il comprend que sa fille a toujours des sentiments pour Vincent. La jeune femme commence à avoir la crainte que son père découvre la vérité et se reprend rapidement.
-Non avec tout ça je m’inquiète encore plus pour lui, c’est tout !
-Ne t’en fais pas, c’est un grand garçon. Et puis cette femme en question, c’est la prof de maths.
HORREUR !!! Eva se demande pourquoi il est allé là-bas, après le pseudo-scandale du restaurant. Elle ne comprend pas ce qui lui a pris. Elle se demande s’il ne prendrait pas une mauvaise décision d’un coup de tête en restant avec elle. Lui faire un enfant ? Se marier ? Non non non !!! Pas ça ! Elle commence à voir des images dans sa tête de Vincent et Anna riant avec une poussette, un bébé à l’intérieur. Et elle, loin derrière, avec Alex à son bras, les yeux en larmes, et…
-Oh Eva ? Tu es en pleine crise de panique ou quoi ?
-Oui… Non… Je ne sais pas. Papa, je crois que je suis jalouse tout compte fait.
-J’avais remarqué, ne t’inquiète pas. Mais sois tranquille, Vincent va bien d’accord ?
-Tu crois qu’il va rester avec cette femme ?
-Je n’en sais rien, tout ce que je sais, c’est qu’elle n’est pas pour lui, c’est sûr. Mais il ne ferait pas n’importe quoi, je te le promets.
-Comment tu sais ça ?
-On s’appelle et on s’envoie des textos, c’est tout. Je suis toujours au courant de ce qu’il fait la plupart du temps. Pas exactement tout, il y a des détails que je ne veux pas connaître, mais nous nous faisons confiance. Tu sais, il est plus qu’un ami pour moi, il fait partie de la famille. Eva, pourquoi pleures-tu ?
La jeune femme commence à craquer, elle a tellement envie de lui dire la vérité à ce père qu’elle aime tant, ce père qui a toujours été là pour elle, celui qui l’a élevé alors qu’il n’avait que 18 ans, celui qui protège même les autres alors qui rien ne l’y oblige, celui qui, a presque 25 ans, à sauver la vie d’un adolescent et à mener sa carrière d’architecte haut la main et en plus l’a aidé à se reconstruire. Eva ressent un respect immense pour cet homme qu’elle aime et qu’elle admire plus que tout. Le poids de son secret lui pèse, mais elle sait que si elle lui révèle tout ici et maintenant, ce sera la fin de l’amitié entre Ethan et Vincent. Elle sèche ses larmes, prend son père dans les bras et lui dit :
-Ne t’en fais pas, papa, l’histoire de Vincent me bouleverse encore, mais ça va aller. Je ne voudrais pas qu’on lui fasse du mal, et oui, je suis jalouse d’Anna Leody, voilà, au moins tu sais ce que je ressens !
-C’est mignon. Et je suis heureux que tu t’inquiète pour lui. Bon ce n’est pas le tout mais met tes chaussures et on y va.
-Où est ce que tu m’emmène ?
-Tu verras bien. Juste qu’il y a deux heures de route.
-C’est quoi comme endroit ?
-Bon puisque tu demandes, c’est une immense maison.
-Une maison ? Avec quelqu’un à l’intérieur ?
-Pour l’instant, non, mais si elle te plaisait, il se pourrait que oui.
-Pardon ?
-Ça suffit, on y va et on discutera sur place.
Cette ballade tombe à pic, mais Eva ne sait plus où se positionner. En faisant un rapide bilan de sa situation, elle est amoureuse de Vincent et sait que c’est réciproque. Ils ne peuvent rien dire à Ethan, car cela marquerait la fin de leur belle amitié. En plus, le jeune homme est comme un membre de la famille. Dans tout ce flot émotionnel, il y a la prof de maths chez qui Vincent est allé cette semaine. Mais pourquoi est-il allé chez cette femme névrosée ? Eva n’a pas encore fini d’être secouée par les révélations.
Chapitre 11
La semaine passe à une vitesse phénoménale. Et on peut dire qu’elle a été très riche en émotion. Les révélations sur le passé de Vincent sont toujours présentes dans l’esprit d’Eva. De savoir qu’il a logé chez Anna Leody n’arrange pas les choses, et pour couronner le tout, son père l’a emmené visiter une maison qu’il envisage d’acheter, car elle est plus grande que la leur. Il souhaite développer son activité en ouvrant un cabinet d’architecte supplémentaire et envisage de créer des ateliers pratiques pour les jeunes diplômés. Même en étant à l’étranger, c’est un créatif en permanence. Son idée est d’acheter une grande maison avec un terrain immense et d’y bâtir un atelier d’une centaine de mètres carrés pour son activité. Il faut reconnaître que cette demeure est magnifique et que l’énergie des lieux est assez apaisante. Si Eva est d’accord, ils peuvent emménager dans l’été, tout en sachant qu’elle va intégrer une école pour passer son diplôme et devenir hôtesse de l’air. Beaucoup d’informations, beaucoup d’émotions à gérer et il est déjà dimanche matin. Ethan part le lendemain et Vincent revient en fin de journée reprendre son rôle de gardien d’Eva. La jeune femme se réveille donc en ce jour et en se posant mille et une questions. Il est 8 h 16. Elle se lève et descend prendre son petit-déjeuner. Son père est installé à la cuisine et regarde son téléphone.
-Bonjour papa, tu as bien dormi ?
-Bonjour ma chérie, non pas trop. J’ai fait des cauchemars, c’était pénible.
-Oh zut ! Vas-y, raconte !
-C’est stupide, mais je te surprenais au lit en compagnie de quelqu’un.
-Ah ? Et de qui il s’agissait ?
-Ce n’était pas Alex, en tout cas.
-Ça ne répond pas à ma question ?
-D’accord. En fait, tu étais au lit avec Vincent. Je sais que c’est bête, mais de te voir avec lui en couple, ça m’a perturbé.
Eva ne sait pas quoi répondre, mais intérieurement, elle est horrifiée. Si jamais son père apprenait la vérité, il serait anéanti et leur amitié serait détruite. Sans parler de la confiance entre eux qui serait réduite à néant. La lycéenne refuse que cela se produise. Et puis, lorsque le jeune homme reviendra à la maison, elle a quelques questions à lui poser en ce qui concerne madame Leody. Mais en attendant :
-Oh ne t’en fais pas. Ce n’était qu’un cauchemar après tout. Tu veux faire quoi aujourd’hui ?
-Pas grand-chose, c’est mon dernier jour et je veux seulement le passer avec toi. Comme on a vu papi et mamie hier, on peut s’accorder cette journée pour nous. Après, je ne pourrais rentrer qu’au mois de juin, voire juillet. Donc autant en profiter.
-Absolument ! Comme le temps a l’air d’annoncer une belle journée ensoleillée, si on allait pique-niquer au bord du lac, ensuite on ferait une promenade digestive. Qu’en dis-tu ?
-Mais en voilà une excellente idée. Je m’occupe de ça.
-Papa, tu ne veux pas que je prépare quelque chose ?
-Ah non ! Surtout pas ! J’ai trop envie de le faire. De succulents sandwichs poulet, curry, poivrons à l’huile d’olive et fromage de chèvre, ça te va ?
-Bien sûr que oui. Fais-toi plaisir, je vais faire quelques muffins pour le dessert.
-Miam, tes muffins sont à tomber par terre, ma chérie. Tu en as déjà fait pour Vincent ?
-Non.
-Tu pourrais en faire un peu plus, comme ça, il pourra en goûter ce soir ou demain matin ?
-Ok ça marche.
Quelques heures après que tout soit prêt, Ethan et Eva partent au bord du lac. C’est à une heure et demie de chez eux et l’endroit y est magnifique. Une gigantesque étendue d’eau s’y trouve avec les bords aménagés, quelques petits bateaux amarrés pour effectuer de belles promenades, un parc pour les enfants et bien entendu, des tables de pique-nique. Le père de la jeune femme l’emmenait lorsqu’elle était bébé. D’ailleurs, petite anecdote, elle y a fait ses premiers pas et le fier papa ne manque pas de le rappeler à sa fille.
-Eva, tu te souviens de notre arbre ?
-Oui, comment oublier, tu me le rappelles chaque fois que nous venons ici.
-Et bien justement je vais aller lui rendre une petite visite. Aller, viens !
La jeune femme, tout sourire, suit son père jusqu’à ce fameux arbre qui doit avoir plus d’une centaine d’années. En s’approchant, on peut voir entre les plantes qui se sont accrochées au fil des années, les inscriptions qu’Ethan a laissées à chacune de ses visites. Gravé bien profondément sur le tronc :
Eva 1 an et 3 mois amour
Le papa pose délicatement ses doigts sur cette inscription et ne peut contenir une petite larme lui coulant sur la joue. Sa fille le regarde l’air interrogateur. Ethan se retourne vers elle, la prend dans ses bras et la serre très fort. Sans parole, on peut aisément comprendre que ce père aimant n’est pas heureux de repartir et de quitter son enfant. Celle qu’il a élevée tout seul en ayant dix-huit ans. Celle qui, lorsqu’on l’a déposée dans ses bras la première fois, a transformé ce jeune homme en véritable père. Jamais il n’aurait pensé ressentir tout cet amour. Plus rien n’a compté à ses yeux à cet instant précis. Juste ce petit bébé tout rose et lui. À ce moment-là, il ne l’explique pas, mais il s’est senti invincible et qu’importe ce que la vie lui réserve, tant que sa petite Eva est heureuse, c’est tout ce qui compte à ses yeux. Ethan s’écarte de sa fille et la regarde droit dans les yeux :
-Ma fille, ma chérie, comme je souhaite que tu sois la femme la plus heureuse du monde. Et qu’un jour, peut-être, partageras-tu la vie d’une autre personne. Je désire tellement que tu trouves celui avec lequel tu passeras de merveilleux moments. Et qui sait, auras-tu un ou des enfants qui te combleront d’amour tout comme celui que j’ai pour toi. Voilà, il fallait que je te le dise. Ces trois mois passés loin de toi ont été compliqués. Physiquement ? Je tiens le coup, mais en même temps, je crois avoir réalisé que c’est moi qui ai du mal à couper le cordon entre nous. Il va bien falloir, tu t’en vas dans quelques mois et d’ici une année ou deux, ce sera à bord d’un avion que tu seras. Donc, même si cette séparation me fait mal, elle est nécessaire pour nous deux. Je vis cela comme une épreuve de la vie, comme un cadeau essentiel qui nous permet de grandir l’un et l’autre.
-Papa c’est absolument magnifique ce que tu viens de me dire, merci pour ça. Merci pour toutes ces années. Mais ne t’inquiète pas, tu seras toujours mon papounet chéri.
Ethan rit de ces derniers mots. Il regarde une fois encore l’arbre et part vers la voiture pour sortir la glacière. Eva quant à elle, reste quelques secondes de plus et observe très attentivement l’écorce gravée. Elle écarte le lierre et remarque une autre inscription juste au-dessus de celle de ses premiers pas :
E et M
avec un coeur autour de ces initiales. En y prêtant plus attention, c’est le même style de gravure que celles la concernant. Elle attrape son téléphone et prend une photo. Elle a une petite idée de ce que cela puisse être, mais préfère en parler directement à son père.
Lorsqu’elle rejoint Ethan, il a préparé les sandwichs sur une table sur laquelle il a mis une nappe verte ainsi que de l’eau et des fruits.
-Papa, une fois de plus, tu te surpasses.
-Oh ce n’est rien, je le fais avec plaisir, tu le sais bien.
-Tu es un homme tellement formidable. Tu n’as jamais pensé à rencontrer quelqu’un ?
Ethan s’arrête soudainement, se tourne vers sa fille et la regarde très attentivement.
-Pourquoi me poses-tu cette question ?
-Par curiosité et puis, je voudrais tant te voir heureux.
-Mais je suis heureux.
-Je veux dire partager ta vie avec quelqu’un. Je ne t’ai jamais vu avec une autre femme. Tu as consacré ta vie à ta fille et à ton travail. Je me disais que peut-être aimerais-tu rencontrer une compagne qui partage tes intérêts, tes goûts et pourquoi pas le même job que toi.
-Ma chérie, en toute honnêteté, je te remercie beaucoup de t’inquiéter pour moi, mais je n’ai pas la place nécessaire dans ma vie pour partager quoi que ce soit avec une personne.
-C’est à cause de ma mère, c’est ça ?
Ethan ne sourit plus, il n’est pas en colère, mais ce qu’Eva vient de lui dire le touche en plein cœur. Les stigmates douloureux sont encore bien présents malgré toutes ces années. La tristesse envahit son visage et il s’assoit sur le banc en bois, abattu.
-Mon Dieu papa, excuse-moi, je suis désolée, je suis allée trop loin. Pardon ! Pardon !
Elle se jette sur son père, tiraillée par la culpabilité. La dernière chose qu’elle veut, c’est faire de la peine à son père. Ethan entoure son bras autour des épaules d’Eva. Notre homme commence à avoir les yeux larmoyants et essaie de parler, mais les mots ont du mal à sortir. Le sujet est très sensible et la jeune femme comprend que son père porte un autre poids sur la conscience. Il est peut-être temps pour lui de l’aider à lâcher prise. Elle prend son téléphone et lui montre ce qu’elle a prit en photo quelque minutes auparavant.
-C’est à cause de ça que tu n’y arrives pas ? Que tu ne veux plus te donner à qui que ce soit ?
-Oh j’avais oublié cette inscription. Il me semble que c’était à des années-lumière que je gravais ça.
-Les plantes le cachait et en le poussant, je suis tombé dessus. Ce sont les initiales de toi et de ma mère, n’est-ce pas ?
-Oui, c’est bien Ethan et Margot. Nous avions dix-sept ans.
-Tu veux bien m’en parler ?
-Tu es sûre ?
-Certaine. Je crois qu’il est temps, papa. Tout comme l’histoire de Vincent, il est temps de vider tous ces secrets et tout ce que tu retiens depuis longtemps.
-Tu n’aurais pas un peu grandi ces dernières années pour être la confidente de ton paternel et pas l’inverse ?
-Cela se peut, en effet. Je ne sais pas grand-chose de ma mère. Juste qu’elle ne s’est pas sentie d’être mère, et qu’elle t’a confié ma garde. Elle n’a jamais essayé de me revoir d’ailleurs. Et puis, je ne me suis jamais posé plus de questions que ça.
-Bon, je vais commencer par le début, comme ça tu y verras plus clair.
-Très bien je t’écoute.
-Margot et moi, on s’est rencontrés au collège à l’âge de quatorze ans. Un véritable coup de foudre. Nous sommes ensuite allés au même lycée et on ne se quittait jamais, au grand désarroi de ses parents qui ne voulaient pas que leur fille fréquente quelqu’un. Il fallait que ce soit les études, les études et encore les études.
Seulement, ce qu’elle voulait, c’était devenir peintre et Dieu sait qu’elle peignait divinement bien pour son âge. Son but, c’était d’intégrer les beaux-arts et de peindre à sa guise. Mais pour ses parents, c’était une autre paire de manches. En tout cas, on a continué
à sortir ensemble malgré leur désapprobation et un jour, elle m’apprend qu’elle est enceinte. J’ai eu un choc, une météorite me tombant sur la tête. Comment cela était-il possible ? On se protégeait pourtant. Et puis, la culpabilité étant trop lourde pour elle, elle m’a confié avoir arrêté la pilule et troué mes capotes à l’aiguille dans leur boîte.
-Oh, mais non ! Elle a osé ?
-Oui. Sur le coup, j’ai été extrêmement en colère contre elle, car elle m’avait trahi. Je m’agitais dans tous les sens. Et puis je l’ai regardé, elle pleurait. Alors, plutôt que de me comporter comme un salaud, je me suis ressaisi et j’ai voulu comprendre ce qui lui était passé par la tête. En réalité, ses parents lui mettaient une pression énorme et ne voulaient rien savoir de ses désirs et de ses rêves. Alors, elle s’est surement dit qu’avec un bébé en route, elle trouverait une planche de salut. Avec le recul, elle était surtout en pleine dépression. Donc, j’en ai parlé à mes parents qui n’étaient pas forcément ravis, mais ont vite compris que j’assumerais cet enfant jusqu’au bout. Après tout, même si cet enfant est arrivé d’une manière inattendue, c’était une partie de moi. Les initiales que tu as vues là-bas, c’est lorsque j’ai dit à Margot que je ne l’abandonnerais pas parce que je l’aimais. Nous avons scellé cela dans ce tronc. La grossesse se poursuit et boum, le jour J arrive et je voulais absolument être présent pour ta venue au monde. J’ignorais si tu étais un garçon ou une fille. L’accouchement ne se passe pas trop mal, tu sors, et là la sage-femme te pose sur ta mère. Elle te regarde et me dit de te prendre. Je m’exécute et une nuée ardente d’amour m’a envahi. Je me suis senti l’homme le plus heureux de l’univers. Je n’arrêtais pas de sourire, j’en avais mal à la mâchoire. Et puis je me suis tourné vers Margot. Elle avait le regard vide. Aucune émotion. L’auxiliaire de puériculture m’a demandé le prénom qu’on voulait te donner et ta mère n’a pas décroché un seul mot.
-C’est donc toi qui m’as appelé Eva ?
-Oui, je trouvais cela très beau. Cela signifie donner la vie. Et c’est ce que j’ai éprouvé instamment, je voyais la vie dans mes bras, une vie pesant à peine trois kilos et demi. Je me suis occupé de toi jusqu’à ce qu’on ramène ta mère dans sa chambre. Je venais tous les jours, et j’ai su que la nuit, c’était l’auxiliaire qui s’occupait de toi. Les parents de Margot sont venus à l’hôpital, mais sont restés de glace. La seule chose qu’ils ont su dire à leur fille, devant moi, c’est de choisir : eux ou l’enfant.
-Mais quelle horreur !
-Tu ne me le fais pas dire. Mais elle a fait son choix.
-Elle a donc choisi ses parents ?
-Pire que ça. Non seulement elle a choisi ses parents, mais elle m’a avoué qu’elle ne se sentait pas l’âme d’une mère. Elle n’arrivait pas à ressentir le moindre sentiment. C’est horrible, ma chérie, et j’en suis désolé, mais tu voulais savoir la vérité.
-Papa, surtout, ne regrette pas de me le raconter, continue, s’il te plaît.
-Pour faire court, car je commence sérieusement à avoir faim, elle m’a dit qu’elle ne souhaitait pas s’occuper de toi et a préféré me confier la garde exclusive en renonçant à ses droits parentaux.
-Waouh, c’est assez violent et direct de sa part.
-J’étais dévasté parce que je l’aimais profondément, mais je n’ai même pas pris la peine d’insister. Elle avait pris sa décision. Le jour de la signature des documents, elle a refusé de te voir et est juste partie. Je l’ai revu une ou deux fois en ville des années après, mais elle a coupé net les ponts avec moi. Je t’ai élevé du mieux que j’ai pu et tes grands-parents ont été d’un soutien extraordinaire. Voilà, ma puce, toute l’histoire résumée.
-Merci papa. Ça m’a fait du bien d’entendre tout ça. Et je comprends tellement pourquoi tu as fermé la porte de ton cœur, ça a dû être déchirant. Pourquoi elle t’a fait un coup pareil ? Tu n’as pas l’air de lui en vouloir tant que ça, je me trompe ?
-Non parce qu’avec les années, j’ai appris à me concentrer sur le positif et non pas sur le négatif. Sinon, j’allais devenir fou, et puis je t’avais toi. Elle m’avait fait un sale coup, mais je t’ai eue, et tu es, et resteras, à jamais, ma princesse.
Ethan et Eva sont soulagés d’avoir eu cet échange. Le papa à l’air plus détendu et on dirait ce que cette petite semaine de repos, lui a fait prendre conscience qu’il fallait se décharger de tout ce lourd passé.
-Papa, dis-moi, depuis ma mère, tu n’as rencontré vraiment personne ?
-Tu veux dire : est-ce que depuis dix-huit ans, j’ai passé toutes mes nuits seul ?
-Finalement, est-ce que j’ai réellement envie de savoir ?
-Ah ah ah ! Non, rassure-toi, ma machinerie fonctionne très bien. Et non, je ne passe pas toujours mes nuits en solo. Seulement, je ne ramène jamais quelqu’un chez nous, c’est tout. Et tu n’en sauras pas plus, pour aujourd’hui.
Le père et la fille rient de bon cœur tout en dévorant les succulents sandwichs.
Ainsi, passe cette journée, et il est déjà dix-huit heures lorsqu’ils rentrent chez eux. Les secrets révélés ont été salutaires pour l’un et pour l’autre. La confiance entre eux est inébranlable et Eva n’a pas pensé une seule fois à Vincent. Seulement, la réalité reprend le dessus très rapidement. Ethan s’engage dans son allée et voit Vincent descendre de sa moto.
-Pile à l’heure. Il m’épatera toujours avec sa ponctualité.
Eva ne dit rien et se contente d’un léger sourire. Son père le remarque, mais ne dit rien.
-Ah mon ami, comment vas-tu ?
-Ça va et toi ?
-Ça va. On est allé au lac aujourd’hui, c’était magnifique, le soleil était de bonne compagnie. Et toi ?
-Au lac ? C’est chouette, j’adore cet endroit. Tu as bien fait d’y avoir emmené Eva.
-Oui, je ne le regrette pas. Ce soir, on commande chinois, ça vous va ?
-Parfait Ethan.
-Nickel papa.
Le père entre dans la maison, tandis qu’Eva reste dehors. Vincent n’échappe pas à l’interrogatoire.
-Bonjour ma belle.
-Salut ! Tu vas me dire ce que tu faisais chez Leody ?
-Ah celle-là, je m’y attendais. Mais tu ne préfères pas que nous en parlions plus tard ?
-Je veux juste savoir si tu as couché avec elle.
-Non !
-C’est vrai ? Ou tu ne veux pas me dire la vérité de peur que je t’arrache la tête ?
-La vérité, c’est qu’elle m’a chauffé, bien évidemment, mais je n’ai pas pu. Je ne peux pas imaginer une autre femme, Eva. Je n’y arrive pas. J’ai passé une semaine à ne penser qu’à toi et ça me ronge.
Vincent est obligé d’arrêter la conversation, car Ethan vient de sortir pour demander à Eva un coup de main. Il les regarde l’un et l’autre et demande ce qu’il se passe.
-Rien papa, je parlais rapidement à Vincent de notre grande conversation d’aujourd’hui au sujet de ma mère.
-D’accord, je comprends, mais vous ne préférez pas le faire à l’intérieur, l’humidité est en train de tomber et je ne voudrais pas que vous soyez malade.
-Tu as raison, merci, Ethan.
Le père de famille retourne dans la maison. La lycéenne regarde son amant, ne dit mot et entre à son tour. Vincent reste à l’extérieur immobile, les yeux hagards, se demandant s’il allait résister dans les derniers mois qu’il reste ou s’il allait, une fois de plus, tomber dans les bras de sa douce Eva.
Chapitre 12
Lundi arrive et Ethan s’en va. C’est le cœur déchiré que sa fille se rend au lycée. Quant à Vincent, il ne sait pas où il en est. Il a déposé son ami à l’aéroport, puis a laissé la lycéenne à 8 h 00 à son établissement scolaire. Elle ne lui a pratiquement pas adressé la parole depuis la veille, et il n’a pas insisté non plus. Car, malgré tout, il la connait et sait très bien qu’il a eu tort d’aller chez Anna. Cependant, il sait également qu’elle ne gardera pas le silence très longtemps. Il préfère lui laisser du temps et s’en laisser aussi.
Les cours ont commencé il y a deux heures à peine et Candice n’a pas laissé une seconde de répit à Eva, lui posant des tas et des tas de questions. Mais les deux copines s’adorent et c’est bras dessus, bras dessous qu’elles arpentent les couloirs du lycée. Elles sont en train de rire d’une blague potache, lorsque retentit une voix. Le genre de son que l’oreille d’Eva a fini par détester. Et depuis les révélations de la semaine précédente, la relation entre la prof de maths et l’élève ne s’arrangera pas.
-Ah Eva, attends-moi !
-Oh non pas elle, pitié !
Anna Leody arrive en courant et essoufflée.
-Excuse-moi…je voulais te….parler.
-Que me voulez-vous ?
-Je voulais savoir…si Vincent était bien rentré…hier soir ?
-Oui, il est bien rentré.
-Tant mieux…parce qu’il ne m’a pas envoyé de message et ne répond pas non plus au téléphone.
-Mais il était chez vous, vous devriez le savoir, non ?
-Ne prends pas ce ton sec avec moi, s’il te plait, je posais une simple question.
-Et puis, vous deviez être contente de l’avoir près de vous, n’est-ce pas?
-Eva, calme-toi !
-Sans compter que vous avez dû faire plein de choses puisque vous n’étiez que tous les deux, hein ?
-Eva ça suffit !
-Allez Leody, il vous a fait quoi, hein ? Vous l’avez eu juste pour vous, alors que vous ne le méritez même pas !
La jeune femme laisse éclater sa jalousie, occultant le fait qu’elle se trouve dans le couloir bondé d’élèves, qui commencent à arriver pour regarder le spectacle et inciter à une bagarre éventuelle.
Candice attrape son amie par le bras en l’invitant à lâcher l’affaire et à passer à autre chose. Mais Eva résiste et laisse sa colère noire sortir. Les remarques négatives pleuvent inlassablement sur Anna, qui n’a pas les mots assez justes pour se défendre. C’est une déferlante de rage qui s’abat sur Anna.
-EVA JE TE DEMANDE D’ARRÊTER ! TOUT DE SUITE !
Derrière la petite foule qui s’est rassemblée, un ton plus grave retentit : c’est le proviseur David Guess.
-Mais que se passe-t-il ici ?
Monsieur Guess regarde avec stupeur les deux femmes et leur ordonne de se rendre dans son bureau immédiatement. Madame Leody est reçue la première pour qu’il puisse entendre sa version des faits. Eva est assise sur sa chaise, seule et nerveuse, en se posant la question de pourquoi elle s’est déchaînée comme cela ? Elle ferme les yeux un
instant, pensant aux conséquences de son explosion soudaine, quand elle sent une main chaude sur elle.
-Vincent ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?
-Le proviseur m’a avisé de la situation. Tu sais, ton père avait pris les devants et a donné mes coordonnées, au lycée, en cas de problème. Donc, il y a effectivement problème et je suis là.
-Oh j’ai honte, si tu savais.
Vincent s’assoit à côté de la jeune femme et passe son bras par-dessus son épaule pour la réconforter. Eva ne peut retenir ses larmes et pose sa tête contre le jeune homme.
-Vas-y pleure, ça fait du bien.
-Je suis désolée, je ne sais pas ce qui m’a pris. J’ai senti en moi une soudaine montée de fureur, d’une telle intensité. Il fallait que ça sorte. Du coup, Anna en a pris plein la tête. Je ne l’aime pas particulièrement, mais elle ne méritait pas l’humiliation devant tout le monde.
-Ne t’en fais pas pour ça, je vais m’en occuper, fais-moi confiance.
Vincent regarde Eva avec une tendresse infinie. Il enlève son bras pour éviter l’ambiguïté envers les autres, et c’est à ce moment-là que la porte du bureau s’ouvre pour faire entrer Eva et son sauveur du jour.
La discussion dure quarante-cinq minutes. Pour se conclure par quatre heures de colle pour Eva et des excuses envers sa prof. Au final, Vincent propose de ramener la jeune femme chez elle, car il faut que la pression retombe. Le proviseur acquiesce et demande à l’élève de ne plus jamais recommencer. Ce à quoi elle promet qu’il n’y aura plus d’incidents. Le doux héros et la jeune femme montent dans la voiture. Ils attachent leurs ceintures et partent. Pendant le trajet, elle repense à Vincent et à sa façon d’expliquer les émotions perturbées d’Eva, le départ de son père, l’adolescence, le baccalauréat qui arrive… Il a su parfaitement manier les mots, et son charme et son air fragile ont bien joué en sa faveur. Ils arrivent à la maison et il la dépose.
-Tu ne restes pas ?
-Non, j’ai des cours qui m’attendent, jeune fille.
-Quel dommage ! On aurait mangé ensemble. Merci pour tout, je te revaudrais ça.
-Pas de soucis, ne t’inquiète pas. Aller profite de ta journée pour réfléchir à tout ça et on en rediscutera ce soir tranquillement et sans pression.
-Ok merci, à ce soir.
-À ce soir.
Et dans un crissement de pneus, visant à faire rire la jeune femme, il repart. Eva profite de ce moment pour envoyer un message à Alex. Cela fait plusieurs jours qu’elle ne lui répond pas et comme elle est seule, elle lui en envoie un pour lui demander s’ils peuvent se voir dans l’après-midi. Le jeune homme saute sur l’occasion pour la voir et lui répond instantanément.
Elle lui a donné rendez-vous à quelques mètres de chez elle, dans un petit café, où elle l’attend en terrasse.
-Salut Eva, tu m’as trop manqué.
-Salut Alex.
Il la prend dans ses bras, mais sent que la réciprocité n’est pas présente. Il la lâche, un peu mal à l’aise, et s’installe sur une chaise. Elle fait de même et commande des boissons fraîches.
-Ça fait un petit bout de temps qu’on ne s’était pas vu. Je suis content qu’on puisse échanger en direct.
-Oui, c’est sympa de pouvoir discuter.
-Je vais aller droit au but. Je n’ai plus eu de tes nouvelles depuis lundi dernier, depuis l’arrivée de ton père. Je suppose qu’il est reparti aujourd’hui, c’est ça ?
-En effet, il a pris l’avion tôt ce matin.
-Et toi comment tu te sens ?
-Je vais bien.
-Sauf que tu n’es pas en cours à ce que je constate.
-Oui aussi, mais c’est une histoire dont je ne veux pas parler.
-D’accord. Alors, je vais te raconter ma semaine.
Et Alex commence à détailler chaque jour, chaque heure de ses jours. Eva a l’impression que ça n’en finira jamais. Le jeune homme est assez gentil, mais par moment, on a l’impression que le monde tourne autour de lui. De plus, elle se rend compte qu’elle ne partage rien avec lui. Son absence ne l’a pas dérangée. Et alors qu’il est à l’apogée de son vendredi palpitant avec une certaine madame Colveirat et l’ouverture d’un compte épargne pour ses petits-enfants, Eva le stoppe net dans son monologue.
-Alex s’il te plaît, arrête !
-Quoi qu’est-ce qu’il y a ?
-Je ne veux plus t’entendre me parler de ton boulot, pour l’amour du ciel !
-Mais enfin, j’adore mon travail, qu’est-ce qui te dérange ?
-C’est que tu ne parles que de ça depuis une heure et je n’en peux plus.
-D’accord je suis désolé, je ne m’en étais pas rendu compte. Parlons de toi alors, je t’écoute.
La jeune femme est décontenancée par l’homme qu’elle a devant elle. Elle prend conscience, définitivement, que lui et elle en couple, ça ne pourra jamais marcher. Eva inspire, le regarde droit dans les yeux et lui annonce qu’elle veut se séparer de lui. Alex ouvre les yeux tellement grand, qu’ils donnent l’impression de sortir de leurs orbites.
-QUOI ? Tu veux qu’on se sépare ?
-Exactement. On n’a rien en commun, toi et moi. Tu as beaucoup de qualités, mais tu n’es pas fait pour moi. Je veux mettre un terme à notre relation. Alors, je te souhaite le meilleur et une bonne continuation.
Eva paie l’addition et se lève. Au moment où elle tourne le dos au jeune homme en ayant pris soin de lui dire au revoir, elle entend :
-C’est à cause de Vincent, c’est ça ?
Elle s’arrête net dans sa course. Son regard, agrandi par la stupéfaction, se retourne sur un Alex si sérieux qu’il en est effrayant.
-Pardon ?
-Tu as très bien entendu ce que je viens de dire.
-Tu n’y es pas du tout.
-Au contraire. Je pense que j’ai tout juste. Tu as une liaison avec lui, pas vrai ?
-Non !
-N’essai pas de mentir, ça se voit comme le nez au milieu du visage. J’avais des doutes sur ses sentiments à lui, mais toi, tu le cachais bien.
Et puis nous nous sommes retrouvés au restaurant lundi dernier, invités par ton propre père en plus. Et je t’ai vu, tu n’avais d’yeux que pour lui. Et lui n’en parle même pas, c’est encore pire, il te dévore littéralement. Si on était dans une bande dessinée, on verrait des cœurs tout autour de lui le suivre. Mais là où je suis tout de même choqué, c’est qu’au regard d’Ethan, Vincent et toi êtes l’innocence même, une relation de frère et soeur d’après ses propres mots. Alors qu’à mon avis, lorsque le chat n’est pas là, les souris dansent sous les draps. Que dira-t-il lorsqu’il s’apercevra que sa petite fille chérie est en réalité une petite traînée et son meilleur, un sale traître ?
Alex n’a pas le temps de finir son discours, qu’un violent coup de poing vient lui démolir son visage angélique, et il chute dans les chaises à côté de lui, se cognant la tête par la même occasion.
-Je suis peut-être une traînée, mais toi, tu es pathétique. Si tu te doutais de tout ça, pourquoi n’en as-tu jamais parlé ? Et on parle de ta garçonnière au chalet de tes parents ? Tu comptais m’emmener là-bas pour satisfaire ton besoin masculin ? J’aurais été une fille de plus à ton tableau de chasse ? Vas-y, réponds !
Le jeune homme se relève péniblement en ayant mal au crâne. Son visage exprime le dégoût envers la lycéenne.
-Je suis désolée, Alex, je n’aurais pas dû te frapper. Et tu sais quoi, au point où on en est, tu n’as pas tout à fait tort. J’ai bien des sentiments pour Vincent, mais ça date depuis longtemps, ce n’est pas nouveau. En fait, je suis amoureuse de lui depuis la première fois qu’il est venu chez nous. Je ne l’avais plus revu depuis cinq ans et lorsqu’il a été devant moi, tout est revenu. Je te demande pardon. Et si tu me détestes, je comprendrai. Tiens, j’ai des granules d’arnica pour les bosses.
Elle lui tend le petit contenant et il le prend. Il s’excuse de l’avoir traité de traînée et d’être allé un peu trop loin dans sa colère. Les deux jeunes gens se quittent avec un goût amer au fond de la gorge.
Pendant qu’elle marche pour rentrer, Eva repense à toute cette journée négative à souhait. Elle ne désire qu’une chose, c’est rentrer chez elle et se faire couler un bon bain chaud, peu importe l’heure. Se couper du monde momentanément lui semble une solution acceptable.
L’après-midi passe, et il est déjà 17 h 30. On entend la porte d’entrée s’ouvrir. Eva travaille sur ses devoirs que Candice lui a gentiment déposés vers 16 h 45.
-Salut toi. Comment ça va ?
-Je ne vais pas trop mal, et toi ?
-Bien. Les examens sont pour la semaine prochaine, je commence à avoir le trac.
-Toi le trac ? Tu as été militaire et tu as peur d’un examen ?
-Mais oui, tout à fait. Et ne te moque pas, s’il te plaît, tu as ton bac dans trois mois tout juste.
-Rabat-joie, na !
Eva tire la langue à son ami, ce qui le fait rire.
-Au fait, je voulais te dire encore merci pour tout à l’heure.
-Ce n’est rien. Par contre, maintenant que nous sommes là, tous les deux, je voudrais bien que tu me racontes ce qu’il s’est passé.
-Tu veux vraiment savoir ?
-Oui. J’ai dû calmer tout le monde, et j’y suis arrivé haut la main. Donc, comme je t’ai sorti d’affaire, tu me dois des explications.
-D’accord, seulement si tu cuisines ce soir.
-Du chantage à présent ? On aura tout vu. Mais comme il s’agit de toi, ça me va. Je ne te dis rien, tu auras la surprise.
-Très bien. Je vais prendre une douche et après, je te mettrai la table.
-Parfait.
Eva monte se laver tandis que Vincent commence à préparer le repas. Il n’est pas très doué en cuisine, mais il est capable de beaucoup d’efforts pour faire plaisir à sa colocataire. Et c’est avec entrain qu’il s’attelle à la lourde tâche de faire un cake courgettes et fromage de chèvre accompagné d’une salade verte. Lorsqu’une heure après, il le sort du four, la bonne odeur imprègne la pièce. Eva, qui une fois douchée a rejoint Vincent dans la cuisine, ferme les yeux et se revoit petite fille en pique-nique. Elle reconnait rapidement la recette de son papa uniquement au parfum.
-Voilà, c’est prêt. Nous pouvons nous en mettre plein le ventre.
-C’est la recette de mon père, n’est-ce pas ?
-Oui. Je suis impressionné que tu l’aies reconnu rien qu’au fumet que le cake dégage.
-Ce sont les épices qu’il met dans la préparation qui font la différence.
-Sûrement. Tu sais, je n’ai pas l’habitude de cuisiner, mais ça m’a fait vraiment plaisir de le faire pour toi.
-C’est très gentil, merci.
-On passe à table ?
Ce petit moment à deux semble irréel. Ils ressemblent à un vrai couple, partageant une petite vie tranquille. Ils sont heureux tout simplement. Ils discutent, rient, se taquinent, mais tout n’est pas toujours facile dans une vie de couple, et Eva et Vincent ne font pas exception.
-Bon alors pourquoi tu t’es disputé avec Anna ?
-Je n’ai pas supporté de savoir que tu avais passé la semaine chez elle.
-Ok, donc je suppose que tu voudrais savoir comment mes quelques jours chez elle se sont passés, c’est cela ?
-Je me pose en effet la question.
-Alala. Franchement, tu es trop mignonne quand tu es jalouse. Mais rassure-toi nous n’avons rien fait, au plus grand malheur d’Anna d’ailleurs. Et puis on ne dormait même pas ensemble, j’étais sur son canapé-lit.
-Tu me le promets ?
-Oui, c’est promis. Et puis…
Vincent n’a pas le temps de finir sa phrase que son téléphone sonne. Il se lève et va répondre. Eva n’entend pas toute la conversation, mais le jeune homme devient pâle et les traits de son visage se durcissent. Elle commence à s’inquiéter et prête plus attention à ce qui est en train de se dire.
-Mais non, attends, c’est une blague ? Il a fait quoi ? Il est inconscient ?
-…
-Je n’en reviens pas ! Et tout ça parce qu’Eva a rompu avec lui ? Putain quel con !
-…
-Mais je n’en sais rien. Je vais lui en parler et on avisera. Merci ciao !
-Vincent, dis-moi ce qu’il se passe, s’il te plaît.
-C’était Medhi au téléphone. Tu as vu Alex aujourd’hui, pas vrai ?
-Oui, j’ai voulu le voir pour rompre, notre relation n’avait plus aucun sens.
-Il s’est douté de quelque chose entre nous.
-Il me l’a dit.
-Tu attendais quoi pour m’en parler ?
-Là, pendant le repas, figure-toi.
-D’accord, pardon, je m’emporte.
-Mais qu’est-ce qu’il a fait bon sang ?
-Il a envoyé un mail à ton père en lui révélant tout sur nous.
Chapitre 13
Dès le lendemain de la réception du e-mail envoyé par Alex, Ethan a appelé sa fille et lui a demandé des explications. Celle-ci n’a pas hésité à mentir pour protéger Vincent et l’amitié qu’il a envers son père.
-Papa, il faut bien que tu comprennes qu’Alex devait être sûrement en colère. Il n’a pas supporté que je le quitte, c’est tout. Et pour se défendre, il a inventé cette histoire.
-Tu en es bien sûre, Eva ?
-Oui totalement. Et puis, tu sais, je crois qu’il éprouvait de la jalousie vis-à-vis de Vincent. Nous nous connaissons depuis longtemps et peut-être que monsieur n’a pas aimé ça. Il fait partie de la famille, après tout non ?
Après une légère hésitation, Ethan finit par répondre vaguement et même naïvement :
-Oui, tu as raison, ma belle. Bon, je te laisse. Éloigne-toi de ce genre d’hommes, ce n’est pas vraiment l’idéal et en plus dès que leur ego est blessé, ils deviennent de véritables abrutis. Je t’aime, passe le bonjour à Vincent.
-Ce sera transmis, je t’aime aussi, bon courage.
La jeune femme raccroche, soulagée. Mais en même temps, elle est accablée par la culpabilité, car elle a horreur de mentir à son père qui lui fait une confiance absolue.
Vincent rentre de son centre de formation et elle l’informe de la conversation qu’ils ont eue.
-Salut. Je viens d’avoir mon père au téléphone et…
-Je t’arrête tout de suite, il m’a contacté juste avant toi pour avoir ma version. Moi non plus, je ne veux pas lui mentir. Mais il va falloir qu’on mette les points sur les i, toi et moi. Qu’en dis-tu ?
-Oui, je crois bien.
-Je commande des pizzas et on se pose au salon pour mettre à plat tout ça.
-Ok.
Une fois le repas livré, les deux jeunes gens s’installent bien confortablement sur le canapé.
-Bon avant qu’on attaque le repas, je vais te dire comment je vois la situation. Si ça ne te dérange pas ?
-Pas de problème, Vincent, vas-y.
-Merci. Tout d’abord, Ethan est mon meilleur ami. Je suis tombé amoureux de sa fille, celle-ci me fait bien comprendre que c’est réciproque, en plus j’ai eu la bonne idée de coucher avec elle. Elle a largué son petit ami et nous voilà assis au salon en train de décider de la suite que nous voulons donner à cette histoire.
-Résumé clair, précis, concis. À moi. Je suis tombée amoureuse du meilleur ami de mon père. Celui-ci ne doit pas le savoir, sinon leur magnifique amitié sera foutue. Papa va finir par avoir des soupçons, surtout avec le message qu’il a reçu. Mais je n’arrive pas à résister à cet ami, et pour couronner le tout, il vit avec moi encore pendant quelques temps, ce qui ne va pas faciliter les choses. Comment trouver une solution dans tout ça ? Je t’écoute.
-Je ne sais pas quoi te dire, tu as résumé en quelques mots l’évidence.
-On est tous les deux dans la panade. Mais ce que j’aimerais savoir sincèrement, c’est qu’est-ce que toi tu ressens dans tout ça ?
-Je te l’ai dit : je suis amoureux de toi, Eva.
-Moi aussi je suis amoureuse de toi, et depuis longtemps, mais quelle est la suite à donner à tout ça ?
-Je n’en sais rien. Je suis tellement partagé entre le marteau et l’enclume.
-Je vais te simplifier la tâche : soit on donne une suite à notre histoire en secret et nous verrons, le moment venu, ce que nous ferons. Ou alors on arrête tout de suite le moindre rapprochement, mais il faut l’avouer, ça va être compliqué parce qu’on vit ensemble sous le même toit, et pendant trois voir quatre mois encore.
-Écoute Eva, pour être entièrement honnête, j’ai envie d’être avec toi tout le temps. Il ne se passe pas une minute sans que je ne te voie dans ma tête. Ton sourire, ton corps, ta façon de parler, ta façon de remuer tes hanches lorsque tu marches. Je t’ai dans la peau et je n’ai plus la force de te résister. C’est pour cette raison que j’ai été absent la semaine dernière, j’avais besoin d’y voir plus clair. Malheureusement, je me suis retrouvé chez l’autre dinde. D’ailleurs, je n’ai pas fini de t’expliquer pourquoi j’étais allé chez elle au final ?
-Non, c’est vrai, nous avons été interrompus par l’appel de Medhi.
-Figure-toi, qu’à la base, j’étais parti pour aller à l’hôtel. Je gare ma moto devant la pharmacie et là j’entends mon prénom. Je me retourne et c’était Anna. On commence un peu à discuter, puis bêtement, je lui dis que je vais dormir à l’hôtel, car je voulais te laisser ton père et toi en tête-à-tête. Et là, elle me dit de venir chez elle. Je lui dis non une fois, elle insiste, deux fois, elle insiste toujours et la troisième, j’ai lâché prise et je lui ai dit d’accord, mais je dors sur le canapé. Elle ne semblait pas ravie, mais faute de mieux, elle m’a tout de même accueillie chez elle.
Toute la semaine, elle a tenté de me faire des câlins, des bisous. Je suis resté froid et distant. Et même, une fois, elle est sortie nue de sa salle de bain. J’ai pris une couverture et l’ai entourée avec. Elle n’a pas aimé et a été très contrariée. Et puis, je ne rentrais pas à 17 h 30 comme ici, mais plutôt vers 20 h 00, j’allais voir Medhi, qui lui est au courant de tout.
-Une femme nue se présente devant toi et tu la rejettes ?
-Ah oui carrément, car la seule que je veuille voir, c’est toi. C’est pour cela que je rentre dès ma journée de formation finie. Je n’ai qu’un objectif : c’est te retrouver. Je t’aime, Eva Calendal, tout simplement.
Il s’avance vers Eva qui lui prend le visage et l’embrasse tendrement. Vincent met ses mains sur les siennes et l’écarte délicatement de lui.
-Pourquoi tu fais ça ?
-Parce qu’il faut finir cette conversation, si je me laisse aller on va encore bâcler la discussion. Rien ne se passera tant que nous n’aurons pas terminé.
-D’accord, je n’insiste pas… Pour l’instant.
-Et toi alors ? Que ressens-tu ?
-Moi ? Je t’aime comme une dingue. J’ai adoré passer du temps avec mon père, c’est indéniable. Mais tu n’as pas quitté une seule fois mes pensées. Et puis…
Eva baisse légèrement la tête, une expression triste s’installant sur son doux visage.
-Mon père m’a raconté ton passé et ça m’a bouleversé.
-Oui j’imagine bien. Mais tu sais, lorsque Ethan m’a contacté pour me demander l’autorisation de t’en parler, je n’ai pas hésité une seule seconde. Je voulais que tu sois au courant de ces souvenirs douloureux. La vie qui m’a mené à toi. Sans cet événement tragique, je ne t’aurais peut-être jamais rencontré. Je voulais que tu sache tout ça, car je te fais confiance. Et que ta présence et celle de ton père m’a permis de faire le deuil de ma mère.
-Tu veux m’en parler un peu ?
-Qu’est-ce que tu veux savoir ?
-Rien de spécial. Juste que si tu as envie de te confier, je suis là, prête à t’écouter.
Le jeune homme regarde la femme qu’il aime avec une tendresse infinie. Il lui pose sa main chaude sur la joue et lui adresse un sourire d’amour. Leurs visages ne se trouvant qu’à quelques centimètres l’un de l’autre. Cette fois-ci, Eva n’attend plus et saute sur Vincent, qui ne la rejette pas, mais suit le mouvement dans une cadence enflammée. Nos deux amoureux se laissent porter par leurs sentiments réciproques en l’exprimant physiquement sur le canapé et le tapis. Vers 22 h 15, ils décident de manger un morceau de pizza froide et d’aller ensuite se coucher. Cette nuit-là, c’est ensemble qu’ils dorment dans la même chambre, Eva dans les bras de son Vincent bien aimé.
Les jours passent et nous sommes le 21 avril. Au lycée, la jeune femme prépare son bac avec beaucoup de sérieux, et partage aussi des moments de folies douces avec Candice. Quant au jeune homme, il entre en stage d’immersion pour deux semaines dans une agence touristique. Chacun étant à moins de trois mois de leurs diplômes respectifs et surtout du retour d’Ethan. Nos deux jeunes gens ont décidé de poursuivre leur idylle dans la plus grande discrétion. Chacun vaque à ses occupations et le soir venu, c’est en couple qu’ils vivent d’intenses moments. Depuis quelques temps, plus rien ne vient perturber leur histoire. Alex s’est effacé de la vie de ses amis, ne se remettant pas de sa séparation d’avec Eva, et en ayant peur que Vincent ne vienne lui refaire le portrait à cause de l’e-mail envoyé à Ethan. Anna Leody ne comprend toujours pas pourquoi Vincent a mis un terme à leur pseudo-histoire et harcèle Eva de questions assez malaisantes comme : Il a trouvé quelqu’un d’autre, c’est ça ? Il ne m’aime pas assez ? Il préfère les hommes ? Je suis tout de même une très belle femme, il ne devrait pas me résister comme ça pourtant. Et chaque fois, la lycéenne lui répond de la même façon : que ça ne la regarde pas, et que si elle souhaite des réponses, qu’elle s’adresse à lui directement, et pas à elle. Apparemment, leur altercation du mois de mars est de l’histoire ancienne, car la professeure de maths semble l’avoir oubliée. Mais cela n’empêche pas Eva d’avoir un peu de pitié pour cette pauvre professeure, qui s’accroche comme une tique sur le dos d’un chien à des potentielles retrouvailles entre elle et Vincent. L’espoir fait vivre, comme dit l’adage.
Le soir venu, nos deux tourtereaux se retrouvent autour d’un petit repas. Le jeune homme rentre plus tard à cause de son stage, mais ça laisse du temps à la jeune femme pour faire ses devoirs, ses révisions et préparer le dîner.
-Dis-moi, ça te dirait de partir un petit weekend tous les deux ? Je crois qu’avec tout ça on a besoin de souffler et ça pourrait être sympa. Qu’en penses-tu ?
-Mais oui, pourquoi pas ? Tu as une idée ?
-Petite maison en bord de mer, calme, promenade en bateau et fruits de mer.
-Oui, ce serait pas mal, je suis partante. Et puis, je crois réviser assez pour me permettre une pause.
-C’est réglé alors, je contacte mon pote pour lui dire que la maison est à nous pour deux jours.
-Combien coute la location ?
-Mais rien du tout, mon cœur.
« Mon cœur. » Ces deux mots suffisent à faire fondre d’amour Eva. Comme s’il en fallait plus.
-Voilà le plan : nous partons samedi matin très tôt, vers 6 h 30, c’est bon ?
-Oui pas de problème, il faut combien de temps pour y aller ?
-Environ deux heures trente en moto. J’ai regardé la météo, ils ont annoncé un temps splendide. Et puis, s’il fait chaud, tu n’auras pas besoin de porter beaucoup de vêtements sur toi.
Il dit ces derniers mots avec un regard lubrique et malicieux, et Eva l’observe de haut en bas en lui disant que lui non plus n’aurait pas une tenue vestimentaire chargée. Les deux jeunes gens rient et finissent leur soirée avec un film devant lequel ils s’endorment.
Le weekend arrive très vite et Eva prend les devants en appelant son père pour lui dire qu’elle allait passer deux jours chez Candice, quant à Vincent, il l’appelle de son côté pour lui dire qu’il part deux jours également pour prendre l’air en solo. Ils mettent en place cette stratégie du mensonge pour éviter qu’Ethan ne les contacte l’un et l’autre. Cela rend nos deux amoureux très malheureux de tromper ainsi leur père et ami, mais il ne veulent pas que leur relation se sache de cette manière-là. Quitte à ce qu’il l’apprenne, ce sera de leurs bouches. Mais les conséquences de leurs cachoteries risque d’avoir des répercussions douloureuses. Malgré cette épée de Damoclès qui pend au-dessus d’eux, leur amour est trop fort pour qu’ils l’ignorent, et ils décideront d’assumer leurs responsabilités le moment venu.
Vers 6 h 28 ce samedi, la moto est prête à partir et nos deux amoureux également. Vincent fait vrombir, dans un vacarme assourdissant, sa belle Triumph, et pour le coup il est tellement heureux qu’il se moque totalement du voisinage. Eva grimpe derrière lui, s’accroche à son amant et les voilà parti vers la mer. Malgré le casque, elle ressent une chaleur intense monter en elle, une chaleur d’amour et de liberté. C’est donc ça une vie à deux ? Des moments de partage ? Des disputes, des bonheurs, des galères et des solutions à trouver ? La jeune femme prend conscience que Vincent est l’amour de sa vie. Ce qu’elle souhaite c’est être avec lui. Malgré son jeune âge, elle sait au fond d’elle que c’est cet homme qui lui est destiné, elle ne l’explique pas mais aux tréfonds de son âme c’est une évidence et au final ça l’a toujours été. De son côté, on peut bien imaginé que pour le jeune homme c’est la même chose.
Après presque trois heures de route, ils arrivent et se garent devant une charmante petite maison. Il y a une terrasse et un accès direct à la plage. Eva descend la première pour admirer le paysage avec des yeux enfantins et émerveillés.
-Vincent c’est magnifique. Merci beaucoup.
Le jeune homme enlève son casque et descend de son engin. Il passe derrière sa belle et l’enlace de ses grands bras. Il approche sa tête contre la sienne et lui murmure un “de rien”, avec un sourire respirant le bonheur. Elle se retourne et se blottit contre son torse, humant le délicieux parfum qui émane de lui. Le temps se fige une fois de plus sur ces deux êtres qui ne demandent qu’à s’aimer en toute sérénité.
Ils s’installent dans la maison et rapidement se mettent en maillot de bain pour profiter de la douce température saisonnière. L’eau n’est pas très chaude, mais n’est pas non plus glaciale. Et après une détente sur le sable, les estomacs gargouillent. Nos deux amoureux se rhabillent et vont manger dans un restaurant à proximité. Vincent commande des moules marinières et Eva prend le poisson grillé. Pendant le festin, on assiste au spectacle d’un Vincent gourmand dont le jus de son plat coule sur son menton. La jeune femme rit de bon cœur et l’essuie tendrement. Ils prennent une tarte tatin pour le dessert et finissent chacun par un thé noir.
Dans l’après-midi, ils partent pour une promenade en bateau, où la visite des criques aux eaux d’un bleu transparent se marie parfaitement avec les yeux azur de Vincent. Après la visite, un petit marché a lieu sur les bords des quais. Nos amoureux vont y faire un tour et profitent pour déguster des spécialités locales, le tout dans une insouciance et une joie de vivre intense. Une fois rentré, les vêtements et les chaussures se retirent très rapidement et jonchent nonchalamment le sol. Malgré le matelas assez ferme, cela n’empêche pas nos tourtereaux de s’adonner à une séance de volupté et de sensualité accrue. Lorsque Eva ouvre les yeux, il est 6 h 10. Elle ne trouve plus le sommeil et observe son compagnon dormant paisiblement à ses côtés. Elle se glisse sans bruit hors du lit, enfile un pantalon et un t-shirt et s’installe à l’extérieur sur la terrasse. La saison est exceptionnellement douce pour cette période de l’année. Observant la mer et les roulis paisibles qui s’étalent sur la plage, elle réfléchit et pense aux quelques mois qui viennent de passer.
En essayant de se projeter dans l’avenir, le jeune homme est présent. Sans forcément penser au mariage et aux enfants immédiatement, mais la présence de cet homme auprès d’elle lui semble indispensable. Et c’est le sourire aux lèvres qu’elle envisage son avenir avec lui.
Sans se rendre compte du temps qui passe, elle entend une porte qui s’ouvre et son cher et tendre apparait derrière elle. Juste un boxer et torse nu. Le spectacle est très attrayant, mais une légère chair de poule force le jeune homme à mettre un haut. La fraîcheur du matin ayant eu raison de cette très belle vue. Quel dommage !
-Bonjour ma belle. Tu es debout depuis longtemps ?
-Depuis 5 h et quelques, pourquoi ?
-Tu ne trouvais plus le sommeil ?
-Non, mais ce n’est pas grave, le levé de soleil est splendide et le calme est très agréable.
-Tu sais ce qu’il y a d’agréable ? Toi et moi ensemble dans cette maison.
Vincent embrasse sa jolie Eva et va faire du café. Une fois fait, il dépose les deux tasses et quelques brioches achetées la veille, sur la table.
-En regardant la mer, je pensais à l’avenir.
-Nos pensées sont connectées parce qu’en me réveillant je pensais à la même chose.
-C’est mignon. Mais plus sérieusement, je veux faire ma vie avec toi.
Le jeune homme esquisse un sourire, s’assoit près de sa belle et lui prend la main.
-Ma douce Eva, j’en ai autant envie que toi. Ce qui me préoccupe, c’est ton âge. Je sais que nous n’avons que six ans d’écart, mais je souhaiterais vraiment que tu sois sûre de ton choix.
-Ah, mais absolument. Là, tout de suite, je ne me vois pas passer ma vie sans toi. C’est tout ! Et puis tu sais quoi ? Pourquoi se poser ce genre de question maintenant alors que nous profitons de notre weekend et qui plus est, nous rentrons en fin de journée. Alors pourquoi ne pas s’habiller et aller découvrir le petit village qui se trouve à trois kilomètres ?
-Tu as toujours les mots que j’ai besoin d’entendre. Aller hop, le dernier à la douche est une mauviette !
La jeune femme se lève d’un bond et court vers la salle de bain, mais Vincent arrive en premier, l’attrapant dans ses bras en riant. Ils s’embrassent, enlèvent le peu de vêtements qu’ils ont et s’adonnent à un jeu encore plus amusant.
Le dimanche file à une vitesse faramineuse et les voici de retour de leur weekend. Vincent gare la moto dans le garage tandis qu’Eva rentre dans la maison. Tout est silencieux, mais la jeune femme sent que quelque chose ne va pas. Elle allume le salon puis se dirige vers la cuisine. Elle pousse un hurlement qui ferait glacer le sang à n’importe qui l’entendrait, et son bien-aimé accourt en vitesse vers elle.
-Eva ? Qu’est-ce qu’il se pa…
Il ne terminera jamais sa phrase, car en face d’eux se trouve installé au comptoir et déterminé, un Ethan bien énervé.
Chapitre 14
-Oh putain papa ! Tu m’as fait une de ses peurs ! Mais qu’est-ce que tu fais là ?
Ethan a le regard sombre. Ses yeux ressemblent à des lames de rasoirs prêtes à trancher tout ce qui se trouve dans leur direction. Il ne prononce aucun mot et regarde tour à tour tantôt son ami, tantôt sa fille. Inutile de préciser que l’ambiance est très électrique et que la foudre peut s’abattre à tout moment. Pourtant, il va bien falloir que quelqu’un prenne la parole, et c’est Vincent qui fait le premier pas.
-Ethan, quelle surprise ? Tu as l’air très énervé. Pouvons-nous discuter calmement ?
Le père ne répond toujours pas et fixe du regard Eva et Vincent qui semblent décomposés. La jeune femme est très mal à l’aise et ne sait pas comment parler à son paternel pour la première fois de sa vie. Elle ne l’avait jamais vu aussi froid. Il émane de cet homme une colère si vive qu’on a l’impression d’entendre le compte à rebours d’un détonateur avant son explosion. Il lui ferait presque peur si elle ne le connaissait pas. Le silence qui règne dans la maison est insoutenable quand soudain, il s’anime dans un calme encore plus effrayant :
-D’où venez-vous tous les deux ? Et pas de conneries s’il vous plaît !
-J’ai emmené Eva en weekend dans la maison de mon pote Mathieu en bord de mer.
-Très bien merci.
Vincent préfère jouer carte sur table en révélant la vérité à son meilleur ami. Cela ne sert à rien de lui mentir une fois de plus, son expression parle d’elle-même : il sait ce qu’il se passe entre Vincent et sa fille.
-Papa, il faut que tu comprennes que…
-Quoi ? Que vous me prenez pour un con depuis des mois ?
-Non, ce n’est pas ce que tu imagines.
-Ah bon ? Tu penses que j’imagine quoi exactement ?
-Je ne sais pas.
-Tu ne sais pas ? Très bien, je vais éclairer ta lanterne alors. J’ai parfaitement compris que ma fille a une aventure avec mon meilleur ami. Vous m’avez trahi, menti, pris pour un idiot, ça fait beaucoup d’accumulation, non ?
-Je suis désolée papa, mais est-ce que nous pourrions en discuter autour d’un café, un thé ? Au moins que chacun puisse s’expliquer et donner sa version. Qu’en penses-tu ?
-Je pense que j’ai pris l’avion, ai fait onze heures de vol, uniquement pour voir de mes propres yeux ce que je soupçonnais. Et tu me proposes un truc à boire ? Non, je vais d’abord manger un morceau et ensuite nous discuterons tous les trois. Allez défaire vos bagages, prenez une douche et nous parlerons en toute HONNÊTETÉ, je tiens à préciser.
Vincent et Eva, sans se dire quoique ce soit, montent dans leurs chambres respectives. Lorsque la jeune femme redescend, son compagnon l’attend en bas des escaliers, car quitte à affronter Ethan, autant que ce soit à deux puisqu’ils se sont mis d’accord sur le fait d’assumer leur liaison. C’est ensemble et main dans la main, qu’ils entrent dans la cuisine et s’assoient. Ethan a sorti du congélateur une poêlée de légumes thaï et fait revenir des blancs de poulet. Il a préparé trois couverts dans une sérénité digne des plus grands moines bouddhistes. Notre homme ne crie pas, ne hurle pas, mais sa présence suffit à tenir en respect n’importe qui. On sent bien qu’il est blessé et qu’il essaie de se maitriser le plus possible. Il reste digne et père avant tout. Il sert les assiettes à parts égales et s’assoit en face de sa fille et de son ami.
-Bien, maintenant que c’est prêt, nous allons pouvoir causer tout en mangeant.
Eva réalise que cette stratégie lui rappelle quelque chose. Lorsqu’elle était enfant et qu’elle avait fait une bêtise, pour rester le plus calme possible, son père parlait avec elle pendant le repas. Ce qui évitait de gâcher la nourriture et dès lors que sa fille mâchait, il pouvait la réprimander sans s’énerver. Et elle ne répondait pas, puisqu’elle mangeait. Apparemment, cette tactique est de mise ce soir.
-Vous êtes silencieux tous les deux. Je vous effraie tant que ça ? Dans ce cas, nous allons faire simple : je pose des questions et chacun de vous me répond avec la plus immense des franchises. On est bon ?
-D’accord Ethan.
-Oui papa.
-Je commence donc par la première : depuis quand votre histoire dure ? Et cette question est pour Vincent.
Le jeune homme se remémore sa première fois magique avec Eva.
-Nous avons entamé notre relation au mois de mars.
-C’est-à-dire un mois et demi après mon départ et juste avant ou après être revenu pour ma semaine de repos ?
-Juste avant.
-C’est pour cette vraie raison que tu es parti toute la semaine qui a suivi ?
-Non, je voulais te laisser passer du temps avec ta fille.
-Tu es sûr que ce n’est que ça ?
-Oui Ethan.
-Très bien. À ton tour, ma chérie. Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ?
-Comment il fallait te le dire ? Salut papa, j’ai couché avec ton meilleur ami, ça ne te dérange pas ?
-Pardon ? Parce qu’en plus, vous avez couché ensemble dans la
foulée ?
-Euh… Oui.
-Ok, ça devient très stressant cette situation. Vous vous êtes protégé au moins ?
-Évidement !
-Ça me perturbe tellement que j’en ai des palpitations. Je pense qu’on va s’arrêter là pour ce soir. Eva, je ne peux pas t’interdire certaines choses puisque tu as dix-huit ans. Par conséquent, tu es majeure. Donc, on en reste là pour le moment. Mais dis-toi que ce n’est pas terminé, jeune fille. Vas te coucher, tu as cours demain !
-Bien papa.
Eva monte dans sa chambre complètement désemparée en laissant son père et Vincent seuls dans cette cuisine. Elle ne veut pas que leur amitié soit brisée. Elle ouvre la porte de sa chambre et la referme pour faire croire qu’elle est allée dormir. Et sans un bruit, elle descend à pas de loup les escaliers et décide d’écouter leur conversation en catimini.
-Bon maintenant que ma fille n’est plus là, on va la jouer franc-jeu ! Mais putain Vincent, qu’est-ce qu’il t’ait passé par la tête, bon sang ? C’est mon enfant, merde !
En perdant son calme, les émotions d’Ethan surgissent telles le lion sautant sur sa proie, et les larmes commencent à couler le long de ses joues. Vincent se sent tellement mal que ses yeux se remplissent également et il répond tout penaud :.
-Je le sais parfaitement.
-Tu ne pouvais pas garder ta queue dans ton pantalon plutôt que de la planter dans ma fille ? Je sais qu’elle a grandi, que c’est devenue une jeune femme magnifique, mais bordel Vincent !
Ethan se laisse tomber assis sur le tabouret de bar en pleurant cette fois-ci à chaudes larmes. Son ami se précipite vers lui, mais il le repousse.
-Non, non, ne me touche pas, s’il te plaît !
Il se relève en prenant une grande inspiration et regarde son camarade avec un sentiment de rage partagé entre tristesse et déception.
-Tu es un homme très beau Vincent, pourquoi Eva ? Tu peux avoir n’importe quelle femme, alors pourquoi ma fille ? Je veux vraiment que tu me répondes, et si tu mens je le verrai vite.
-Parce que… Je l’aime.
-Tu l’aimes ?
-Oui, j’en suis fou amoureux. Lorsque je vivais ici quand j’étais adolescent, elle était ma lumière. Je la voyais comme une petite sœur à l’époque, mais elle m’a apporté tellement plus. Grâce à elle et à toi, je suis vivant, mais pas que d’une seule manière. Tu m’as sauvé la vie en t’opposant à mon père et en me sortant de cette foutue maison. Tu m’as amené chez toi, m’as trouvé du travail, je te dois beaucoup, Ethan. Mais sa présence aussi a été très importante, plus que tu ne l’imagines, et j’en ai pris conscience en vivant sous le même toit qu’elle. Elle m’a redonné le sourire, l’espoir, m’a aidé à affronter le deuil de ma mère. Cette joie de vivre qu’elle a et son fichu caractère m’ont apporté le réconfort et l’amour dont j’avais vraiment besoin à l’époque. Elle ne s’en rend pas compte, mais elle m’a sauvé la vie elle aussi.
Cachée derrière le mur, entre un placard et la porte qui va à la cuisine, Eva se met la main sur la bouche. Ce que Vincent vient de dire la touche au plus profond de son âme et son amour pour lui ne fait que se renforcer avec cette dernière révélation.
-Je sais qu’Eva passait son temps à te taquiner, et j’aimais cette relation que vous aviez. Mais je vous voyais comme un frère et une sœur. Jamais je n’aurais imaginé plus que ça. C’est pour cette raison que je suis en colère. Je me sens trahi par vos mensonges.
-Comment tu te serais senti si je t’avais appelé en t’avouant : salut c’est Vincent, excuse-moi, mais ça ne te dérange pas que ta fille et moi sortions ensemble ? Qu’aurais-tu dit ? Je t’écoute !
-C’est sûr, vu comme ça, en effet, je n’aurais pas été ravi. Mais je suis tout de même sous le choc de cette révélation. Bien que le doute ait commencé à m’envahir lorsque je suis revenu, mais je crois que je ne voulais pas voir ni me l’avouer. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est l’e-mail d’Alex et votre façon de me répondre, bien calculée comme si vous lisiez un texte. Et puis cette histoire de « nous ne sommes pas là chacun ce weekend », ça m’a fait un électrochoc. J’ai donc appelé la mère de Candice et lui ai demandé si Eva était bien chez elle, et comme elle m’a répondu par la négative, les pièces du puzzle se sont formées dans ma tête. Je n’ai pas réfléchi et j’ai pris le premier avion pour rentrer à la maison. J’ai planté toute mon équipe pour me rendre compte que mes doutes étaient fondés. Mais il va falloir que je reparte, sinon le chantier va prendre encore du retard.
-Ok, alors qu’est-ce qu’on fait ?
-Pour l’instant, je vais réfléchir et aller dormir. Je ne veux pas te voir dans la chambre de ma fille, c’est compris ?
-Compris.
-Et pour notre amitié, je suis tellement déçu Vincent. Je n’ai pas les mots assez forts pour dire ce que je ressens au plus profond de mon être. Je me sens blessé et trahi. Par mon meilleur ami et par ma fille. Je ne vais pas te dire que c’est toi qui l’as détourné du droit chemin, elle est grande, intelligente et sait prendre seule ses propres décisions. Mais vos mensonges sont la pire chose pour moi. Je vais me coucher, je dois faire le point sur cette affaire.
Ethan monte en laissant un Vincent désemparé, assis dans la cuisine, face à de la vaisselle sale. Il se lève et commence à nettoyer. Probablement pour noyer son chagrin et occuper son esprit. Une fois son père parti, Eva se glisse dans la pièce et rejoint son amant. Elle s’approche de lui et le prend dans ses bras. Il s’effondre en larmes.
-Oh Eva, qu’ai-je fait ? Je ne suis pas un ami, je ne suis qu’un traître.
-Ne dis pas ça, je t’en prie. Tu sais bien que c’est faux.
-Non non, j’ai trahi l’homme qui m’a sauvé en lui prenant ce qu’il a de plus cher au monde.
La jeune femme se défait de l’étreinte, soulève la tête de Vincent et lui dit :
-Arrête de dire ça, d’accord ? J’ai entendu ce que tu as dit à mon père.
-Tout ?
-Oui tout. Et tu sais quoi ? C’est encore plus beau qu’une déclaration d’amour. Je t’aime Vincent, sache-le. Et rien de ce qui peut se passer désormais ne m’empêchera de t’aimer. J’ai le plus profond respect et amour pour mon père. Mais il ne peut pas contrôler mes sentiments. Peu importe ce qu’il va décider, je veux rester avec toi.
-Eva, je t’aime tellement. Mais je refuse de vous perdre tous les deux. Tu sais, quand mon père a pété les plombs une fois de plus, il s’en est pris à moi et c’est ma mère qui s’est interposée. Il l’a asséné de coups de pieds et de coups de poings en l’injuriant. Mon père était fou à lier. Ma mère m’a hurlé de me sauver avant de pousser son dernier souffle. Je suis monté à l’étage, car mon père me barrait le passage pour sortir, alors je me suis dit que j’allais passer par la fenêtre de ma chambre parce qu’il y avait un arbre sur lequel m’accrocher pour descendre. Malheureusement, il m’a rattrapé violemment, jeté dans le couloir et a commencé à se déchainer sur moi. J’ai poussé un cri tellement fort que je m’en suis abîmé les cordes vocales, c’est ce que ton père a entendu. Seigneur, lorsque je l’ai vu arriver et sauter sur cet homme abject, je me suis dit qu’il y avait peut-être encore un infime espoir d’être sauvé finalement. J’y voyais flou à cause du sang sur mon visage et de mes yeux qui commençaient à gonfler. Mais ce que je sais, c’est que ton père s’est battu, au sens propre comme au figuré, pour que je vive. Je sais qu’il a longtemps culpabilisé de la mort de ma mère, mais je sais qu’il a tout donné pour que je reste en vie. D’ailleurs, lorsqu’il m’a déposé sur le trottoir, j’ai ouvert les yeux comme j’ai pu, mais c’est son visage que j’ai vu en premier et sur le coup, du haut de mes quatorze ans, je me suis dit, soit je suis mort et je suis au paradis, soit c’est mon maître de stage qui est venu à mon secours. Eva, ton père est l’homme le plus courageux que je connaisse. Cela me rend malade de l’avoir mis dans cet état. Tu sais quoi ? Le pire, c’est qu’il est en colère parce qu’on lui a menti. Ton père est un homme droit et honnête et moi, je l’ai trahi après tout ce que je lui dois. Non, Eva, je ne peux pas dormir l’esprit tranquille cette nuit. Je m’en vais.
-Quoi ! C’est une blague ?
-Non ma belle, je dois partir réfléchir, cette situation me perturbe et je n’arrive plus à penser.
Vincent embrasse Eva, enfile sa veste et son casque et part. Malgré les supplications de sa bien-aimée, il démarre sa moto et s’en va dans la nuit noire. Eva reste sur le perron de sa porte d’entrée, les larmes déferlant sur ses joues creusées par le chagrin. Mais la jeune femme a une soudaine montée d’adrénaline qui électrise tout son corps. Elle sèche ses larmes et monte furieuse dans la chambre de son père. Elle ouvre la porte et le trouve debout contre la fenêtre, le regard perdu. Le ton des plus sérieux, elle lui invective :
-Papa, l’heure est grave. Vincent vient de partir.
-Je sais.
-Je ne peux pas tolérer cela.
-…
-Papa, réagit, merde !
-Surveille ton langage, jeune fille !
-Oh aller ça suffit ! Je sais que tu es déçu, que tu te sens trahi, bla bla bla… Mais je vais te dire, Vincent est la meilleure chose qui me soit arrivée. Je sais, je suis jeune, je dois prendre mon temps, vivre pour moi et plus encore. Mais là, tout de suite, c’est lui que je veux. Je l’aime et c’est réciproque. Je sais très bien qu’il a souffert et qu’il souffre encore de cette partie de son enfance qui lui a été volée à cause de son père. Mais toi, en tant que papa, tu devrais encore plus comprendre, non ? Toi qui es si bienveillant envers tout le monde, qui est un père merveilleux et un ami loyal, ne crois-tu pas que tu amplifies une situation qui pourrait, au final, être si simple à comprendre ? Nous sommes tombés amoureux, voilà point ! Cette relation est très sérieuse. Nous en avons déjà discuté. Et tu sais quoi ? Plusieurs fois, c’est moi qui suis allé vers lui et plusieurs fois, il m’a repoussé en me disant que ça n’était pas bien vis-à-vis de toi. Et puis, à un moment donné, les sentiments, les vrais, ont pris le dessus. Et depuis, nous sommes heureux, papa. Vivre ensemble est une expérience magique, et je refuse de renoncer à tout cela.
-Je comprends ma chérie, mais c’est dur de savoir que faire. Je ne veux perdre ni toi ni lui.
-Qu’est-ce qui est le plus blessant dans cette histoire ?
-Vos mensonges. Et le fait que vous sortiez ensemble me perturbe. Je ne sais plus où donner de la tête ni quoi faire.
-Je vais te le dire : ta fille et ton meilleur ami sont désormais en couple. Ils sont bien ensemble. Ils n’attendent qu’une chose, c’est que tu sois content pour eux aussi. Mais là tout de suite, Vincent est parti et je dois le retrouver. Il est complètement chamboulé et dans la nuit, qui sait ce qui peut arriver quand les idées ne sont pas claires. Aller hop, on va le chercher !
-Mais comment ?
-C’est ton meilleur ami, non ? Tu dois le connaître par cœur ?
-Attends que je réfléchisse. Il y a plusieurs endroits, mais le connaissant, il y en a un en particulier où il a pu aller. Enfile tes chaussures, on y va !
Le père et la fille montent dans la voiture et partent. Eva essaie d’appeler Vincent, mais il ne répond pas. Elle essaye avec le téléphone de son père : même chose, elle tombe sur le répondeur. La tension monte dans le véhicule et Eva a un mauvais pressentiment. Ethan lui dit de se calmer, mais la jeune femme n’y arrive pas. Au bout de quelques minutes qui semblent des heures, dans un quartier proche du lycée, ils aperçoivent un attroupement de quelques personnes. Eva demande à son père de s’arrêter, ce qu’il exécute. Elle sort en trombe et aperçoit la moto de son bien-aimé couchée et en mauvais état. Elle pousse les gens et, arrivant au centre de l’attention, voit Vincent étalé sur le sol. La lumière des lampadaires autour l’éclaire vivement et elle constate qu’il est inerte et en sang. Ethan accourt vers eux et ne peut retenir un gémissement effaré.
-Est-ce que quelqu’un a appelé les pompiers ?
-Oui, ils arrivent, monsieur. Vous le connaissez ?
-Oui, c’est un membre de notre famille.
Eva appuie son oreille contre le torse du jeune homme pour entendre son cœur, mais il est très faible. La jeune femme hurle le nom de son tendre amour, assaillie de larmes.
-VINCENT ? VINCENT ? Mon amour, s’il te plaît, réponds-moi !
Mais aucun signe vital ne se manifeste. Eva ne peut pas lui retirer son casque au cas où il aurait des lésions sur la colonne vertébrale, mais elle soulève la visière et le regarde. Elle constate les traces des larmes et les cernes encore récentes sur son visage. Elle pleure contre lui et se dit que ce serait ignoble qu’il quitte ce monde maintenant. Ethan, quant à lui, s’agenouille devant le corps de son ami et se met également à sangloter. Il lui prend la main et lui demande pardon. Pardon d’avoir été un piètre ami sur ce coup-là. Pardon de ne pas avoir entendu réellement ce qu’il ressentait pour sa fille et pardon parce que peut-être, il ne pourrait plus jamais le lui dire. Et c’est sur ce dernier « pardon » que les gyrophares des pompiers apparaissent au loin.
Chapitre 15
Cela fait trois jours que Vincent a eu son accident de moto. Il a une jambe cassée et un poignet fracturé. Eva ne l’a quasiment pas quitté. Il s’est réveillé quelques fois, mais reste encore un peu vaseux. Candice est venue lui rendre visite et en a profité pour emmener les devoirs pour son amie. Quant à Ethan, il se sent tellement meurtri de tous ces événements qu’il est perdu et ne sait que faire pour se rendre utile. Ils ne se sont presque pas parlés avec sa fille, car elle le tient pour responsable de ce qu’il s’est passé. Il a préféré mettre une petite distance entre eux, le temps que les tensions s’apaisent. Pour cette journée, il est parti chez ses parents pour qu’ils l’aident à remettre de l’ordre dans tout le chaos de son esprit. Jamais Eva n’avait été en colère contre lui de cette manière. Le père de famille est dévasté : il ne sait plus comment gérer toutes ces émotions. Cela a ravivé sa souffrance et la trahison de la mère de sa fille lorsqu’elle l’a quitté du jour au lendemain, en lui laissant un bébé sur les bras à seulement dix-huit ans.
Lorsqu’il arrive, sa mère, Stéphanie Calendal, l’attend au portail. C’est une dame âgée qui reste très classe malgré les années et son fils lui ressemble énormément.
-Bonjour maman.
-Ah mon grand garçon, ça me fait tellement plaisir. J’en ai assez de ne te voir qu’à travers un écran.
-Je suis là maintenant, donc profitons-en.
-Tu n’es pas dans ton état normal toi.
-On ne peut rien te cacher. Entrons à l’intérieur, je vais tout te raconter. Mmmh ça sent bon, qu’est-ce que tu nous as préparé ?
-Du bœuf bourguignon, un gratin de pommes de terre et des haricots verts sautés.
-Tout ce dont j’avais besoin. Merci maman.
-De rien fiston.
Les Calendal habitent une maison en dehors de la ville, en campagne. Ethan est tellement heureux de pouvoir enfin voir son père et sa mère qui lui ont tant manqué. On oublie souvent que nos parents sont également les enfants de quelqu’un. Et c’est avec une joie immense que notre homme redevient, en l’espace de quelques heures, un petit garçon.
Ils entrent dans la maison et trouvent, auprès d’une belle cheminée, un homme assis dans un grand fauteuil grisâtre en train de lire le journal. Il est assez charmant pour son âge et a un léger défaut de mâchoire dû à son accident vasculaire cérébral, mais il semble bien.
-Bonjour papa.
-Bonjour mon fils, ça me fait très plaisir de te voir.
Et l’homme, aidé d’une canne, se lève.
-Oh mon Dieu, papa, mais tu remarches ?
-Et oui, il en faut plus pour décourager Philippe Calendal.
-Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ?
-Je voulais t’en faire la surprise, voyons, je n’aurais pas pu voir ton regard étonné sinon.
Ethan va vers lui et le prend dans ses bras. Les deux hommes sont aussi grands l’un que l’autre, et revoir son père debout après deux années de fauteuil roulant, c’est un cadeau merveilleux qu’il lui fait.
-J’en ai eu assez d’attendre un miracle, j’ai donc décidé d’aller le chercher. Et voilà, je me suis offert une belle canne de l’époque victorienne en ébène et pommeau en argent massif. Je l’ai trouvée sur un site de ventes aux enchères et elle est là dans ma main.
-Incroyable, c’est tellement bien que tu puisses te déplacer à nouveau.
-Même le médecin n’en croyait pas ses yeux. Je lui ai dit que j’avais encore du pain sur la planche et que je ne renoncerais pas à m’améliorer encore. Si un jour Eva a des enfants, je veux pouvoir jouer avec eux !
-Bon messieurs, ces retrouvailles nous font un immense bonheur à tous, mais le dîner va refroidir !
Tous les trois s’assoient autour d’une table rectangulaire. Philippe et Stéphanie l’un à côté de l’autre et Ethan en face de sa mère. Les plats sont sur la table, il n’y a plus qu’à se servir. C’est le fils qui s’en occupe. Le repas se passe délicieusement et les assiettes se vident comme l’eau d’une baignoire débouchée. Lorsqu’arrive le café et les petits biscuits préparés par la maman d’Ethan, son père lui pose une question :
-Dis-moi, comment va Eva ?
-Elle va bien, elle prépare son bac pour la fin de l’année et ça s’approche très rapidement.
-Non, je vais te reposer la question. Comment elle va vraiment depuis que tu es parti et que c’est Vincent qui se charge de veiller sur elle ?
Les yeux d’Ethan manquent de sortir de leurs orbites au moment où son père prononce cette phrase.
-C’est bien ce que je pensais, ta fille et ton ami sont plus que des amis, n’est-ce pas ?
-Ethan mon chéri, cela ne sert à rien de nier l’évidence, voyons.
-Mais pourquoi vous me dites cela ? Vous êtes au courant de quelque chose ? Eva vous a parlé ?
-Fiston, lorsque tu as recueilli ce jeune garçon, il est venu ici comme s’il était ton propre fils, et nous l’avons accueilli comme s’il était notre petit-fils. Tu ne peux pas ignorer que ton comportement avec lui était celui d’un père.
-Mais nous n’avons que douze ans d’écart, il est plus un frère pour moi.
-Non, il est temps que tu prennes conscience que tu le vois comme ton enfant. Tu t’es occupé de lui jusqu’à ce qu’il puisse voler de ses propres ailes. Tu l’as aimé, choyé, guidé et qui plus est, tu lui as mis Eva dans les pattes. Tu as été le père qu’il aurait aimé avoir et au final, il l’a eu.
Ethan n’en croit pas ses yeux. Il n’avait jamais vu les choses sous cet angle, trop préoccupé du bien-être de tout le monde et de son dévouement pour son travail. Cette prise de conscience est brutale, mais nécessaire. Son affection pour Vincent est plus qu’une profonde amitié, et il a fallu que ses parents l’éclairent.
-Qui y a-t-il, mon fils ? Tu ne voyais pas les choses comme cela, n’est-ce pas ?
-Non, pour moi, c’était le petit frère que je devais protéger.
-Oui, peut-être que tu l’as vu sur le moment comme cela, mais au fur et à mesure du temps, tu es devenu son père de substitution. Et nous avons vu le comportement d’Eva envers lui changer petit à petit. Ce n’est plus celui d’une petite sœur, mais bel et bien d’un amour naissant. Alors, lorsque tu nous as dit au mois de janvier qu’il viendrait prendre soin de ta fille, nous nous sommes dit : « Il va y avoir des flèches de Cupidon dans l’air. » Alors, raconte-nous tout qu’on puisse vérifier nos soupçons.
Et Ethan s’exécute. Il relate tout ce qu’il sait de leur histoire. Ses parents, le sourire aux lèvres, ne sont ni surpris ni en colère. Bien au contraire, ils soutiennent cette relation, qui même si cela a choqué Ethan, était destinée à voir le jour.
-Elle est très belle cette liaison, je trouve.
-Maman, ils m’ont menti et ça, je n’arrive pas à passer au-dessus.
-Tu es bien sûr que c’est pour cette raison que tu te sens mal ? Ou que par ta faute, Vincent est à l’hôpital ?
-Merci papa, je me sens encore plus mal maintenant.
-Non, ce que je veux dire, c’est qu’au-delà de ça, je pense surtout que tu as peur de les perdre tous les deux.
Ethan marque un arrêt sur cette dernière réflexion et réfléchit. Il se lève et se dirige vers la fenêtre.
-C’est drôle, tu as 36 ans et tu as toujours cette même habitude depuis tout petit.
Stéphanie se lève également, prend la main de son fils et l’entraîne dans le jardin pour une petite promenade digestive. Bras dessus, bras dessous, ils marchent dans l’allée dallée de pas japonais, où sa maman est fière de lui montrer ses dernières plantations de fleurs. Il regarde toutes ces belles plantes, émerveillé par la capacité de sa mère à faire pousser tout et n’importe quoi, quand soudain il aperçoit la petite cabane dans le grand chêne. Celle de son enfance, celle de sa fille, mais aussi de Vincent, qui a passé beaucoup de temps à jouer aux aventuriers avec Eva. Même si ça n’a été que pendant la période adolescente, il y a passé des moments très heureux.
-Tu sais que Vincent vient nous voir de temps en temps ?
-Non je l’ignorais.
-Je pense qu’il y a beaucoup de choses que tu ignores encore sur lui.
-Pourtant, il me semble qu’on se confie beaucoup l’un à l’autre.
-Est-ce que tu connais la vraie raison qui l’a poussé à quitter l’armée ?
-Il m’a dit qu’il en avait assez, qu’il n’avait plus de motivation et qu’il a préféré démissionner.
-D’accord, mais en profondeur ?
-Non, je l’ignore.
-Il est parti parce qu’il a fait une dépression.
-Une dépression ?
-Oui parfaitement. Il s’est retrouvé avec un autre militaire qui lui a fortement rappelé son père. Cela l’a tellement perturbé qu’il a préféré partir avant la fin de son contrat. Cet homme-là, en sortant un soir, s’en est pris à lui et l’a tabassé comme un fou. Vincent a fini à l’hôpital et l’autre a eu un blâme. Mais cela a ravivé tant de douleur chez lui, que même la psychologue de l’armée n’a rien pu faire. Alors, je vais être franche, mon chéri, il aime ta fille et ta fille l’aime. Laisse-les s’aimer. Eva est une jeune femme sérieuse et intelligente et elle sait ce qu’elle veut. Vincent est un homme admirable et elle ne pourrait pas tomber sur une meilleure personne.
-Qu’a-t-il fait pour sa dépression ?
-Il s’est trouvé une autre motivation : sa formation. Et il a trouvé le bonheur chez toi, je constate. Il ne t’en a pas parlé parce qu’il avait honte de ne pas avoir surmonté son traumatisme. Je trouve qu’il a été très courageux de nous en parler à nous. Alors sois mignon et laisse-les vivre leur vie.
Ethan se détache doucement de sa mère, ne dit pas un mot et se dirige vers la cabane dans l’arbre. Il grimpe à la vieille échelle restée là depuis longtemps et prie pour qu’elle ne parte pas en morceaux sous son poids. Il arrive à l’entrée et se faufile à quatre pattes pour aller à l’intérieur, et constate qu’il reste quelques objets et jouets poussiéreux. Il prend une vieille boîte de biscuits rouillée et l’ouvre. À l’intérieur se trouvent : une petite voiture, des billes colorées, des cailloux peints en rose et bleu, une bague en métal, des pièces de monnaie et un morceau de papier jauni par le temps. Il l’ouvre et remarque deux écritures différentes.
Trésors d’Eva et Vincent
« Quiconque touchera ce trésor subira une malédiction. »
Ethan rit de ce qu’il voit, car il se souvient soudain que sa fille adorait jouer la chasseuse de trésor. Vincent n’avait pas encore quinze ans, mais il jouait avec elle comme un enfant du même âge, sans se plaindre.
Ce jeune garçon avait subi un événement traumatisant, et il s’amusait avec une petite fille comme si de rien était. Le père de famille ferme les yeux et prend conscience que ses parents ont parfaitement raison. L’amour entre Vincent et Eva était évident depuis le début, et à cause de son incompréhension et de sa peur, il avait peut-être tout gâché. En observant les planches en bois composant la cabane, il remarque que certaines sont gravées. Il s’approche de plus près et voit des cœurs, des trous, des initiales, mais plus particulièrement le E et le V. D’après les formes précises, ce n’est pas sa fille qui a écrit ça, mais bien Vincent. Plus loin, ce sont les siennes : EC et puis encore plus loin MB, les initiales de la mère d’Eva. Une fois de plus, c’est l’électrochoc pour Ethan. Il ne se souvenait pas d’avoir emmené Margot ici, et pourtant tout ce qu’il a enfoui dans son esprit depuis si longtemps rejaillit comme un geyser dans les coins reculés du monde. Ethan n’a jamais avoué à quel point l’abandon de sa bien-aimée l’avait détruit psychologiquement. C’est pour cela qu’il s’est occupé des autres pour les rendre heureux et pour oublier sa douleur. Il a mis sa vie personnelle de côté, ce qui lui a permis de ne pas penser trop à elle. Mais la réalité est là, bien présente. Le mensonge et la trahison reviennent dans sa vie comme pour lui rappeler sa souffrance intérieure, mais peut-être aussi pour l’affronter, l’accepter et la faire partir. C’est triste, mais déterminé, qu’Ethan Calendal descend de son perchoir d’enfant, rejoignant sa mère. Ils finissent la journée ensemble à jouer aux cartes, puis vient le moment de partir. Notre homme a pris une décision et part sur le champ à l’hôpital prévenir sa fille. Il prend l’ascenseur pour se rendre au troisième étage quand soudain une main se faufile entre les portes qui sont en train de se refermer. Elle pousse et entre en croisant le regard d’Ethan qui écarquille les yeux de surprise : c’est la mère d’Eva. Elle le regarde et fait demi-tour, mais l’ascenseur monte déjà.
-Margot ? Ça alors !
-Bonjour Ethan.
-Cela fait longtemps n’est-ce pas ?
-Oui en effet.
-Qu’est-ce que tu fais là ? Tu viens voir quelqu’un ?
-Oui, mon père est en phase terminale d’un cancer. Et toi ?
-Mon meilleur ami a eu un accident de moto.
-Ah d’accord.
-Tu ne veux pas savoir comment va Eva ?
La sonnerie retentit et les portes s’ouvrent au même étage pour l’un et pour l’autre.
-Bon et bien ça m’a fait plaisir de te voir. Salut !
-Attends ! Tu n’as pas répondu à ma question.
-Bon, si tu insistes, comment va ta fille ?
-Elle va bien et c’est une jeune femme magnifique qui va passer son bac cette année. Et juste pour info, elle s’appelle Eva je te rappelle.
-Ah c’est bien. Aller, je dois y aller.
-Ok.
Tandis que son ancienne compagne s’en va, il la regarde s’éloigner, partagé entre rage et dégoût. Même après toutes ces années, son enfant ne trouvera jamais grâce à ses yeux, et cela lui fait beaucoup de peine, car au fond de lui, il espérait probablement qu’elle finisse par avoir des remords d’avoir abandonné sa fille. Néanmoins, il se ressaisit et va dans la chambre où Vincent se trouve. Il toque à la porte et entend un faible « oui ». Il entre et trouve son ami seul. Il prend une grande inspiration et le salue.
-Salut…mec !
-J’avais peur que tu me dises de m’en aller.
-Pourquoi ?
-Parce que si tu es là, c’est bien à cause de moi.
-Ne dis pas de conneries. Si j’ai eu cet accident c’est parce que je suis parti sans réfléchir et…pas dans un état normal, c’est tout. C’est…ma faute, pas la tienne.
-Eva n’est pas de cet avis.
-Je sais.
-D’ailleurs où est-elle ?
-Je lui ai dit de rentrer à la maison. Elle a besoin de se reposer.
-Tu veux que je m’en aille ?
-Non reste Ethan, il faut qu’on parle tous les deux.
-D’accord. Mon vieux, tu es dans un de ces états, je n’arrive pas à y croire.
-Je constate que chaque fois que je suis en danger, tu es là pour me sauver.
-Ne dis pas de bêtises.
-Si…c’est vrai. Je suis vraiment désolé pour Eva.
-Pour quelle raison ?
-Je ne voulais pas tomber amoureux d’elle, mais ça a été trop difficile, je n’ai pas été…assez fort.
-Arrête, c’est bon. Je suis allé chez mes parents aujourd’hui et nous avons eu une petite conversation à propos de tout ça. Il paraît que tu vas les voir de temps en temps ?
-Oui, c’est juste. Pardon, je ne te l’avais pas dit.
-Ne t’excuse pas, je suis plutôt content, au contraire. Et puis tu sais quoi ? Mon père remarche.
-Ah ça, c’est une merveilleuse nouvelle. Il a pu avoir sa canne ?
-Oui, il est très fier de sa trouvaille.
Les deux amis discutent pendant un long moment et se racontent beaucoup de choses. Cependant, ils n’abordent pas encore le sujet principal. Vincent va prendre les choses en main, car il voit bien qu’Ethan ne va pas revenir sur l’essentiel : sa fille.
-Ethan, toi et moi, il faut vraiment que nous parlions.
-Est-ce que ça peut attendre demain ?
-Non j’aimerais le faire…pendant qu’Eva n’est pas là.
À ce moment-là, une infirmière entre dans la chambre et signale qu’il est 20 h 30 et que les visiteurs sont priés de s’en aller.
Vincent affiche une mine déçue, mais comprend. Leur entretien devra attendre encore un peu. Ethan pose sa main sur celle de son ami et lui dit qu’il reviendra le lendemain. Il prend sa voiture et rentre chez lui. Au moment de se garer dans son allée, son téléphone sonne. Au vu du numéro, c’est un appel de l’étranger. Il répond et reste plus de trente minutes au bout du fil. Il finit l’appel, entre dans la maison et part faire sa valise. Eva, qui l’a entendu et même si elle est encore sous le coup de la colère, le rejoint dans sa chambre et lui demande ce qu’il fait.
-Je fais mes bagages, chérie.
-Tu pars déjà ?
-Mon chef d’équipe vient de m’appeler, un éboulement a détruit la moitié de notre chantier. Je dois y retourner pour évaluer les dégâts et voir comment nous allons procéder. Ma fille, je ne suis pas encore de retour à la maison, il va falloir faire sans moi. Je suis sincèrement désolé.
-Ne t’inquiète pas, papa. C’est ton travail et il est important que tu t’y rendes.
-J’aurais aimé que nous puissions parler sérieusement, mais il y a un vol dans trois heures, j’ai déjà appelé un taxi pour m’emmener à l’aéroport. Je suis encore une fois désolé ma puce.
-Non, comme je te dis, c’est ton travail.
-Non, excuse-moi pour mon comportement vis-à-vis de toi et de Vincent. Ce n’était pas correct de ma part. Et puis vous n’avez rien fait de mal. Vous êtes juste amoureux, c’est tout, et il faut que j’arrive à accepter cette idée.
-Papa, merci de ta compréhension. On sent bien quand tu vas chez papi et mamie.
Ils rient tous les deux, car Eva sait très bien comment sont ses grands-parents. Et elle ne manquera pas de les appeler pour les remercier.
Le taxi arrive et Ethan s’en va. Notre jeune femme se retrouve seule dans cette grande maison sans personne pour la surveiller. Ces quelques mois, sans son père, l’ont fait mûrir. Peut-être était-il temps pour Ethan de lâcher prise sur ses peurs et de faire pleinement confiance à sa fille ?
Chapitre 16
Six jours passent et Vincent sort de l’hôpital. Il est en fauteuil roulant, car il faut le rappeler : il a une jambe cassée et un poignet dans le même état. Donc, Eva devient son infirmière pour les semaines à venir. Ce qui ne déplaît pas à notre homme, de se faire un peu dorloter par sa douce. Eva a aménagé la maison de sorte que Vincent puisse avoir accès aux commodités sans son aide. Et fort heureusement, il y a une salle d’eau et des toilettes au rez-de-chaussée.
-Voilà ta nouvelle chambre pour les jours qui arrivent.
-Tu as arrangé tout le salon pour moi ? Tu es un amour, merci.
-De rien. Et puis comme ça, lorsque je serai au lycée, tu seras assez autonome pour pouvoir te débrouiller sans moi.
-Oui, ne t’en fais pas, ça va aller. Et puis, je ne vais pas rester dans ce fauteuil indéfiniment. C’est l’affaire de cinq à six semaines d’après le médecin. Donc ça va aller vite.
-Oui, j’espère, car dans un mois, je pars en voyage scolaire.
-Oh bon sang ! J’avais oublié, c’est vrai. Je ne te cache pas que je ne suis pas à l’aise que tu sois là-bas avec ton ex dans les parages.
-Oh, mais non, ne t’en fais surtout pas pour cet imbécile. Par contre, c’est juste que ça m’ennuie d’être loin de toi. Mais il va bien falloir faire avec.
-Tu as raison. Au fait, tu as réussi à avoir ton père au téléphone ?
-Non, et en vidéo non plus. Cela fait une semaine qu’il est reparti et il m’a juste contacté lorsque son avion a atterri.
-Moi non plus, je n’ai plus de nouvelles. Tu penses qu’il est toujours sous le choc de notre liaison ?
-Je n’en sais rien. J’ai appelé ma grand-mère et elle m’a dit qu’il allait bien et qu’il lui fallait juste du temps pour mettre de l’ordre dans sa tête. En plus, avec son chantier qui a subi de gros dégâts, ça n’arrange pas les choses. Il y a deux jours, c’est passé aux infos. J’ai vu quelques images et c’était assez impressionnant. Heureusement, il n’y aucune victime à déplorer, c’est déjà ça. Arrivé sur place, connaissant mon père, il a dû se jeter sur le déblaiement et s’assurer qu’il n’y ait plus aucun danger pour les ouvriers.
-Tu sais Eva, nous avons un peu discuté le jour de son départ.
-Ah bon ? Raconte-moi !
-Oh, ce n’était pas grand-chose. Je voulais entamer la discussion à ton sujet, mais l’infirmière nous a interrompus. Je suis assez frustré, car j’aurais vraiment aimé lui parler à cœur ouvert. Et puis, il avait l’air un peu moins en colère. Il était plus dans l’état d’esprit du pote que j’adore.
-Ça, c’est l’effet papi et mamie. Mes grands-parents connaissent leur fils sur le bout des doigts et ils ont toujours le petit truc pour le raisonner et lui faire prendre conscience de ses actes. Que ce soit en bien ou en mal. Il n’empêche qu’il est parti et je n’ai même pas eu le temps de lui demander pardon pour mon comportement envers lui. J’étais en colère et ça a pris le pas sur tout le reste.
Eva a les larmes aux yeux. Vincent se rapproche et se penche tant bien que mal contre elle. Elle se met à genoux et pose sa tête sur les cuisses de son amoureux. Il lui caresse les cheveux et ne dit rien. Ce doux échange entre eux, n’est ni plus ni moins la preuve qu’ensemble, ils peuvent surmonter tous les obstacles.
Les jours passent à vive allure et Vincent se remet petit à petit de ses fractures. Il n’a plus qu’une attelle à son poignet et bientôt il n’aura plus besoin du fauteuil. De plus, il évite le plus possible de demander à Eva de s’occuper de lui, car il sait qu’elle révise son bac et ne veut surtout pas interférer. Quant à lui, il peut toujours finir de suivre sa formation à distance, ce n’est pas un problème puisque les examens sont également pour bientôt.
Dans l’après-midi du 11 mai, Vincent se fait un café, lorsque retentit la sonnette. Il prend sa béquille, se dirige jusqu’à la porte d’entrée et ouvre. C’est une femme approchant la quarantaine, le teint fatigué, les cernes marquées, les cheveux brun roux attachés en chignon et les yeux noisettes, qui se présente.
-Bonjour, est-ce que je suis bien chez Ethan Calendal ?
-Oui en effet.
-Est-ce qu’il est là, s’il vous plaît ?
-Non, il est absent et je lui garde sa maison. Et vous êtes ?
La femme en question lève les yeux au ciel, tourne la tête vers la droite puis vers la gauche. Elle semble mal à l’aise et confuse. Vincent remarque même de légers tocs de nervosité.
-Madame ? Il y a un problème ?
-Non, je n’aurais pas dû venir.
Et elle se retourne et s’en va vers le portail, puis s’arrête et revient sur ses pas vers le jeune homme.
-En fait, je suis…la…mère d’Eva.
-Enchanté, je suis Vincent Bourgier.
-Margot Breteuil.
-Bon Ethan n’est pas là comme je viens de vous le dire, mais je peux faire quelque chose pour vous ?
-Oui, je viens de perdre mon père et je voudrais lui donner ça, mais comme il est absent, vous pouvez le donner à…ma…à ma…fille.
Elle lui tend une grande enveloppe format A4 assez épaisse.
-Je suis désolé pour votre père. Je vous présente mes condoléances.
-Merci, mais il était très malade et on savait qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps à vivre.
-Attendez, maintenant que je vous regarde mieux, je vous ai croisé à l’hôpital, non ?
-C’est probable. Bon, vous donnerez bien cela à Eva d’accord ?
-Oui, pas de problème, mais vous ne voulez pas rester ? Je viens de faire du café, il y en aura aussi pour vous si vous le souhaitez.
-C’est très gentil, mais je ne veux pas croiser Eva pour tout vous dire.
-Oh, vous savez, elle est en cours jusqu’à 17 heures aujourd’hui. Cela vous laisse du temps. C’est à vous de voir.
Margot réfléchit et finit par accepter la proposition de Vincent. Il sent bien qu’elle est désemparée et qu’elle a besoin d’une oreille attentive.
Elle le suit dans la maison et observe ce qui l’entoure. Sans le dire, elle aime la façon dont tout est décoré avec goût et finesse. Son expression faciale change et passe d’un air las à un air juvénile. Les yeux grands ouverts, d’admiration, comme un petit enfant découvrant quelque chose de merveilleux et de féerique. Peut-être a-t-elle des
regrets ? Peut-être se demande-t-elle comment aurait été sa vie si elle était restée avec Ethan ? Elle se ressaisit et accompagne Vincent dans la cuisine où elle prend place au comptoir.
-Vous êtes sûr que vous ne voulez pas un coup de main ?
-Non, ne vous inquiétez pas, je me débrouille parfaitement tout seul. Et puis Eva a mis tout en place de manière à me rendre les tâches quotidiennes plus faciles et accessibles.
-Vous êtes qui pour elle ?
C’est la première fois qu’on lui pose cette question. Et cela lui fait drôle de devoir répondre, car jusque-là leur idylle n’avait jamais été officialisée aux yeux du monde.
-Je suis son compagnon.
-Compagnon genre petit ami ?
-Oui si vous voulez. Son chéri, son amoureux aussi.
-Ça va, j’ai compris.
-Tenez votre café. Vous sucrez ?
-Oui un demi s’il vous plaît. Dites-moi, Ethan vous autorise à garder sa maison et sa fille en même temps ? Mais vous êtes en couple avec Eva. Je sais que ça ne me regarde pas, mais c’est assez bizarre comme situation.
-Oui ça vous pouvez le dire. Mais je ne vais pas m’éterniser là-dessus.
-Très bien, je vois que vous ne direz rien.
-Je ne vous connais pas assez pour me confier. Vous comprenez ?
-Tout à fait. Il est délicieux votre café.
-Merci, c’est le préféré d’Ethan.
-Ah ! Il a toujours eu du flair pour trouver les bonnes choses. Sauf pour moi où il a échoué.
La mine triste, elle repose sa tasse sur la coupelle et regarde vers la fenêtre, le soleil qui brille de tout son éclat, contrastant avec son visage sans lumière intérieure.
-Madame Breteuil, je sais que ce ne sont pas mes affaires…
-Margot ! Vous pouvez m’appeler Margot.
-Très bien. Margot, je sais que ce ne sont pas mes affaires, mais pourquoi avoir tout quitté ?
-Vous connaissez Ethan depuis combien de temps ?
-Cela fait dix ans.
-Oui, vous le connaissez bien quand même. Eh bien, moi, je suis allée au collège puis au lycée avec lui. Cela fait 22 ans. Waouh, quand j’y pense, ça me fait me sentir vieille.
-Il m’a raconté ce que vous lui avez fait dans le dos.
-J’imagine qu’il m’en veut toujours ?
-Non, il adore sa fille, mais par contre, il porte toujours les stigmates de votre séparation.
-Je m’en doute. Seulement, je ne pouvais pas. Je n’ai pas ressenti d’amour pour cette enfant. Je l’ai fait pour voir la réaction de mes parents. Et comme je m’y attendais, je les ai déçus une fois de plus.
-Vous vous rendez compte que vous avez brisé un jeune homme de 18 ans ? Vous lui avez laissé un bébé sur les bras. Et qu’à l’heure actuelle il ne refait toujours pas sa vie avec quelqu’un, de peur qu’elle l’abandonne comme vous l’avez fait ?
-Je l’ignorais et j’en suis désolée. Par contre, je savais que ses parents à lui seraient merveilleux contrairement aux miens.
-Je ne vous juge pas, mais avez-vous eu le moindre remord après ça ?
-À l’époque, non. Mais j’ai été perturbé de voir Ethan la semaine dernière à l’hôpital. C’est comme si j’avais vu un fantôme de mon passé revenu pour me hanter.
-À ce point ?
-Oui. Mais je ne me fais pas d’illusions, les choses n’arrivent pas par hasard. Je l’ai vu le jour où mon père a été transféré aux soins intensifs.
-Ah, je comprends mieux, c’est lorsqu’il est venu me voir juste avant de repartir.
-Ça doit être ça. Ah, mais j’y pense, c’est donc vous, son meilleur ami, qui a eu l’accident de moto.
-Exact !
-Vous êtes son meilleur ami et accessoirement son beau-fils si je comprends bien ?
-On peut voir les choses ainsi.
-Je vois.
À ce moment-là, la porte d’entrée s’ouvre : c’est Eva.
-Je suis là ! Le prof est absent, c’est génial… Bonjour qui êtes-vous ?
Margot regarde sa fille de la tête aux pieds et voit en elle son ex-compagnon. Sauf pour les cheveux, elle remarque que ce sont exactement les mêmes que les siens.
-C’est une amie. Cela faisait longtemps qu’on ne s’était pas vu et sachant que j’avais eu un accident, elle est venue me voir.
La mère d’Eva regarde Vincent avec beaucoup de gratitude et de surprise. Elle n’est pas prête à lui dire tout de suite ce qu’elle représente pour elle. Et comme la jeune femme semble ignorer qui elle est véritablement, cela passe comme du beurre sur une tartine.
-D’accord, enchantée de vous connaître. C’est gentil de venir le voir, il se sent moins seul. Mais on ne s’est pas déjà croisé vous et moi ?
-Je ne crois pas.
-Si, attendez, votre visage me dit quelque chose, je réfléchis… Ah ça y est, à l’hôpital la semaine dernière. C’était trois jours avant que mon père ne reparte. Je vous ai vu au distributeur, c’est là que je vous ai repéré. C’est votre couleur de cheveux qui m’a interpellé, car c’est la même que la mienne, c’est amusant.
-Oui, c’est une couleur naturelle peu commune.
Les deux femmes s’observent : l’une avec émerveillement et l’autre avec curiosité.
-Je vous laisse, j’ai des devoirs. Vous restez dîner avec nous ?
-Non, je vais bientôt y aller. Mon père est décédé et je dois m’occuper de finaliser les obsèques.
-Oh non, je suis sincèrement désolée pour vous.
Et Eva s’approche et prend la main de sa mère. Ce qui ne manque pas de faire tressaillir Margot, car jusqu’à présent, elle n’avait jamais été en contact direct avec sa fille.
-Si on peut faire quelque chose pour vous, ce sera avec grand plaisir.
Margot, qui a toujours contenu ses émotions, a bien du mal à cacher celles-ci, et c’est avec les yeux humides qu’elle répond à Eva :
-Merci beaucoup, c’est très gentil de votre part, mais ça va aller.
-Quand est-ce qu’a lieu l’enterrement ?
-Dans deux jours au cimetière, au sud de la ville.
-On viendra.
-Non ça ira ne vous en faites pas. Ce sera dans la plus stricte intimité donc ne venez pas. Mais c’est adorable de votre part. Je vais vous laisser. Merci de votre accueil Vincent. Eva au revoir et bon courage pour le BAC.
Et Margot fuit assez rapidement le domicile d’Ethan. Ses sentiments devenaient trop intenses à supporter, et de voir sa fille autant gentille et bienveillante, cela a troublé et chamboulé sa façon de penser. Elle a vu en Eva, le côté empathique et jovial qui caractérise tant son ancien amant.
Une fois partie, la lycéenne se retourne vers son amoureux :
-Vincent mon chéri, tu m’as menti.
-Quoi ?
-Tu m’as menti.
-Pourquoi dis-tu ça ?
-Pour une amie de longue date, elle te vouvoie ?
-Euh… Oui, ce n’est pas une amie, c’est vrai. J’ai menti pour qu’elle et toi ne vous sentiez pas mal à l’aise.
-C’est une de tes ex ?
-Non rassure-toi, ce n’est pas le cas et en plus je ne ferais jamais venir une seule de mes anciennes conquêtes chez toi. Quelle horreur !
-Alors qui est-ce ?
-Je vais te laisser deviner toute seule, ce sera moins violent.
-Qu’est-ce que tu racontes ? À part l’avoir croisé à l’hosto, je ne l’avais jamais vu avant. La chose qui m’a interpellé, c’est la couleur de sa chevelure. D’ailleurs, je ne sais même pas comment elle s’appelle.
-Elle se prénomme Margot.
-Margot ? C’est peu commun comme prénom. L’unique Margot que je connaisse qui porte ce prénom c’est…
La jeune femme écarquille les yeux et ouvre la bouche de stupeur, elle vient de comprendre.
-Ce n’est pas vrai ? Vincent, dis-moi que ce n’est pas réel ? Ma mère ne se trouvait pas juste devant moi, il y a quelques minutes ?
-Si.
Eva s’assoit et pose sa tête dans ses mains.
-Ça alors ! Je n’arrive pas à y croire ! Et toi, tu me dis que c’est une amie ? Bravo, la confiance règne !
-Ce n’est pas ce que tu crois, elle avait peur de te croiser et m’a donné cette enveloppe pour ton père, mais comme il n’est pas là, c’est à toi qu’elle revient.
-C’est vachement épais. Je l’ouvrirai plus tard, là tout de suite, j’essaie de remettre tout en ordre dans cette caboche. Donc, si je comprends bien, mon “grand-père” vient de mourir. Celui-là même qui, avec son épouse, ma “grand-mère”, ont donné le choix pourrit de choisir entre mon père et eux à ma mère. C’est bien ça, n’est-ce pas ?
-Oui, je crois que c’est ça.
-Tu sais quoi ? Je ne vais rien dire à personne, sauf à toi puisque tu es au courant, mais je vais y aller à cet enterrement.
-Quoi ? C’est de la folie !
-Et bien oui, mais j’ai des comptes à régler avec ces gens. Et puis l’avantage, c’est qu’ils ne savent pas qui je suis ni à quoi je ressemble, à part ma mère évidemment.
-Si tu y vas, je viens avec toi.
-Non mon Vincent, je vais y aller sans toi. Tu vois, ce que je n’ai jamais dit à mon père, c’est que j’avais un désir secret de la rencontrer un jour. Même si elle ne m’a jamais aimé, si elle n’a jamais eu envie de s’occuper de moi. Je voulais tellement comprendre pourquoi elle en était arrivée à nous abandonner, papa et moi.
-Tu sais qu’émotionnellement ça risque d’être très difficile.
-J’en suis consciente, mais je dois le faire, je le sens. J’ai besoin de savoir le fin mot de l’histoire. Ce sera mon chemin de croix et je suis prête à aller jusqu’au bout. Tu connais son nom de famille ?
-Breteuil.
-Super. Dis donc tu fais comme mon père, en deux temps trois mouvements et les gens te racontent leur vie.
-Oui, c’est assez déroutant, mais c’est appréciable.
-Tu n’as jamais songé à être thérapeute ou psychologue ?
-Non, je n’y ai jamais pensé ? Pourquoi ?
-Parce que psy ça t’irait comme un gant. Ce n’est que mon opinion, mais réfléchis-y. Honnêtement, je trouve qu’agent de tourisme, c’est sympa, mais ce n’est pas le toi qui es en profondeur.
-D’accord, je ne voyais pas les choses comme ça et en vérité cette idée ne m’avait jamais effleuré l’esprit.
-Sur ces belles paroles, je vais faire mes devoirs, rechercher à quelle heure est l’enterrement de Monsieur Breteuil et trouver dans mon armoire une belle robe noire. Ce soir, on commande japonais, ça te va ?
-Tout ce que tu veux ma belle.
Elle monte dans sa chambre. Vincent est à la fois dérouté par cette soudaine énergie qui émerge de sa dulcinée, mais en parallèle, il est fier et admiratif de la voir si forte dans ses décisions. Cela lui donne le courage dont il a toujours manqué pour affronter ses propres démons intérieurs. Et quoiqu’il arrive, il sera toujours là pour elle, comme elle l’est pour lui. Son amour pour Eva grandit de jour en jour et il prend conscience qu’elle est la femme de sa vie.
Chapitre 17
Deux jours viennent de passer. Eva a trouvé tous les renseignements dont elle a besoin pour se rendre à l’enterrement de son “grand-père”.
La robe noire est prêtre, les chaussures également et le sac assorti. Ce n’est pas parce qu’elle va s’y rendre incognito qu’il faut se négliger.
Néanmoins, en finissant de se maquiller, le doute l’envahit.
Et si sa mère finissait par dire à tout le monde qui elle est ? Et si quelqu’un posait trop de questions sur sa présence aux obsèques ? La jeune femme secoue la tête et se dit que non, ce n’est pas le moment de douter, ce n’est pas le moment de se demander si c’était une bonne décision ou pas. Elle va le faire, elle en a besoin. Et surtout, elle veut en savoir un maximum sur les raisons qui ont poussé sa mère à les abandonner, elle et son père. Malgré les raisons qui ont été évoquées par Ethan sur le fait de ne pas se sentir mère, elle veut en avoir le cœur net et, si possible, avoir une réponse de la part de la personne concernée. Sous les yeux de son amoureux, elle se regarde dans le miroir puis se tourne vers lui :
-Bon comment tu me trouves ?
-Magnifique comme d’habitude. Même habillée pour un enterrement, tu restes sublime à mes yeux.
-Merci mon chéri, ça me fait très plaisir. Aller, c’est bientôt l’heure, je vais essayer d’être dans l’église avant que tout le monde n’arrive. À ce soir.
Eva embrasse son Vincent adoré, puis monte dans la voiture et part. Le temps est grisâtre et la menace d’un orage imminent se fait sentir. Les nuages, d’un gris très sombre, plombent encore plus cette étrange ambiance. Pendant qu’elle conduit vers sa destination, Eva repense à sa mère puis à son père. Elle essaie d’imaginer la vie qu’ils avaient avant sa conception. Les lycéens qu’ils devaient être, comment ils étaient perçus au sein de leurs classes respectives. Et surtout, d’après son père, ils s’aimaient d’un amour assez fort. Alors pourquoi ce revirement ? Tant qu’Eva n’aura pas d’explication de la part de cette famille, elle ne trouvera pas la paix intérieure. Même si elle est assez équilibrée dans sa vie personnelle, elle a en elle un trou à combler, et ce trou, c’est celui de la vérité. Et peut-être que c’est cette même vérité qui permettra enfin à Ethan de refaire sa vie avec quelqu’un, de lui faire retrouver la confiance en une âme sœur qui pourra lui donner le bonheur de partager sa vie.
Arrivée vers le bâtiment religieux, elle trouve une place de parking non loin de l’entrée. Il y a déjà beaucoup de monde, et elle aperçoit les porteurs en train de sortir le cercueil de la camionnette. Elle se gare et marque un arrêt tout en observant la scène de là où elle est. Elle sent un frisson lui traverser tout le corps. C’est la première fois qu’elle est confrontée à la mort. Cela lui rappelle l’effroi qu’elle a éprouvé lorsque Vincent a eu son accident de moto, et qu’elle avait cru l’avoir perdu. Eva prend une grande inspiration, relâche en expirant doucement et sort de son véhicule. Le pas décidé et le regard fixe, elle se dirige vers la foule qui est assez dense. Elle s’approche tout en restant en retrait, lorsqu’elle entend quelqu’un l’appeler par son prénom. Elle ouvre grand les yeux d’étonnement et se dit que rester anonyme va être plus compliqué que prévu. Elle lève les yeux et voit une femme se diriger vers elle. Un costume assez classe bleu marine, les cheveux tressés, la voix nasillarde et insupportable : c’est bien Anna Leody sa professeure. Misère, tout, mais pas elle, pas aujourd’hui. Se dirigeant vers Eva, elle se plante tel un piquet devant sa personne. S’il y a bien une personne au monde qu’elle aurait aimé ne pas voir, c’est bien elle. Mais pourquoi est-elle là d’ailleurs ? Serait-ce une amie de la famille ? Ou pire, un membre direct ? Ce qui voudrait dire qu’elles sont apparentées biologiquement ? Non, ce n’est pas possible, pas elle !
-Oh Eva, je suis surprise de te voir ici.
-Moi aussi.
Anna prend Eva dans ses bras et lui dit que c’est horrible qu’il soit mort. Que cela va laisser un vide dans son cœur.
Eva réfléchit pendant que la professeure de maths se lamente sur le décès de cet homme qu’elle connaissait apparemment très bien. Si justement elle était proche de lui, elle pourrait être la clé qui lui permettrait de recueillir un maximum d’informations sur la famille Breteuil. Tout en restant la plus discrète possible, elle serre fort dans ses bras cette autre femme qu’elle ne supporte pas, mais qui va être son atout maître.
-C’est toujours un moment difficile de les perdre. On les voit et puis l’instant d’après, c’est fini.
-Vous êtes venu seule Anna ?
-Non, je suis accompagnée de mes parents. Regarde, ils sont là-bas.
Eva voit un couple assez classique dont le mari est très grand et l’épouse lui arrivant à l’épaule.
-Et toi, tu es venue toute seule ?
-Oui.
-D’où tu connais la famille Breteuil ?
-Je les ai croisés à plusieurs reprises et lorsque j’ai appris le décès de monsieur Breteuil, je me suis dit que j’allais lui rendre un dernier hommage.
Bien joué, se dit-elle, Anna est tellement naïve que son excuse passe toute seule. Par contre, à part le nom de famille de ses “grands-parents” et le prénom de sa mère, elle n’a aucune autre information.
Elle décide de passer à l’action tant que la prof de maths est proche d’elle.
-Et vous ? Vous êtes de la famille ?
-Oui, Édouard Breteuil est mon oncle. Ma mère est sa sœur.
Oh stupeur ! Non seulement elle est un membre de cette famille, mais en plus, elle est la petite cousine d’Anna Leody. C’est de pire en pire, mais en même temps, elle est encore mieux placée pour obtenir les renseignements qu’elle est venue chercher.
-C’est triste de perdre son oncle. Il est mort d’un cancer, c’est ça ?
-Oui. Ma cousine Margot l’a accompagné jusqu’au bout avec sa mère.
-Où sont-elles ?
-Attends que je regarde bien.
Elle se met sur la pointe des pieds et relève la tête, la tourne légèrement sur la droite et se remet droite.
-Elles sont vers les escaliers. Je te présenterais bien, mais vois-tu, ce n’est pas le moment.
-Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas mon but. Je voulais vraiment lui rendre hommage, c’est tout.
-Tu es gentille. Là que nous ne sommes pas en cours, veux-tu bien que nous nous tutoyons ?
Eva pense que, même si l’idée ne l’enchante pas, ce serait un excellent moyen de la questionner.
-Oui, bien entendu Anna, pas de problème. Nous partageons le deuil d’une personne qui comptait pour nous. Je serais ravie que nous devenions plus proches.
Intérieurement, Eva a envie de vomir de cette soudaine mièvrerie dont elle est capable, mais elle pense que c’est nécessaire pour atteindre son objectif.
Soudain, la foule se met en mouvement pour entrer dans l’église. Anna prend le bras d’Eva et lui dit de venir avec elle. Pas question qu’elle reste en retrait.
-Non, ça va aller, va rejoindre ta famille.
-J’insiste, je suis au bout du rouleau avec cette perte, alors tu viens avec moi. Et puis, tu pourras lui rendre hommage en restant plus près de lui.
Horreur, la jeune femme se rend compte que passer incognito est comme le défunt : mort. Normalement, à part sa mère, personne ne sait qui elle est. L’avantage, c’est qu’elle ne ressemble aucunement à Margot, sauf sa chevelure. Mais elle a coiffé ses cheveux en chignon serré, et au vu du mauvais temps et du manque de luminosité, sa couleur auburn ne se remarque pas. Elle pénètre l’édifice religieux avec une anxiété monumentale, son plan ne se déroule absolument pas comme prévu, mais au final, elle est en totale immersion, plus proche que dans son imagination.
Elle se retrouve assise au deuxième rang, entre Anna et une femme assez âgée qui pourrait être sa grand-mère voir son arrière-grand-mère. Elle se penche vers sa prof qui est déjà en larme et lui demande qui est la dame près d’elle.
-C’est ma tante Clémence, une des sœurs de mon oncle Edouard. Ce n’est pas la personne la plus proche de la famille, et en principe, on évite de l’approcher, car elle a très mauvais caractère. Personne ne l’aime dans la famille.
-Merci pour cette information.
-Ils étaient combien de frères et de sœurs ?
-Quatre : Édouard, le frère aîné, ensuite Charles, puis Clémence, la dame à côté de toi et puis Jeanne, ma mère.
Le curé arrive et commence la cérémonie. Dans l’église, on peut entendre des pleurs, des reniflements, des personnes qui se mouchent, quelques jeunes enfants qui s’impatientent en gémissant et les parents se levant pour les emmener plus loin. Eva essaie de se concentrer sur ce que dit l’homme d’Église, quand elle sent une main sur son bras gauche. Elle se retourne : c’est la tante Clémence.
-Excuse-moi, jeune fille, mais aurais-tu un mouchoir, s’il te plaît ? J’ai oublié les miens, c’est bête.
-Oui, bien sûr, tenez.
-Merci, tu es gentille.
-C’est affreux ce qui arrive.
-Quoi ? Ça ? Il était malade, c’est normal qu’il soit mort.
Eva est très surprise de cette réaction, mais après tout, chacun réagit différemment devant le deuil.
-Oui, je comprends bien, mais c’est toujours difficile de perdre quelqu’un. C’était votre frère, non ?
-Ça l’était mais ça faisait longtemps qu’on ne s’adressait plus la parole. Tout le monde adulait cet homme comme un dieu, mais moi je savais qui il était vraiment.
-Ah bon ? Et qu’est ce qu’il a fait pour que vous soyez autant distante avec lui ?
Soudain, une personne assise au premier rang, juste devant Eva, se manifeste pour leur dire de se taire. Elle porte un chapeau sur la tête, des lunettes noires malgré le ciel gris, probablement pour cacher ses larmes. Mais lorsqu’elle se retourne, elle tombe nez à nez avec Eva et c’est le choc. La femme en question, c’est Margot qui n’avait pas encore repéré sa fille dans l’assemblée. Celle-ci garde une posture de marbre tandis que sa mère reste figée sur cette vision.
-Oh ça va, calme-toi Margot ! Il est mort, c’est bon !
-Tante Clémence, je pense que tu devrais te taire.
-Pardon ?
Eva sent que l’ambiance tourne au vinaigre et qu’il est temps de réagir.
-C’est bon, rassurez-vous, nous ne ferons plus de bruit. Toutes mes condoléances pour votre père.
La mère d’Eva n’en revient pas de la présence de sa fille, mais elle hoche la tête d’approbation et s’en retourne vers le curé, qui les observe avec une légère frustration se lisant sur son visage.
-Jeune fille, ne t’en mêle pas. Cette famille n’est que trahison, méchanceté et mensonge.
-Vous savez, je pense que pour certains, que nous ne connaissons pas, il serait préférable que nous nous taisions jusqu’à la fin. Une fois finie, vous pourrez me raconter tout ce que vous voudrez. On est d’accord ?
-D’accord jeune fille. Comment t’appelles-tu ?
-Eva.
-C’est très beau.
-Merci.
Plus aucun mot ne sort de leurs bouches jusqu’à ce que ce soit terminé. Les porteurs prennent le cercueil pour le ramener jusqu’au fourgon pour ensuite l’emmener au cimetière. Tout le monde se lève et monte en voiture pour accompagner le défunt vers sa dernière demeure. Eva saisi l’occasion pour demander à tante Clémence si elle veut y aller avec elle.
-Vous êtes venue en voiture ?
-Non, j’ai pris le bus.
-Je vous y emmène si vous voulez.
-Eh bien, ce n’est pas de refus. Je ne veux rien demander à ceux-là.
-D’accord, je vois.
Et c’est en cortège que les véhicules suivent la camionnette funéraire. Il se met à pleuvoir, ce qui rend l’ambiance encore plus noire. Néanmoins, comme le cimetière se trouve à huit kilomètres, Eva en profite pour questionner Clémence.
-Excusez-moi, mais vous disiez que cette famille n’était que trahison, méchanceté et mensonge. Pour quelle raison ?
-Oh oui ce n’est que ça. Mon frère Edouard était une pourriture, et celle qu’il a épousé également. Un beau couple d’ordures.
-A ce point ?
-Oh ça oui alors ! Ils ont manipulé et lavé le cerveau de leur fille. Une emprise telle qu’elle s’est toujours soumise à leur moindre caprice.
-C’est monstrueux. Mais que lui ont-ils fait ?
-Tout ça reste entre nous je te préviens !
-Je serais muette comme une carpe, promis.
-Déjà, ils voulaient un garçon et ça a été une fille. Il a toujours fallu qu’elle soit parfaite dans tous les domaines. Surtout pour les études, il fallait qu’elle soit leur faire-valoir, puisqu’ils étaient déçus dès le départ. Il fallait qu’elle se rattrape de cette infamie. Bien entendu, la petite n’y était pour rien. C’était une petite fille joyeuse qui aimait dessiner, danser et chanter. Mais ils l’ont détruit. Il y a eu pourtant une lueur d’espoir à un moment donné.
-Quelle lueur ?
-Elle a rencontré un garçon charmant. Ils étaient à l’école ensemble. Elle était heureuse avec lui. Il n’a jamais mis les pieds chez elle, bien entendu, ses parents ne voulaient en aucun cas entendre parler de lui. Mais parfois, elle venait ici et se confiait à moi. Quand on n’était pas encore fâché, bien évidemment.
-Pourquoi ne vous parle-t-elle plus ?
-Mais voyons à cause de son père et de sa mère. Ils ne voulaient surtout pas que leur esclave leur échappe.
-Qu’est-il arrivé au garçon ?
-Oh, ça me fait de la peine d’évoquer ce souvenir encore maintenant, mais elle est tombée enceinte de lui avant de passer son bac. Ah, nous y sommes, tu vas trouver une place vers les arbres là-bas.
-Ok merci. Et elle a gardé l’enfant ?
-Non. Ses parents ont tout fait pour qu’elle se fasse avorter, mais elle a catégoriquement refusé. Puis l’enfant est né. C’était une petite fille, je crois. Et ils ont mis tout en œuvre pour qu’elle l’abandonne. Ils ont exercé une pression monumentale sur elle jusqu’à ce qu’elle cède et qu’elle laisse son bébé au papa.
-Quelle pression ?
-Si tu veux en savoir plus, ce sera plus tard chez moi devant un bon café, si tu as envie de me ramener.
-Très bien marché conclu.
-Tu me sembles une jeune femme très bien, Eva. J’ai envie de te faire confiance et je ne sais pas pourquoi. Mais je me fie à mon intuition.
-Merci Madame ça me touche.
-Appelle-moi Clémence, ce sera mieux.
-Je note.
Une fois tous les véhicules garés, une marche funèbre est organisée pour accompagner Édouard Breteuil à sa dernière demeure. Le cimetière est très grand et les tombes se succèdent en un quartier résidentiel bien organisé et fleuri de tous côtés. La pluie cesse et laisse place à une légère brise fraîche qui vous glace les os. Après quelques minutes, ils arrivent devant une concession assez importante. On sent bien que la famille Breteuil est d’une lignée aisée. Le curé finit son sermon et bénit le cercueil avant d’être placé dans le caveau. Les uns après les autres, les membres de la famille, les amis et les connaissances viennent donner une caresse ou un baiser sur le bois vernis, quelques-uns préfèrent déposer une fleur, puis partent sur le parking. Certains s’en vont, d’autres restent et s’attendent. Sûrement pour partager un repas en guise d’hommage. Clémence passe la dernière, observant les uns après les autres, les naïfs et les hypocrites. Lorsque son tour arrive, elle crache sur le cercueil, souhaitant à son frère tous les tourments de l’enfer, puis s’en va.
Eva reste bouche bée devant tant de haine. De son point de vue, il est impossible qu’il n’ait pas fait autre chose que de forcer sa fille à abandonner son enfant. Pour elle, il y a beaucoup plus pour générer tant de hargne chez Clémence. Elle va pour suivre sa copine du jour, lorsqu’elle entend la fameuse voix nasillarde derrière elle.
-Ben alors où tu étais passée ? Je t’ai cherché partout.
-Oh euh… J’ai conduit ta tante Clémence jusqu’ici.
-Ah d’accord. Mes parents et moi, nous allons manger chez ma tante Catherine. J’aimerais beaucoup que tu viennes.
-Mais pourquoi ? Personne ne me connaît et je suis juste une connaissance.
-J’en ai déjà parlé à ma mère et ça lui fait plaisir que j’emmène une amie.
-Mais je ne suis pas ton amie, je suis ton élève, je te rappelle. Et puis me demander si j’en avais envie aurait été mieux approprié, non ?
-Oh aller c’est bon, viens.
-Je dois y réfléchir. Je retourne vers ma voiture et on se rejoint près des cyprès.
-Ça marche.
Eva court à son véhicule pour rejoindre en quatrième vitesse la tante Clémence.
-Ah, j’ai cru que tu ne viendrais jamais.
-Désolée j’ai eu un contre-temps avec Anna.
-Cette godiche ? Pff, alors celle-là, ce n’est pas le couteau le plus aiguisé du tiroir.
-Ah c’est drôle, c’est exactement ce que je pense d’elle.
-À son âge, elle se comporte encore comme une adolescente, c’est ridicule. Et en plus, elle est devenue professeur de mathématiques. Vraiment, je n’aimerais pas être son élève.
-Ah ça je peux aisément comprendre. Elle insiste pour que j’aille dîner chez sa tante Catherine.
-Tu en as envie ?
-Franchement je préfère prendre un café avec vous.
-Eh bien alors qu’est-ce qu’on attend ? Aller, on y va ! Tant pis pour elle. Tu la connais d’où ?
-Pour tout vous dire, c’est ma professeure remplaçante au lycée.
-Oh putain ! Pardon, excuse-moi, ça m’a échappé.
-Non non, ce n’est rien.
-Du coup, elle pense que tu es sa copine, c’est ça ?
-Oui malheureusement. Et elle insiste lourdement très souvent pour obtenir quelque chose.
-Oui, je sais. Ça a toujours été une gamine pourrie gâtée. Attends, je vais te sortir de cette situation. Viens avec moi !
Clémence part en marchant tout doucement et en se penchant vers l’avant dos courbé, s’accrochant au bras d’Eva telle la petite mémé cliché, alors qu’elle est très alerte et en forme pour son âge. Arrivée vers la voiture des parents d’Anna, elle leur dit :
-Ah ma chère Jeanne, mon cher Grégoire, c’était quelque chose, hein ?
-Oui ma soeur, il y a eu beaucoup de monde et le sermon du curé était émouvant.
-Et oui. Dites-moi, vous pouvez me ramener chez moi ? Je suis venue en bus, je suis faible et fatiguée, vous seriez mignons de me raccompagner.
-C’est-à-dire que nous devons aller chez Catherine manger un morceau. Elle et Margot ont préparé tout un buffet en l’honneur d’Édouard. Donc, je ne voudrais pas les faire attendre, tu comprends ?
-Oui bien sûr, on met la vieille inutile de côté comme d’habitude.
-Mais non ce n’est pas ça !
-Oh peu importe. Mes jours sont comptés de toute façon.
Clémence se retourne vers Eva comme si elle allait perdre connaissance et lui dit en tremblotant :
-Dis-moi ma jolie, tu voudrais bien me ramener, s’il te plaît ?
-Oh Eva est invitée aussi, donc elle n’a pas le temps de te déposer chez toi, c’est à l’opposé de notre destination.
-Merci Anna, mais je sais prendre mes propres décisions, merci. Et puis, je ne vais pas laisser une pauvre petite mamie dans la détresse ? Clémence, je vous ramène volontiers. Donne-moi l’adresse et je vous rejoins rapidement. On fait comme ça ?
La mère d’Anna hoche la tête, son père a l’air juste de s’impatienter et la professeure de maths baisse la tête déçue.
-Bon très bien, tiens je te donne l’adresse donne-moi ton numéro.
À contrecœur, elle lui donne et reçoit le SMS de l’adresse.
-On se voit tout à l’heure Eva ? Tu promets que tu viendras, hein ?
-Oui Anna, on se voit très vite.
Et la voiture démarre et s’éloigne. Clémence murmure à Eva de ne pas bouger tant que le véhicule est toujours en visuel. Une fois hors de vue, la petite dame se redresse, se décroche du bras de la jeune fille et file à toute allure vers le moyen de transport de son chauffeur. La lycéenne rit et la suit pour se rendre chez Clémence.
-Ils sont tellement imbus d’eux-mêmes et me détestent tant, qu’ils préfèrent que je rentre seule. Tu te rends compte que ma propre sœur qui est beaucoup plus jeune que moi et dont je me suis occupée quand elle était bébé, ne vaut pas mieux que les autres.
-Mais pourquoi ils vous haïssent à ce point ?
-Tu sais, je ne me suis jamais marié, mais j’ai eu un enfant hors mariage. Imagine un peu le scandale que ça a été. J’ai été rejetée, limite répudiée. Celle à qui on ne doit plus parler, celle dont on doit avoir honte.
-C’est inadmissible ce comportement.
-Et oui. Je suis juste restée en contact avec mon frère Charles qui habite non loin de chez moi.
-Il y était ?
-Non, il est hospitalisé en ce moment. On vient de l’opérer du cœur. Sa femme est décédée il y a trois ans et ils n’ont jamais eu d’enfants. C’est par respect pour lui que j’étais présente aujourd’hui, car lui est un pacifiste et s’entend avec tout le monde, même s’il n’approuve pas certains choix que certains ont fait.
-Et votre enfant où est-il ?
Clémence baisse la tête et Eva regrette immédiatement sa question, parce qu’elle sent bien que la tristesse envahie l’habitacle subitement.
-Il est décédé à l’âge de huit ans.
-Je suis sincèrement désolée.
-Non, tu ne pouvais pas savoir, ne t’inquiète pas. Mais je ne connais pas pire douleur. Il a trouvé la mort pendant un accident de chasse. Il s’est pris une balle perdue. Il jouait à l’explorateur sur l’immense terrain de la propriété de mon frère Charles. Et puis une partie de chasse a été organisée à la dernière minute avec des amis de mon autre frère Edouard, qui n’a pas prévenu Charles et en plus qui avaient bu. Ils ont commencé à tirer sur des soi-disant oiseaux, mais c’est mon fils qui a été touché et il est mort sur le coup. Personne n’a jamais su qui été l’auteur de l’assassinat, mais j’ai toujours tenu pour responsable cette enflure d’Edouard. Bien entendu, j’ai portée plainte et je suis allée jusqu’au procès, mais comme tous ces satanés hommes ont des amis avocats et juges dans leur poche, je n’ai pas fait le poids et il a été prononcé un non-lieu. C’est pour ça que j’ai craché sur son cercueil.
Eva est très triste d’apprendre ce genre de nouvelle, mais commence à cerner Clémence et son aversion pour cette famille. Elles arrivent au domicile. C’est une grande maison qui ne fait pas extravagante. Elle est très bien entretenue et fleurie de partout. Pour une femme seule, c’est assez surprenant de voir une demeure si énorme.
Elles sortent et la pluie recommence à tomber.
-Vite Eva, rentrons.
Elles courent vers la porte d’entrée. Une fois à l’intérieur, la jeune femme est émerveillée de ce qu’elle voit. Cette maison sent l’histoire croisée avec le charme moderne. Quelle surprise !
-Viens avec moi dans la cuisine. On le fait ce café ?
-Je vous suis.
Eva s’assoit à table pendant que Clémence s’occupe de servir les boissons chaudes. Elle sort quelques biscuits de son placard et s’installe en face de la lycéenne.
-Alors ma jolie, maintenant que nous sommes hors de portée de tout le monde, je voudrais te dire une chose très importante.
-Je vous écoute.
-J’étais médecin et j’ai pris ma retraite il y a deux ans.
-Waouh, c’est génial. Je ne vous aurais jamais imaginé docteur.
-Et pourtant j’ai fait une brillante carrière, qui m’a sauvé des affres de la vie. Et avec toutes ces épreuves, je me suis entièrement consacrée à mon travail. Ma spécialité était la chirurgie dermatologique.
-C’est chouette, vous avez dû en voir des choses horribles.
-Oh ça oui, je te confirme les abominations que j’ai aperçues. Mais là où je veux en venir, c’est la tâche de naissance que tu as derrière l’oreille gauche qui m’intrigue.
-Ma tâche ? Pourquoi il y a un problème ? Vous avez vu quelque chose d’anormal ?
-Oh non pas du tout, juste que ce genre de chose est héréditaire.
-D’accord, je ne savais pas.
-Si cette marque m’intéresse, c’est parce que Margot a exactement la même que toi. Elle le tient de son père. Particularité dont j’ai hérité aussi.
Et elle soulève une mèche de ses cheveux et la lui fait voir.
La jeune femme n’a plus les mots pour s’exprimer. Elle vient de se faire démasquer par un moyen auquel elle n’aurait jamais pensé.
-Dans l’église, lorsque j’ai aperçu cette particularité, j’ai tout de suite su qui tu étais. En plus, dès que nous avons été à l’extérieur et malgré la météo maussade, j’ai remarqué que ta couleur de cheveux était naturelle. Même couleur que ma nièce. Alors dis-moi ma belle, serais-tu en quête de vérité ? Si c’est le cas, sache que tu viens de trouver une alliée et une grand-tante au passage. Bienvenue dans la famille ma chérie.
Chapitre 18
Une semaine s’est écoulée depuis l’enterrement. Eva est assez chamboulée après toutes les informations qu’elle a recueillies. Néanmoins, la jeune femme réussit à garder le secret de toute son entreprise, exceptée à Vincent bien évidemment. Qui lui est au courant de tout et également un excellent soutient pour sa belle. C’est presque irréel la façon dont la lycéenne gère ses études, sa vie de famille, sa relation amoureuse et les démarches pour en savoir plus sur ses origines. Mais cela n’est pas sans une souffrance intérieure qui la ronge : celle de l’absence de message d’Ethan. Son père ne donne toujours pas de ses nouvelles et Eva est meurtrie de ne pas en avoir. Même si ses grands-parents en ont, c’est différent. Elle aimerait au moins lui parler, ne serait-ce qu’un petit peu, ne serait-ce qu’un simple « bonjour ». Mais elle n’a pas le temps de s’étendre avec ça. Elle doit préparer son voyage scolaire dont le départ a lieu dans quelques jours. Vincent a commencé la rééducation. Et, avec une volonté sans faille, il ne se sert plus du fauteuil roulant pour déambuler dans la maison. Il n’a pas repris la voiture, mais fait tout pour être le plus autonome possible, tout en finissant sa formation. Eva se prépare pour partir en cours.
-Dis-moi ma chérie, tu as l’air pensive ?
-Oh, j’ai trop de choses dans ma tête, et c’est compliqué de tout gérer. Après les cours, je vais chez Clémence, donc je devrais rentrer pour le repas. Tu vas survivre sans moi ?
-Mais bien sûr. Et si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas. Même si je ne pars pas en courant.
-En fait, on s’est vu quatre fois depuis qu’elle m’a révélé être ma grand-tante. Je suis toujours partagée entre tout ça. De voir cette famille, de voir ma mère et d’apprendre toutes ces horribles choses sur ces gens, c’est compliqué d’arriver à faire le tri dans mon esprit. Mais mon but, est d’arriver à savoir comment Catherine et Edouard Breteuil ont fait pour que ma mère renonce à mon père et à moi. Clémence a des idées, fait des suppositions, mais intérieurement, je crois que je suis encore loin de la vérité. Heureusement que je suis persévérante.
-Je le sais, et c’est pour une de ces raisons que je t’aime encore plus.
Vincent embrasse Eva, qui part au lycée. Il referme la porte, envoie un baiser de la main à sa douce et va se faire un café, avant de se mettre devant son ordinateur pour finir ses dernières leçons avant les examens finaux. À peine s’assoit-il que l’on sonne à la porte.
-Oh non ! Je viens juste de m’installer. Qui cela peut-il être ? J’arrive !
Il ouvre et tombe nez à nez avec la mère d’Eva.
-Bonjour Margot.
-Bonjour, puis-je entrer ?
-En fait, j’allais travailler.
-Avec votre jambe vous n’allez pas aller loin !
-Non je veux dire travailler devant mon écran d’ordinateur.
-Je vous promets que ce ne sera pas long, mais j’ai besoin de vous parler.
-Très bien, entrez !
-Merci.
Elle s’installe derrière le comptoir, comme si elle était chez elle, ce qui agace légèrement Vincent, mais il fait comme s’il n’avait rien remarqué.
-Je viens de me faire du café, vous en voulez ?
-Volontiers.
-Vous tremblez ?
-Oui, j’ai froid.
-Vous avez froid ou vous êtes nerveuse ?
-Oui, je dois reconnaître que je ne suis pas à l’aise. Surtout depuis qu’Eva s’est pointée à l’enterrement.
-Ah c’est donc pour cela que vous êtes là ? Pour avoir une explication ? Parce qu’une semaine vient de passer et vous réalisez maintenant que votre fille était aux funérailles de sa propre famille ?
-Est-ce qu’elle sait que je suis sa…mère ?
-À votre avis ?
-Je ne sais pas, mais si elle est comme son père, elle doit donc réfléchir très vite et comprendre aisément les choses. Je me trompe ?
-Non, vous avez tout juste. Et d’ailleurs, le jour où vous vous êtes vu ici, elle savait déjà qui vous étiez.
Margot est abasourdie par cette révélation. La jeune femme se doutait, d’après une forte intuition, que sa mère reviendrait chez elle et probablement en son absence. Elle a donc autorisé Vincent à lui dire qu’elle est au courant de qui elle est.
-Mais comment a-t-elle su ? Je veux dire, elle ne savait pratiquement rien de moi, n’est-ce pas ?
-Elle a une profonde souffrance qu’elle cache bien, mais je la connais depuis longtemps et elle a besoin de connaître la vérité, à savoir pourquoi vous l’avez abandonnée. D’ailleurs, elle ne le sait toujours pas. Mais je vous garantis qu’elle va chercher encore et encore jusqu’à obtenir des réponses et les bonnes.
-Je ne peux pas.
-Vous ne pouvez pas ou vous ne voulez pas ?
Margot commence à craquer. Ses yeux se remplissent de larmes et elle serre les poings. Elle ressemble à une bombe prête à exploser.
Vincent, qui a bien compris la faiblesse de cette femme, se pose devant elle et la force à le regarder en face et lui dit très doucement :
-Margot, sincèrement, on dirait que vous portez un poids immense sur vos épaules. C’est le moment de lâcher-prise, vous ne croyez pas ?
-…
-Et puis, cela fait deux fois que vous venez ici. Vous aussi, vous êtes en quête de quelque chose, je le sens bien. Même si c’est votre inconscient qui parle pour vous. C’est d’avoir revu Ethan qui vous a mis dans cet état ? D’avoir croisé votre fille à l’hôpital ? La mort de votre père qui a rouvert une blessure profonde que vous aviez mise de côté pendant dix-huit ans ?
-Arrêtez, je vous en supplie, arrêtez de me tourmenter avec vos questions, s’il vous plaît !
-Vous voulez que j’arrête, mais vous êtes là, devant moi, à huit heures du matin, chez votre fille. Donc, je crois qu’il est normal que je me pose des questions. Vous ne croyez pas ?
Margot renifle et demande un mouchoir à Vincent, qui ne la lâche pas du regard, pensant qu’à la moindre seconde où il va la quitter des yeux, elle va fuir. Il a bien compris que cette femme gardait en elle un souvenir très douloureux et qu’il est temps de s’en débarrasser.
-Tenez !
-Merci. Votre café est délicieux, vraiment.
-Je mets de la chicorée à l’intérieur. Ça l’adouci. Alors, je vous écoute, dites-moi ce que vous avez sur le cœur.
-Finalement, peut-être avez-vous raison ? Personne n’a jamais fait attention à moi de toute façon.
-Vous vous trompez.
-Ah bon ?
-Et Ethan vous l’oubliez ?
-Oh Ethan, c’était bien le seul à se préoccuper de mon bien-être. Mais je n’ai pas été capable de l’aimer correctement, et je l’ai utilisé.
Elle plonge son visage dans ses mains et laisse éclater des sanglots à flots, tout en répétant qu’elle est un monstre abject, qui ne mérite pas de vivre.
-Mais pourquoi dites-vous cela ?
-Parce que c’est la vérité ! J’ai pris Ethan, croyant qu’il serait ma planche de salut, et à la place, je me suis servie de lui, comme mes parents l’ont fait avec moi.
-Mais une question me taraude. L’avez-vous aimé ? Sincèrement, Margot ? L’avez-vous aimé d’un amour profond ? Où avez-vous joué avec lui et ses sentiments ?
-Lorsque je l’ai rencontré, nous étions des adolescents. Je suis tombée amoureuse de lui parce qu’il était beau, gentil et intelligent. Et qu’il aimait mes dessins. J’adore peindre, dessiner. Je capte les émotions des gens que je croise. Et lorsque Ethan et moi avons commencé à sortir ensemble, j’ai fait une esquisse de nous deux. Ma mère l’a trouvé et l’a jeté dans le feu de la cheminée. Prétendant que je ne devais pas penser aux garçons et encore moins à ses foutaises. Je n’ai rien dit, je ne me suis pas rebellé. J’aurais dû pourtant. Mais j’ai toujours été considérée comme une bonne à rien. Je devais laver cette famille pour mes fautes. Quelles fautes ? Je n’avais rien fait de mal.
-Non, en effet, vous n’aviez rien fait de mal. Et ensuite ?
-Nous avons changé d’établissement et nous nous sommes encore retrouvés ensemble une fois de plus. Notre relation commençait à prendre beaucoup de place dans ma vie et j’en étais heureuse. Ethan m’emmenait chez ses parents pendant que les miens croyaient que j’étais en train d’étudier au lycée. Mes plus beaux souvenirs d’adolescente, je les ai passés avec lui et sa famille. Philippe et Stéphanie étaient des gens d’une bonté d’âme incroyable. Au passage, je leur avais peint une toile représentant leur mariage, d’après une photo que j’avais vue sur une commode.
-Vous savez que cette peinture est toujours accrochée chez eux, dans leur couloir ?
-Ils l’ont gardé ?
-Oui. Mais j’ignorais que c’était votre œuvre. Et je confirme, vous êtes très douée. J’ai toujours aimé cette toile.
-Merci, mais ça n’a plus d’importance maintenant. Bon, je vais y aller. Merci de m’avoir écouté.
-Margot, je vous arrête tout de suite ! Vous étiez venu pour quelle raison à la base ?
-Oh…Euh…je voulais savoir pourquoi Eva s’était pointée aux funérailles.
-Je vous l’ai dit, elle veut connaître la raison qui vous a poussé à l’abandonner et tant qu’elle ne l’aura pas obtenu, elle va vous traquer sans relâche, vous et votre famille.
-Je vais réfléchir à tout ça. Vous croyez qu’elle accepterait de me parler ?
-Mais elle serait ravie et ne demande que ça. À condition que vous ne lui mentiez pas.
-Très bien. Mais elle n’a aucun contact avec le reste de la famille, n’est-ce pas ?
-Tout à fait ! Elle ne connaît personne d’autre.
-Pourtant, je l’ai vu avec ma tante Clémence, et elles avaient l’air de bien s’entendre.
-Eva est une jeune femme merveilleuse qui est très sociable. Il est normal qu’elle parle avec quelqu’un aisément. Encore plus si c’est une personne âgée.
-D’accord. Bon, je vous donne mon numéro de téléphone. Donnez-le à Eva si elle se sent de venir me rencontrer quelque part où personne ne nous verra.
-Pourquoi ?
-Je ne veux pas que ma mère sache que je veux revoir ma fille.
-Je ne sais pas ce que vos parents vous ont fait, mais c’est triste de vous voir avoir peur.
-Peut-être comprendrez-vous un jour ?
-Nous verrons. En tout cas, quand vous aurez envie de vider votre sac, sachez que je suis ici jusqu’à ce qu’Ethan revienne.
-Il reviendra quand justement ?
-Nous n’en savons rien. Donc, dans le doute, ne trainez pas pour prendre contact. Sauf si l’envie vous prend de revoir le père de votre fille.
-Je prends note. Merci de m’avoir écouté. Et vous savez, Ethan est un homme incroyable, sachez-le.
-Je le sais très bien justement, à quel point il est formidable et doté d’un coeur énorme.
-Au revoir Vincent.
-Au revoir.
Et Margot s’en va en laissant de l’espoir à Vincent qui commence à s’interroger. Certainement, n’est-il pas fait pour être agent de voyage tout compte fait ? Sa bien-aimée lui a suggéré de devenir thérapeute, et cette idée est en train de faire son petit espace dans l’esprit du jeune homme. Mais, il se ressaisit et se dit que quoi qu’il arrive, il faut tout de même terminer sa formation pour pouvoir trouver un travail et louer un logement. Et pourquoi ne pas s’installer en couple avec Eva si elle le veut bien ? Il laisse toutes ces idées germer en douceur dans son esprit et retourne devant son ordinateur reprendre son activité.
La journée passe et il est 19 heures 30. Vincent a préparé le repas et Eva rentre de chez sa tante.
-Coucou. J’aurais dû rentrer plus tôt mais Clémence est une vraie pipelette.
-Ne t’inquiète pas. Aller, assieds-toi et raconte-moi tout !
-Figure-toi que les Breteuil sont une famille assez aisée et qu’ils ont fait fortune en investissant dans établissements hospitaliers. Ils possèdent beaucoup de biens immobiliers depuis les années 1850. C’est impressionnant. Ils ont trois châteaux et sont propriétaires de plusieurs domaines de chasse. Elle ne s’entend qu’avec Charles, son deuxième frère, qui est assez réservé comme homme apparemment. Il n’a jamais eu d’enfant avec son épouse, mais des rumeurs d’homosexualité couraient sur lui. Ce qui a posé un problème au sein de la famille, comme tu peux l’imaginer. Et son mariage n’aurait été qu’un mariage de convenance pour sauver les apparences. Tu sais, plus j’en apprends sur ces gens-là et plus je me dis que j’ai eu une chance inouïe d’être élevé par mon père et mes grands-parents. Néanmoins, je suis encore dans le flou.
-Alors pour cela, je pense que je vais te donner une excellente nouvelle.
Et notre jeune homme raconte à Eva, tout ce qu’il s’est passé lors de la visite de Margot Breteuil.
-Donc ma mère veut me voir ?
-Oui, mais seulement si c’est toi qui vas vers elle. Elle m’a donné son numéro de portable. Par contre, elle m’a demandé si tu connaissais d’autres membres de la famille. Je lui ai menti. Je ne lui ai pas parlé de ta tante.
-Et tu as entièrement bien fait. Mais c’est incroyable, je n’arrive pas à y croire. Ma mère, qui veut me rencontrer véritablement et pas par un concours de circonstances.
-Mais oui. Je crois que la mort de son père l’a secoué et a ravivé des douleurs qu’elle avait enfouies en elle. Mais parfois, tu sais, la douleur est nécessaire pour pouvoir faire le deuil et tourner la page.
-Tu vois quand je te le dis de faire psy, tu serais parfait. Tu es tellement à l’écoute de ce que les gens te racontent. Et en plus, tu es beau et gentil, ce qui ne gâche rien.
-Flatteuse. Bon, en tout cas, tu avances et c’est l’essentiel.
-Oui, même si Clémence préfère y aller en douceur et commence par me raconter les racines de la famille, pour que je comprenne bien le fonctionnement de tout ça et de la façon dont on en est arrivé à ce que ma mère nous laisse, mon père et moi.
Soudain, le téléphone d’Eva sonne. C’est un numéro qu’elle ne connaît pas, et elle a tout à coup un mauvais pressentiment.
-Oui allo ?
-Mademoiselle Eva Calendal ?
-Oui, c’est moi.
-Hôpital Saint-Joseph.
-Je vous écoute, que se passe-t-il ?
-Vous êtes de la famille de Madame Breteuil Clémence, vous me confirmez ?
-Oui, c’est ma grand-tante, que se passe-t-il ?
-Elle vient d’être hospitalisée en urgence et nous a demandé de vous prévenir en priorité. Pouvez-vous être là assez rapidement ? Nous avons très peur qu’elle ne passe pas la nuit.
-Oui, j’arrive tout de suite.
-Merci, vous pourrez vous présenter au service des urgences, ils vous feront entrer directement.
-Très bien, tout à l’heure.
Eva est bouleversée par cette nouvelle. Elle ne s’attendait pas à un tel retournement de situation. Malgré sa jambe en convalescence, Vincent décide de l’accompagner. Il est hors de question de laisser l’amour de sa vie seule dans cet état. Ils prennent chacun une veste, car les nuits sont encore un peu fraîches pour un mois de mai, et partent en direction du centre hospitalier. Une fois sur place, ils accèdent directement au service des urgences, mais malheureusement, ils n’acceptent qu’une seule personne. C’est avec regret qu’Eva laisse Vincent dans la salle d’attente. Un médecin lui fait son diagnostic qui n’est pas très bon.
-Vous me dites, docteur, que son cœur peut lâcher à tout moment ?
-Oui, il ralentit et aucun médicament ne fait d’effet. On dirait qu’elle se laisse mourir. Elle nous a demandé de vous appeler en disant que vous étiez comme une fille pour elle. C’est le cas ?
-On peut dire ça.
-Très bien, allez la voir, ses prochaines heures sont comptées.
Eva entre dans la salle qui n’a aucune chaleur humaine. Les murs sont blancs, les draps de la même couleur, les tuyaux, les écrans… Tout ça met mal à l’aise la jeune femme. Mais elle se concentre sur Clémence qui ouvre faiblement les paupières lorsqu’elle sent la présence de sa petite nièce.
-Oh ma Eva, c’est toi.
-Oui Clémence, je suis là.
Le médecin se retire discrètement pour les laisser seules. Eva s’assied et prend la main de sa grand-tante.
-Voilà, j’y suis. Je suis en route pour aller rejoindre mon petit Gabriel.
-Vous avez baissé les bras ? Vous ne voulez plus vous battre ?
-Me battre pour quoi ? Mon connard de frère est mort et surement en enfer à l’heure qu’il est. Je peux rejoindre mon fils au paradis. Et puis j’ai pu enfin te rencontrer. Même si nous n’avons pas eu le temps de nous connaître davantage, je suis heureuse d’avoir fait ta connaissance.
-Moi aussi ma tante, je suis très heureuse.
Clémence tire sur la main de sa petite nièce pour la rapprocher d’elle, sentant ses dernières forces l’abandonner.
-Écoute-moi très attentivement. J’ai vu mon notaire le lendemain de l’enterrement, je t’ai couchée sur mon testament et lui ai donné tes coordonnées. Il t’appellera dans les jours qui arrivent. J’ai déjà tout prévu pour mes obsèques. Les documents que tu dois avoir en ta possession sont dans le tiroir de la commode de ma chambre. J’ai laissé un double des clés dans le nichoir à oiseaux accroché au mur extérieur près des rosiers. L’autre, je suis partie avec, mais je ne sais pas où ils me l’ont mis. Je vais te faire une confidence : ta mère a été forcée de te laisser, tu ne dois pas lui en vouloir. Continue de chercher la vérité, mais n’oublie pas d’être…heureuse Eva…surtout…sois heureuse… ma belle.
Soudain, l’électrocardiogramme émet un son long et prolongé en une ligne droite affichée sur l’écran. La main de Clémence devient lourde et sans force. Eva la pose délicatement sur le lit, s’effondrant en larmes devant le corps inerte de sa grand-tante.
Chapitre 19
Comme l’avait dit Clémence, tout était méticuleusement organisé à l’avance pour ses funérailles. N’ayant aucun descendant ni époux, elle ne voulait absolument pas que sa famille hérite de tous ses biens. Mais c’était sans compter sa rencontre avec sa petite nièce. Elle a donc appelé son notaire le soir même de l’enterrement et s’est rendu chez lui dès le lendemain. Elle a écrit une lettre à Eva, qu’elle gardait sur elle, et fait un double qui est resté accroché à son testament. Lorsque la jeune femme récupère les affaires de sa tante à l’hôpital, elle trouve et ouvre l’enveloppe qui explique très clairement qu’elle ne voulait aucun membre de la famille Breteuil à ses funérailles. Que le notaire les prévienne de son décès uniquement lorsque son corps aura rejoint celui de son fils dans le tombeau, et que le jour de l’ouverture testamentaire, il soit précisé qu’Eva soit l’unique héritière de tous ses biens en sa possession. La jeune femme est abasourdie par cette nouvelle, mais fait ce qu’elle peut pour garder la tête froide. Vincent est là pour la soutenir. Et une fois toutes les démarches administratives effectuées et l’enterrement organisé, Eva s’écroule sur le canapé.
-Tu veux un thé ma chérie ?
-Non ça va, merci. J’ai juste besoin que ma pauvre tête se remette de tout ça. Il y a presque deux semaines, j’étais juste une jeune femme qui vivait son histoire d’amour peu commune en se souciant de son père. Et me voilà future héritière de je ne sais combien d’argent, provenant d’une famille que je ne connais même pas. C’est déroutant. J’aimerais en parler à mon père, mais il est aux abonnés absents. À mes grands-parents, ce serait pas mal, mais comment vont-ils le prendre si je leur avoue les démarches que j’ai entreprises pour rencontrer ma mère ? Tu en penses quoi ?
-Je pense qu’il est peut-être temps de leur dire justement. Tu serais en paix avec toi-même. Si tu veux, nous pouvons nous y rendre ce weekend, si tu te sens ?
-D’accord, je veux bien. Clémence est enterrée samedi matin, on pourrait y aller juste après, qu’en dis-tu ?
-Oui, c’est une bonne idée.
-Merci Vincent. Tu es un homme formidable, on te l’a déjà dit ?
-Sûrement. Mais si je suis formidable comme tu le dis, c’est probablement parce que je suis avec une femme exceptionnelle qui fait de moi cet homme.
Tout en disant cela, il se rapproche de sa bien-aimée et l’embrasse avec tendresse et sensualité à la fois. Les choses commencent à devenir torrides entre eux, et c’est sur ce même canapé que nos amoureux finissent leur nuit, arborant un sourire chacun : celui du bonheur dans le chaos.
Le lendemain, Eva n’a cours que le matin et décide d’aller chez sa tante, juste après, pour ouvrir la maison. Elle y était passée en coup de vent pour récupérer les documents administratifs pour les obsèques et ne s’est pas souciée de faire le tour de la propriété plus en détail. Elle passe prendre Vincent, avec qui elle a envie de partager ce moment intense en émotion. Elle ouvre le portail, qui ne ferme plus à clés, et s’engage avec sa voiture dans l’allée bordée de plantes en tout genre.
-Cela plairait beaucoup à ma grand-mère, il y a des fleurs partout.
-Tu as raison. Je vois un magnifique rosier blanc là-bas près du mur. Ce n’est pas là où ta tante a mis les clés ?
-Si je crois.
Eva arrête la voiture et sort accompagnée de Vincent. Ce n’est pas l’ambiance d’il y a quelques jours. La demeure semble bien vide sans cette petite dame, ancienne médecin, toute guillerette malgré les épreuves que la vie lui a infligées. Néanmoins, en observant plus attentivement, le jardin est magnifique. Vraiment, pense Eva, cet endroit ferait le bonheur de Mamie. Elle trouve le petit nichoir à oiseaux et récupère le trousseau. Par chance, celui que Clémence avait emporté avec elle était dans ses affaires, et tout a été restitué à sa petite nièce. Eva enfonce la clé dans la serrure et inspire. Peut-être va-t-elle découvrir encore des secrets ? Elle se rend compte qu’elle plonge dans la vie d’une personne qu’elle n’a connu que très peu de temps, mais qui malgré tout vient de lui céder l’histoire de sa vie entière. La jeune fille mesure l’étendue de ce cadeau insensé et ouvre la porte. Vincent lui pose sa main sur l’épaule en guise de soutien et la suit. Rien n’a évidemment bougé. Tout est impeccablement rangé. Elle monte au premier étage et s’active à ouvrir tous les volets. Son bien-aimé s’occupe du rez-de-chaussée. En redescendant rejoindre Vincent, celui-ci regarde le portrait d’un enfant.
-C’est Gabriel, le petit garçon de Clémence. Elle m’a dit qu’il avait cinq ans sur cette photo.
-C’est tellement triste. Mourir si jeune, surtout dans les conditions dans lesquelles il est passé de l’autre côté.
-Oui, c’est atroce. Je n’ose même pas imaginer la souffrance qu’elle a dû éprouver.
-Il était de père inconnu ?
-Non, elle m’a raconté qu’elle avait une liaison avec un médecin qui travaillait avec elle, mais il était marié. Comme dans beaucoup de cas, il a mis fin à leur relation dès qu’il a appris sa grossesse et ne s’est pas séparé de sa femme. Mais elle a gardé son petit bonhomme. Tu voudras avoir des enfants un jour, Vincent ?
La question déconcerte le jeune homme. Quand il pense à son avenir, il voit Eva et lui uniquement. Un enfant ne fait pas vraiment partie de ses priorités. Et puis, s’il se protège quand il a des rapports sexuels avec sa douce, c’est justement pour éviter cela. Même si la jeune femme prend ses précautions également.
-Je t’avoue qu’à l’heure actuelle, ça ne m’enchante pas. Je préfère être honnête avec toi.
-Non non, ne t’inquiète pas, c’était juste une simple question comme ça. Je suis très à l’aise avec ce sujet.
-J’avais un peu peur de te décevoir avec cette réponse.
-C’est bon, pas de soucis. Et puis, je ne suis pas du tout prête à avoir un enfant maintenant. Même si imaginer des petits Bourgier-Calendal courir de partout est une idée assez drôle. Si on allait voir dans le salon ?
Ils se dirigent dans cette immense pièce conjuguant un coin relaxation avec un canapé en tissu gris foncé et une bibliothèque remplie de livres et d’albums photos. Instinctivement, Eva se dirige vers celle-ci et attrape un album qui se démarque des autres en étant mis en valeur plus en avant. Elle s’en saisit, l’ouvre et une enveloppe tombe à ses pieds. Elle la prend et constate qu’elle n’est pas fermée, mais contient des photos qui ont plus d’une quinzaine d’années. Elle regarde attentivement et remarque une jeune fille qui a l’air enceinte.
-Décidément, je vais de surprise en surprise avec ma tante. Je crois que la fille sur la photographie, c’est ma mère.
Eva la retourne et voit qu’en effet, il est écrit : Margot, 17 ans, environ cinq mois.
-Incroyable, elle parait si jeune. Mais je trouve qu’elle a l’air heureuse. Ça ne colle pas avec une fille qui va abandonner son enfant.
-Je suis d’accord avec toi, Vincent.
Il y a d’autres clichés et nos deux amoureux s’installent pour les regarder. Ce sont uniquement des photos de Margot enceinte d’Eva. La jeune femme se demande qui a bien pu les prendre, puis en continuant de feuilleter, il y en a une où sa mère a une main posée sur son ventre bien rond, accompagnée d’une autre main qui a l’air masculine. En y regardant de plus près, elle remarque une cicatrice sur le dos de cette même main.
-Oh mon Dieu, Vincent !
-Qu’y a-t-il ?
-C’est mon père qui a surement pris ces photos.
-Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
-La marque sur la main. Papa s’est blessé à l’âge de dix ans, je crois, près de la cabane dans laquelle on allait jouer chez mes grands-parents. Tu te souviens ?
-Ah oui cette cabane, bien sûr que je m’en souviens, j’y jouais avec toi, même si je n’en avais pas trop envie. Mais ça te faisait tellement plaisir, que je ne t’ai jamais dit non.
-Et je t’en remercie. Mon grand-père était en train de fabriquer l’échelle pour y accéder, lorsque mon père s’est gravement coupé la main en tombant sur la lame de la scie. Toujours est-il que c’est bien celle de mon père, j’en suis sûre et certaine. Mais attends, j’y pense ! Si ces photos sont là, ça veut sûrement dire que mon père est venu ici, alors ? Il connaissait Clémence ? Ou c’est ma mère qui lui a donné ? Oh la la, tant de questions, mais aucune réponse.
-Ta mère pourra te donner des explications lorsque tu la verras.
-Tant que les obsèques ne sont pas passées, je ne veux pas la voir. Trop de choses à gérer d’un seul coup, ça fait beaucoup pour ma pauvre tête.
-Tu as raison. Continuons notre inspection.
-Je vais mettre tout ça de côté pour l’instant. Viens, on monte à l’étage.
-Je vais devoir décliner, ma chérie. Ma jambe commence à être douloureuse. Je vais me poser un peu sur le fauteuil.
-Oh excuse-moi, pardon. Oui, repose-toi. Tu as toute une bibliothèque pour te tenir compagnie. Ou tu préfères que je reste avec toi ?
-Non, ne t’inquiète pas, monte et va découvrir d’autres secrets.
La jeune femme rit et se dirige vers l’étage, tandis que Vincent s’occupe de prendre des albums pour les feuilleter. Il en ouvre un et commence à tourner les pages, lorsqu’il entend quelqu’un entrer dans la maison. Il se lève malgré la douleur, prend sa béquille et se dirige vers la porte d’entrée.
-Margot ? Mais que faites-vous ici ?
-Je vous retourne la question ?
-Eh bien…c’est compliqué.
-Que faites-vous dans la maison de ma tante ?
-EVA ! TU DEVRAIS DESCENDRE TOUT DE SUITE, C’EST URGENT !
-Parce qu’elle est là aussi ?
-Oui, nous sommes venus tous les deux.
-Je m’en vais !
-Non maman, tu n’iras nulle part !
Eva descend en trombe des escaliers et voit sa mère. Hors de question qu’elle parte de cette façon. Margot ne sait pas ce qu’il faut faire et reste figée sur place : fuir ou affronter sa fille ? La jeune femme s’approche et fait face à une femme désemparée, le regard fuyant.
-Ne panique pas, je ne vais pas te manger !
-Je…ne sais pas quoi te dire.
-Déjà, entre dans la maison que je te donne une explication. Ensuite, tu pourras partir si tu le souhaites.
Margot acquiesce et entre. Eva lui dit de se diriger avec elle vers la cuisine et va préparer du café pour pouvoir détendre l’atmosphère. Cette visite étant inopinée, la lycéenne décide de jouer la carte de l’honnêteté et de confronter sa mère à cette vérité qu’elle cherche tant. Elle fait signe à Vincent de les rejoindre. Pas question qu’il soit mis à l’écart de tout ça. Le jeune homme arrive en claudiquant, signal d’alerte pour que sa jambe se repose. Sa bien-aimée trouve de la glace dans le congélateur et la lui donne, lui procurant un soulagement sans nom.
-Ma guibole te remercie, ma chérie.
-De rien. Maman, ou tu préfères que je t’appelle par ton prénom ?
-Comme tu as envie.
-Maman me convient.
-D’accord.
-Du sucre dans ton café ?
-Non merci. Mais qu’est-ce que tu fais là ? Et tu peux m’expliquer pourquoi j’apprends de l’hôpital que Clémence est décédée ?
-Qui te l’a dit ?
-J’ai une amie infirmière qui travaille aux urgences. Dès qu’elle a vu le nom de famille, elle m’a appelé et m’a dit qu’elle avait une patiente s’appelant Clémence Breteuil qui venait de mourir d’une crise cardiaque et qu’une jeune femme était là pour elle.
-Quelle discrétion de la part de ton amie, bravo !
-Tu la connaissais depuis l’enterrement de mon père ou avant ?
-Non, je ne l’ai rencontré qu’il y a deux semaines.
-Deux semaines ? Et tu es là comme si c’était chez toi, donc ?
-Et bien techniquement, c’est chez moi désormais.
-Pardon ?
-De toute façon, tu vas l’apprendre très bientôt ainsi que le reste de ta famille.
-Apprendre quoi ?
-Clémence m’a couchée sur son testament.
-COMMENT ?
-Oui parfaitement. Elle m’a laissée une lettre disant qu’elle me nommait seule et unique héritière de tous ses biens.
-C’est une blague ?
-Non, tout est chez Maître Boutier.
-Mais tu te rends compte de ce que cela représente ?
-Pour tout te dire, je n’en ai aucune idée.
-Ça représente des millions Eva. C’est énorme !
-Ok et bien, je dirais que je ne réalise pas encore, mais en tout cas, toi et moi, on va s’expliquer sur certaines petites questions que je me pose. Et tu me feras le plaisir d’y répondre, s’il te plaît.
-Au point où j’en suis, vas-y je t’écoute !
-Pourquoi tu es venue d’abord ?
-Dès que j’ai appris la nouvelle, je suis venu voir si tout allait bien dans cette maison.
-Cela fait des années que tu n’as pas mis les pieds ici, et là, tu viens ? Il va m’en falloir plus pour arriver à me convaincre. Alors, c’est quoi la véritable raison ?
-La vérité, c’est que… Oooohhh, je n’en sais rien. Je suis venue machinalement, je ne l’explique pas.
-Y aurait-il un rapport avec la disparition d’Édouard ?
-Pourquoi parles-tu de lui ?
-Parce que j’ai l’impression que depuis son décès, tu as envie de lâcher quelque chose en toi. Comme si à sa mort quelque chose s’était libéré. Je me trompe ?
-Tu es psychologue ma parole.
-Non, j’essaie juste de comprendre.
-Mais tu veux savoir quoi ? Pourquoi je t’ai laissé toi et ton père, c’est ça ?
-Oui, c’est ça.
-Je n’avais pas envie d’être mère, voilà !
-Tu mens !
-Mais je ne…
-Tu mens maman. Les paroles que tu prononces, c’est juste pour essayer de te convaincre, ça se sent. Mais je sais au fond de moi qu’il y a autre chose. Alors maintenant, ce serait bien qu’on puisse ouvrir ce coffre au trésor maudit qu’il y a dans ta tête et qu’on puisse voir ce qu’il contient.
Margot fait face à une jeune femme ferme et déterminée. Elle comprend que sa fille ne lâchera pas l’affaire tant qu’elle n’aura pas livré ses secrets.
-Et tu sais, maman, personne ne te jugera ici, moi la première. J’ai juste besoin de savoir ce qui a bien pu te pousser pour que tu en arrives à nous abandonner.
Les larmes coulantes, Margot détourne le regard vers le mur pour éviter de regarder Eva. Mais la jeune femme sent que le moment tant attendu est à portée de main. Elle donne le café à sa mère, s’assoit en face d’elle et attend.
-Tu sais, j’ai aimé ton père. Sincèrement, il a été le grand et le seul amour de ma vie. Mais ma famille n’était pas ravie de cette union.
D’ailleurs, ils ne m’ont jamais aimé.
-Clémence m’a dit qu’ils voulaient un garçon et qu’ils étaient déçus que ce ne soit pas le cas.
-Oui exact.
-Mais de là à te faire payer le fait que tu sois une fille, c’est affligeant.
-Non, ils ne m’ont pas fait payer le fait que je sois une fille. Ce que Clémence n’a jamais su, et personne dans la famille n’était au courant, c’est que je suis née avec un frère jumeau mort-né.
-Oh, c’est horrible !
-D’après ce que j’ai su, il est mort quelques jours avant que ma mère n’accouche. J’étais un gros bébé, tandis que lui était petit et fragile. Il n’avait aucune chance de survivre. Donc mes parents m’ont toujours collé sa mort sur le dos. Disant qu’ils auraient préféré que ce soit le contraire. Et malgré tout, je suis restée la petite fille modèle, faisant tout pour leur faire plaisir. Mais ce n’était jamais assez.
-Je suis désolée, maman, tu as dû passer une enfance très triste.
-Oui et non, car à l’époque, je venais chez ma tante Clémence et je lui racontais mes journées. Je m’amusais ici, j’étais bien. Et lorsque j’y étais, elle me faisait de bons goûters. C’était ma plus grande confidente.
-Pourquoi ne plus lui avoir parlé ?
-À cause de mes parents qui avaient appris que je venais chez elle enceinte de toi et que ton père était là aussi.
-Papa aussi ?
-Oui, c’était notre lieu de rendez-vous secret.
-Dans cette maison ? C’est dingue ça. C’est pour cette raison qu’il y a plein de photos de vous deux ici. Je comprends mieux.
-Tu les as trouvées ?
-Oui, Clémence avait laissé un album en évidence dans la bibliothèque.
-C’est bien d’elle ça. Même décédée, elle a posé des petits cailloux pour indiquer le chemin à suivre.
-Mon père ne m’a jamais parlé de cette maison et encore moins de ma grand-tante.
-C’est normal. C’est moi qui lui ai demandé de ne rien dire avant qu’on se sépare. Et je vois qu’il a parfaitement gardé le secret.
-Mais dans tout ça, je ne sais toujours pas pourquoi tu nous as laissé.
Margot détourne encore une fois les yeux, observe Vincent qui écoute et analyse, avec une attention particulière, tout ce qu’il entend. Elle prend une grande inspiration et dit :
-Juste avant ta naissance, mon père a menacé de faire assassiner Ethan et toi, si je ne vous abandonnais pas.
Chapitre 20
Après les révélations de Margot, Eva n’en revient pas. Tout ça par jalousie ? Possession ? Orgueil ? Même si les réponses commencent à arriver, tout cela est loin d’être terminé.
Dix jours passent, et la lycéenne est sur le départ pour son voyage scolaire. Sur le parking du lycée, Vincent reste avec elle le temps que le bus arrive. Les autres élèves les observent, surtout Théo, l’ex-petit copain de la jeune femme, qui semble dégouté par la vue de son ancienne copine, et surtout jaloux par le fait qu’elle soit en charmante compagnie.
-Bon tu as tout ce qu’il te faut ?
-Mon chéri, ne t’inquiète pas, j’ai le nécessaire. Et puis Candice ne va pas tarder, et la connaissant, elle aura plus qu’il n’en faut.
-Tu vas terriblement me manquer.
-Toi aussi, ça aurait été merveilleux que tu puisses venir.
-Tu as une petite place dans ta valise ?
Nos deux tourtereaux s’enlacent tendrement lorsqu’une voix bien trop reconnaissable et irritante retentit : Anna Leody.
-Oh non ! Je l’avais oublié celle-là !
-En même temps, c’est ton professeur de maths et elle fait parti du voyage.
-Je sais, mais j’avais le vague espoir qu’elle ne se remette pas de la mort de son oncle et qu’elle renonce à venir.
-Ça va aller. Et puis, malgré sa présence, quelques jours loin de tous ces événements qui sont arrivés depuis presque un mois ne te feront pas de mal. Et qui sait, cette chère Anna déliera peut-être sa langue et tu auras des informations supplémentaires.
-Ce n’est pas faux. Merci. Ah, ma chère amie qui s’amène avec une énorme valise. Tu vois, je te l’avais dit.
Candice se dirige immédiatement vers Eva et Vincent pour les saluer. Après avoir échangé quelques mots, le bus arrive et les professeurs et les élèves embarquent. Notre jeune homme embrasse sa bien-aimée et lui dit au revoir. Il reste un peu, le temps de voir le véhicule disparaitre après un virage et se dirige vers la voiture. Il ouvre la portière, mais sent une présence derrière lui. Il se retourne et attrape directement la main qui allait se poser sur son épaule. La personne sursaute, et lorsque Vincent regarde qui elle est, il la relâche.
-Ah Margot, c’est vous.
-Vous m’avez fait une peur bleue. Ça vous prend souvent de saisir les gens comme ça ?
-Et vous ? Vous ne pouvez pas m’appeler avant de vous glisser tel un félin derrière moi ?
-Désolée, je ne voulais pas vous effrayer.
-Bon qu’est-ce qui vous amène ?
-Je voulais vous parler sans la présence d’Eva. Vous avez un instant ?
-Pas trop, je dois finir mes cours et la semaine prochaine, j’ai mon examen final. Sinon, passez à la maison ce soir si vous voulez.
-D’accord, je serai chez vous vers 17 h 30, ce sera bon ?
-Parfait. Alors, à ce soir.
Et il part, laissant la mère de sa copine l’air désemparée sur le parking. Il se demande d’ailleurs si elle ne les suit pas de loin. Il est intrigué par ce comportement. Que veut-elle en réalité ? Cherche-t-elle un moyen de se faire pardonner ? Veut-elle nouer des liens avec sa fille et passe par l’intermédiaire de son petit ami ? Il décide de laisser toutes ses questions en suspens, jusqu’à ce qu’il ait des réponses concrètes.
Pendant ce temps, dans le bus, Eva profite de ce moment d’insouciance avec Candice, pour parler de n’importe quoi qui n’a aucun rapport avec sa famille. Les deux jeunes femmes rient de leurs bêtises, quand tout à coup, Anna les rejoint.
-Coucou les filles, tout va bien ?
-Oui Madame, nous allons très bien.
-Et toi Eva ça va ?
La jeune femme répond seulement d’un hochement de tête, ne voulant pas donner du bonheur à cette femme qu’elle méprise. De plus, sachant que c’est sa cousine biologique, c’est encore pire de savoir qu’elle partage avec elle un léger pourcentage de patrimoine génétique. Mais c’est sans compter sur l’obstination de madame Leody.
-Dis-moi, tu aurais un moment à m’accorder s’il te plait ?
-Quand ?
-Maintenant. Il y a des places au fond du bus et j’aimerais beaucoup te parler en privé.
-J’ai le choix ?
-Non, c’est ton professeur qui te le demande.
Eva souffle légèrement et se lève pour aller s’asseoir plus loin. Pourquoi faut-il que cette gourde gâche tout ? Elle prend place au fond du véhicule et Anna se met à un siège d’écart d’elle.
-Alors je vous écoute ?
-Je voudrais te parler de l’enterrement de mon oncle.
-Vous croyez que c’est le moment ?
-Tu peux me tutoyer, je te l’ai déjà dit !
-Oui sauf que nous sommes en voyage scolaire, et en tant qu’élève vous n’êtes pas mon amie, donc le vouvoiement est de mise.
-Oui, tu as raison, excuse-moi. Bref, je voulais savoir pourquoi tu n’es pas venue nous rejoindre chez ma tante Catherine ?
-J’étais fatiguée, j’ai préféré rentrer chez moi.
-Et est-ce que Clémence t’a dit quelque chose ?
-Pourquoi cette question ?
-Elle est connue dans la famille pour avoir la langue bien pendue.
-Non, nous avons parlé de tout et de rien.
-Tu es vraiment sûre ?
Eva sent qu’Anna cherche à obtenir quelque chose et décide de la jouer insouciante et discrète. Le pire dans tout ça, c’est qu’elle est en possession d’un secret que cette famille ignore pour l’instant. Ce qui la fait beaucoup rire. Le rendez-vous chez le notaire est fixé au 9 juin à 10 h 15, et la famille Breteuil va apprendre que quelques millions ne leur reviendront pas. Cette affaire sent le scandale à plein nez et Eva le sait très bien. Depuis que sa mère a décidé de leur livrer quelques bribes de son passé, certaines choses prennent place dans la tête de la lycéenne. Mais quelques questions subsistent encore et le dénouement n’est pas loin.
Avec l’accord de maître Boutier, les Breteuil ne seront au courant de la mort de Clémence qu’au retour de son voyage scolaire. Et il est relativement étonnant que Margot garde aussi bien cette information sans la partager. Lors de leur réunion chez la grand-tante, Vincent avait bien informé la mère de sa copine qu’il serait sage de garder le silence tant que l’ouverture testamentaire ne serait pas effective. Et il avait été très étonné de la coopération de Margot. Celle-ci leur avait juré de ne rien dire, estimant qu’elle avait perdu toute dignité depuis des années et qu’elle n’avait plus rien à perdre. Alors garder cette information pour elle : pas de problème.
-Oui, je suis sûre, madame Leody. Et puis pourquoi cet interrogatoire ?
-Je ne sais pas si je devrais te le dire. Mais on raconte dans ma famille qu’elle aurait assassiné son fils en essayant de faire porter le chapeau à mon oncle Édouard. D’ailleurs, elle a perdu le procès.
Eva est bouleversée intérieurement. Elle sait que c’est un mensonge. Depuis qu’elle a accès à la maison de sa tante, elle a fouillé et examiné beaucoup de documents et est tombée sur le fameux dossier relatant de la mort du petit Gabriel Breteuil, avec des photos sordides du corps de cet enfant. Sans être enquêtrice ni experte, avec Vincent, ils ont bien compris qu’il s’agissait d’un meurtre, mais l’affaire avait été conclue par un non-lieu. Incroyable ! Même pas un homicide involontaire, et nos deux amoureux avaient envie de vomir, tellement cette affaire puait la fausseté et la dissimulation. Malgré son désir d’obtenir des informations, Eva décide que c’en est trop pour elle. Elle refuse que cette femme salisse la mémoire de sa grand-tante et met un terme à leur conversation.
-Madame Leody, nous allons nous arrêter là. Je tiens à profiter de mon voyage en compagnie de MA meilleure amie. Maintenant, vous devriez en faire autant. Après tout, on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve, n’est-ce pas ?
Et en disant cela, elle affiche un sourire du plus troublant et cynique à l’attention de sa prof. Celle-ci écarquille les yeux de stupeur. Mais elle respecte, pour une fois, la volonté de son élève et retourne à l’avant en compagnie des deux autres professeurs.
Pendant ce temps, la journée passe et nous rejoignons Vincent qui attend Margot de pied ferme. Il entend sonner à la porte et la mère d’Eva est présente bien à l’heure.
-Rebonjour Vincent.
-Rebonjour à vous. Entrez !
-Non, on pourrait aller ailleurs, s’il vous plaît ?
-Pourquoi ?
-Je préférerais.
-C’est un piège ? Si c’est le cas, je vous somme de partir immédiatement d’ici.
-Non, en fait, je voudrais me rendre sur la tombe de ma tante, mais je n’ai pas les épaules assez solides pour y aller seule. Vous voulez bien m’accompagner ?
-D’accord, mais nous y allons avec ma voiture.
-Très bien, je vais juste récupérer les fleurs et j’arrive.
Vincent est perplexe, mais décide de l’emmener au cimetière malgré ses soupçons en restant le plus prudent possible. Dans le véhicule, Margot reste silencieuse et le jeune homme trouve cela très pesant. Il tente de briser la glace, mais la mère d’Eva ne décroche pas un seul mot. Du coin de l’œil, il l’observe et remarque qu’elle a la mâchoire serrée. Il décide de s’arrêter au bord de la route.
-Pourquoi vous vous arrêtez ?
-Descendez !
-Mais ?
-Descendez tout de suite !
Elle s’exécute et Vincent sort également.
-C’est quoi le problème ?
-Le problème ? C’est que je vous vois l’air crispée et muette comme une carpe. Alors, je ne vais pas me répéter cinquante fois : pourquoi m’emmener loin ? Vous voulez m’assassiner, c’est ça ? Parce que j’en sais trop sur votre putain de famille ? Au cimetière, comme ça, vous pourrez cacher le cadavre plus facilement ? Répondez !
Margot s’effondre à genoux sur le sol et en larmes. Vincent n’arrive pas à compatir face à ces pleurs du fait qu’il doute pouvoir lui faire confiance. Elle relève la tête et le regarde droit dans les yeux.
-Je ne veux pas vous tuer, imbécile. Je ne suis pas à l’aise, car j’ai peur de la réaction de ma mère si elle le savait.
-Mais qu’est-ce qu’elle a bien pu vous faire pour vous mettre dans cet état ?
-Je…vais vous le dire, mais lorsque nous serons arrivés. D’accord ?
Vincent ne bouge pas, attendant d’être moins soupçonneux.
-Aller, c’est bon, je vous le répète, je ne vais pas vous tuer. Vous pouvez même regarder dans mon sac et dans mon bouquet pour être sûr. Je ne cache aucune arme, ni poison.
-Bon ok, je vous accorde le bénéfice du doute. Mais je vous préviens, si je meurs à cause de vous aujourd’hui, je reviendrais vous hanter de jour comme de nuit.
Margot se trouve un peu bête, mais émet un léger rire à cette dernière remarque. Le jeune homme lui tend la main pour l’aider à se relever, et ils reprennent la route. Arrivés sur le parking, ils sortent de la voiture. La mère d’Eva met ses lunettes de soleil et observe tout ce qui l’entoure, de peur d’être démasquée par quelqu’un qui pourrait la dénoncer à sa famille.
-C’est dingue comme vous êtes effrayé par votre mère. Mais qu’est-ce qu’elle vous a fait pour vous mettre dans un pareil état ?
-Venez, nous allons jusqu’à la tombe et ensuite, je vous raconte.
-Vous savez où elle se trouve ?
-Non, mais vous allez m’y conduire. Je sais que vous ne me faites pas confiance, mais bizarrement, j’ai confiance en vous.
Ils continuent de marcher et arrivent sur la sépulture de la grand-tante. Margot se baisse et dépose le bouquet de fleurs et commence à parler :
-Clémence, je suis désolée. J’ai été impuissante et je n’ai pas eu le courage de me battre contre eux. Je te remercie d’avoir tout donné à Eva. Je suis persuadée qu’elle saura briser le cycle des trahisons et des douleurs que cette famille a toujours infligées à tout le monde. J’espère que tu es heureuse d’avoir retrouvé Gabriel. Reposez en paix tous les deux.
-Bravo Margot. Vous êtes en train de faire un pas vers votre paix intérieure.
-Oh non, c’est loin d’être fini. Le combat ne fait que commencer et heureusement qu’Eva peut compter sur vous. Vous avez des nouvelles de son père ?
-Elle a reçu un vague message la semaine dernière pour dire que tout allait bien malgré les difficultés du chantier et que la connexion était difficile.
-Au moins il va bien, c’est déjà ça.
-Absolument. Bon, maintenant, vous voulez bien me dire pourquoi votre mère vous effraie autant que ça ?
-C’est tellement difficile. Et puis, je vis depuis si longtemps dans le mensonge et le secret que je ne sais plus où est la vérité.
-C’est votre père qui a assassiné le fils de votre tante.
-Je n’en sais rien.
-Ce n’était pas une question.
-Ah, je vois. Pour tout vous dire, ça ne m’étonne pas.
-Remarquez, avec ce que vous nous avez révélé la semaine dernière, ça n’a rien d’étonnant.
-Mon père était pire que ça. Ma mère ne vaut pas mieux, me direz-vous, parce qu’elle a toujours été au courant de ses agissements et n’a jamais tenté de le dissuader, surtout quand c’était illégal.
-Peut-on en venir au moment où il vous menace de tuer Ethan et votre fille, s’il vous plaît ?
Elle soupire et s’assoit sur le rebord de la tombe, prenant au passage une fleur de son bouquet qu’elle fait tournoyer comme pour se calmer et gérer son stress.
-Est-ce que vous savez que je suis volontairement tombée enceinte ?
-Oui, je suis au courant.
-Ok, donc vous pouvez constater que cet enfant, je l’ai voulu. Ce n’est pas un véritable accident. J’ai d’ailleurs fini par l’avouer à Ethan.
-C’est un ange de ne pas vous en avoir tenu rigueur.
-Ça vous pouvez le dire. Mais bref, passons. Quand mes parents l’ont appris, ma mère m’a mis une gifle qui m’a fait tomber à la renverse. Mon père m’a dit tout de suite qu’il appelait le médecin pour me faire avorter. Je lui ai dit qu’il en était hors de question et je me suis enfuie chez Clémence. Ensuite, de chez elle, j’ai appelé Ethan qui m’a rejoint durant quelques jours où nous avons discuté de la suite à donner à cette affaire.
-Et vous avez donc poursuivi la grossesse chez votre tante ?
-Non, j’ai fini par retourner chez mes parents, mais la vie qu’ils me faisaient endurer était très dure, autant physiquement que psychologiquement. Alors que j’étais enceinte de cinq mois, j’ai commencé à perdre du sang, j’ai cru que le bébé allait mourir et ils ont refusé de me conduire à l’hôpital. Ethan était en stage à ce moment-là et je ne voulais surtout pas qu’il s’inquiète. Alors j’ai contacté Clémence et c’est elle qui m’y a emmené. Heureusement, rien de grave pour l’enfant, mais je devais me reposer un maximum. Je suis restée chez elle jusqu’à ce que mes parents l’apprennent. Mon père a fait un scandale à sa sœur et ça s’est terminé avec l’arrivée de la police pour motif de séquestration d’enfant. Et j’ai dû repartir avec lui de force. Comme là-bas, la situation était abominable, Ethan est venu me chercher une après-midi et ce sont les Calendal qui m’ont recueilli.
-Bon sang, mais je l’ignorais. Il ne m’a jamais rien dit, ni ses parents. C’est donc à ce moment-là que vous n’avez plus parlé avec Clémence. C’est ça ?
-Je les aimais tellement, ces gens. Ils avaient le cœur sur la main. Et oui, c’est la dernière fois que nous nous sommes parlés avec ma tante. C’est Ethan qui m’a conduit à la maternité et qui a tout de même prévenu mon cher père et ma chère mère de la naissance imminente de notre bébé, en espérant surement qu’à la vue de sa petite bouille, ils verraient les choses autrement. Ce qu’il ignorait, c’est que deux semaines avant la venue au monde de notre fille, mon paternel m’a contacté et m’a donné rendez-vous sur le parking souterrain de l’hôpital pour m’annoncer avec la froideur d’un iceberg que soit j’abandonnais l’enfant soit il faisait assassiner Ethan et le bébé avec.
-Mais pour quelle raison ?
-Des questions d’ordre financier, évidemment. Pour lui, il était hors de question que sa fille entache la réputation de la famille en ayant un mioche à dix-huit ans. Qui plus est, avec un jeune homme qu’il n’aurait pas choisi lui et qui n’arrangeait pas ses affaires.
-Pourquoi ne pas avoir pris la fuite ?
-J’avais trop peur pour Ethan. Mon père était un homme puissant et influent. En plus, il me haïssait tellement à cause de mon frère décédé. J’ai paniqué et j’ai abandonné mon enfant et ma vie avec Ethan. Au moins ils étaient sauvés par cette décision tragique.
-Mais une question que je me pose, vous avez fait quoi après ? Vous êtes devenue quoi ?
-J’ai fait une dépression et je suis partie dans un centre spécialisé pour me faire soigner. Lorsque je suis rentré chez moi, j’ai été accueillie par mon père et un homme d’une quarantaine d’années qui souhaitait m’épouser, pas par amour bien sûr, mais parce qu’un partenariat avec mon père était envisagé et j’étais la monnaie d’échange.
-Pourquoi avoir accepté ?
-Je me sentais tellement mal, tellement sale intérieurement, que j’ai accepté malgré moi. Mon père a conclu son affaire et j’ai divorcé cinq ans après. Ce qui a causé un autre scandale. Parce que ce mariage ne m’a jamais rendue heureuse et pour mon ancien époux, je n’étais rien d’autre qu’une porte d’accès au cercle fermé des chefs d’entreprises véreux.
-Vous n’avez pas eu d’autres enfants, dont Eva ignorerait l’existence ?
-Non, j’ai fait croire à mon ex-mari que c’était bizarre que ça ne marche pas, mais la vérité, c’est que je prenais la pilule grâce à l’aide d’une infirmière au centre où j’étais à l’époque. La même qui est devenue une amie et qui m’a récemment annoncé le décès de ma tante.
-Quelle vie gâchée, c’est triste.
-Oui, mais après, je suis tout de même resté auprès de mes géniteurs. Pourquoi ? Je me le demande encore. Peut-être pour payer une dette ? Par culpabilité ? Par punition ? Je me suis occupée de la comptabilité d’une des entreprises de mon père et c’est tout.
-Mais vous savez qu’il n’est pas trop tard pour changer les choses. Vous n’avez que trente-six ans, vous avez encore la vie devant vous. Vous pouvez même encore avoir un enfant si vous le souhaitez.
Margot s’écroule dans les bras de Vincent. Presque vingt ans de secrets qu’elle déleste tout à coup. Toutes ses émotions s’effondrent comme un château de cartes, et c’est un flot de pleurs qui se déversent sur la chemise du jeune homme. Néanmoins, il commence à comprendre que la mère de sa bien-aimée a été sous l’emprise psychologique de ses parents et que pour s’en sortir, c’est très difficile. Si elle le veut bien, il est prêt à l’aider comme son meilleur ami l’a aidé lui à une certaine époque. Le jeune homme prend conscience qu’il est en train de devenir un Ethan numéro deux. Il ressent soudainement un élan de fierté envers cet homme qui lui a donné toutes les chances du monde pour devenir quelqu’un faisant le bien autour de lui. Il se rend compte qu’il devient enfin l’homme qu’il a toujours rêvé d’être.
Chapitre 21
La semaine passe et Eva rentre de son séjour scolaire. C’est avec un plaisir incommensurable qu’elle va retrouver son amour et sa maison. Lorsqu’elle sort du bus, la lycéenne se jette littéralement sur Vincent et l’embrasse amoureusement devant toute l’assemblée. Peu importe ce que tout le monde pense, c’est décidé : ils vivront leur histoire comme n’importe quel couple. Peu importe ce que son père peut penser. Malgré toute l’affection et le respect qu’elle a pour lui, il n’a pas le droit de lui imposer ses choix. Surtout depuis qu’elle a appris certaines informations sur son passé. La jeune femme récupère sa valise, fait une accolade à Candice et rentre à son domicile en compagnie de son cher et tendre. Une fois arrivée à la maison, elle balance son bagage dans le couloir et saute sur son amoureux, dont les baisers et les caresses lui ont terriblement manqué. Pas le temps de monter dans la chambre, le canapé du salon fait très bien l’affaire, et soyons honnêtes, ce n’est pas la première fois. Les corps de nos deux jeunes explosent de sensualité et c’est dans une apothéose de plaisir qu’ils finissent leur acte d’amour profond une heure après. Eva et Vincent prennent une douche, puis le jeune homme va préparer le dîner, tandis que sa bien-aimée s’installe au comptoir pour lui narrer son séjour. Elle raconte à Vincent qu’Anna Leody ne la lâchait que très rarement, en lui posant beaucoup trop de questions sur Clémence Breteuil. Difficile de rester concentré quand une personne que vous détestez est toujours présente derrière vous. Néanmoins, la jeune femme doit un immense merci à sa meilleure amie, qui, à plusieurs reprises, a détourné l’attention de cette chère professeure pour que sa copine puisse un peu profiter de son voyage.
-Tu sais Vincent, je suis persuadé qu’elle sait quelque chose qu’elle ne me dit pas. Elle était vraiment insistante sur des questions tordues. Du genre : Mais qu’est-ce qu’elle t’a dit ? Tu es sûre que vous avez parlé de la pluie et du beau temps ? Elle t’a dit qu’elle était très riche et qu’à son décès, ce sera un partage entre le frère et les sœurs ? Elle m’a épuisé. Surtout que le rendez-vous chez maître Boutier est dans dix jours, donc tout le monde sera fixé sur le sort de l’héritage.
-Margot est venue pendant ton absence.
– Ah bon ? Comment était-elle ?
-Soucieuse et elle m’a fait de troublantes révélations.
Et Vincent lui raconte en détail la raison qui a poussé Margot à les abandonner, elle et son père. Eva n’en revient pas et se met à pleurer. Le jeune homme la prend dans ses bras et se demande s’il a bien fait de tout lui avouer tout de suite.
-Non mon chéri, tu as entièrement raison de l’avoir fait. Bien au contraire. J’aurais préféré que ce soit elle qui me l’avoue, mais peut-être qu’elle n’en a pas encore la force de le faire.
-Exactement. Tu commences à connaître ta mère, dis-moi ?
-Je ne sais pas, mais avec ses nouvelles confidences, ça me rend triste pour elle. Et puis mon père ignore tout cela. D’ailleurs, toujours pas de nouvelles ?
-Non ma belle, toujours pas. J’ai téléphoné à tes grands-parents et ils ont eu un e-mail qui disait que tout allait bien.
-J’ai envie d’aller les voir demain.
-Tu veux que je vienne avec toi ?
-Carrément. Et puis je t’aime, voilà, c’est dit. Donc oui, tu viens avec moi demain. En plus, ta jambe a l’air d’aller beaucoup mieux. Tu n’as plus besoin de la béquille et tu ne boites presque pas.
-Oui, je suis quasiment guéri. Et puis, je vais chez le kinésithérapeute et je fais mes exercices comme un bon élève. Sinon, je suis dans l’incapacité de faire ça.
Il soulève soudainement l’amour de sa vie et la porte majestueusement dans les escaliers direction la chambre à coucher. Le repas attendra d’être mangé plus tard, laissant nos deux amoureux fêter une fois encore le retour d’Eva.
Le lendemain, elle appelle ses grands-parents pour leur annoncer leur visite. Comme toute grand-mère qui se respecte, Stéphanie va préparer les plats préférés de sa petite fille et de Vincent. Officiellement, ils ne savent pas qu’ils sont en couple, mais officieusement, ils sont parfaitement au courant.
Une fois prêts, ils partent acheter un dessert dans une boulangerie proche et font les quelques kilomètres qui les emmènent chez les Calendal.
Les retrouvailles se font dans la joie et la bonne humeur. Philippe sort de sa maison avec un air de satisfaction sur le visage, qui signifie qu’il est très heureux de les voir ensemble. Stéphanie les prend tous les deux dans les bras dans un câlin chaleureux. Inutile de parler de leur condition, elle sait qu’ils étaient faits l’un pour l’autre et qu’ils sont désormais un couple à part entière.
-Allez, on va s’asseoir et on va pouvoir discuter tranquillement.
-Merci mamie. Parce que j’en ai des choses à dire. Il s’est passé tellement d’événements depuis la dernière fois qu’on s’est vu que c’en est incroyable.
Tout le monde s’installe et Eva entame la conversation avec l’historique de sa relation avec Vincent, poursuit par la première visite de sa mère, enchaine avec l’enterrement d’Edouard Breteuil pour terminer par la mort de Clémence qui lui cède tout ce qu’elle possède. Tout cela en même temps que l’apéritif succède au repas jusqu’au dessert. Philippe et Stéphanie n’en croient pas leurs oreilles et restent bouche bée. Le grand-père de la jeune femme prend la parole :
-Et tu as gardé tout cela pour toi pendant des semaines ?
-Oui papy et je suis désolée de ne pas vous en avoir parlé plus tôt. Mais je voulais tellement savoir pourquoi ma mère nous avait rejetés, que c’est devenu vital.
-Ne t’en fais pas, ma chérie, on ne t’en veut pas et en plus, c’est normal que tu aies eu envie de savoir. Donc, si je comprends bien, même ton père ne sait pas la véritable raison de son abandon.
-Non, mais grâce à Vincent et à sa merveilleuse capacité d’écoute, elle lui a tout raconté.
-Bravo mon grand, je te félicite.
-Ce n’est rien, Philippe, je l’ai fait pour Eva.
-Tu peux être très fier de toi, elle a enfoui cette saleté de secret au fond d’elle et maintenant elle le lâche. Édouard Breteuil était une pourriture de premier ordre. Nous le connaissions, Stéphanie et moi, nous avons essayé de lui parler, mais rien à faire, jamais il n’a voulu écouter la moindre parole venant de nous. Et sa femme, n’en parlons même pas. Aussi méchante et revêche que son mari. Margot était tellement gentille et réservée. Elle n’avait rien à voir avec ces deux monstres. Et à présent, tu nous apprends que cet enfoiré voulait tuer mon fils et ma petite fille ? Finalement, la maladie l’aura rongé de tous ces méfaits et j’en suis bien content.
-Philippe, calme-toi, veux-tu ?
-D’accord ma chérie. Finalement, tu as trouvé grâce aux yeux de ta grand-tante Eva et c’est une bonne chose. Ethan nous avait parlé d’elle à plusieurs reprises. Elle avait l’air d’une femme très bien, avec son lot de souffrance également. Une dermatologue, si je me souviens bien, c’est ça ?
-Oui tout à fait. Le peu que je l’ai connue, oui, elle était quelqu’un de bien. Dans quelques jours, je vais chez le notaire et toute la famille va savoir qui je suis et ce dont j’hérite.
-Méfie-toi Eva, je n’ai aucune confiance en ces gens-là.
-Oui mamie. Moi non plus, je ne leur fais aucune confiance.
-Il y aura Margot, j’imagine ?
-Oui, elle sera là. Elle sait parfaitement de ce dont je vais hériter, mais elle garde le secret.
-Très bien. Tu nous tiens au courant et quoi que tu puisses avoir besoin, nous sommes là. Et puis, je suis rassurée que Vincent soit à tes côtés.
-Oui, il est formidable. Par contre, puisque nous sommes là pour discuter, je voudrais savoir pourquoi papa ne me donne plus de nouvelles depuis quelques jours ? J’en ai eu avant de partir la semaine dernière, mais là, plus rien.
Stéphanie et Philippe se regardent avec un air inquiet qui ne rassure pas du tout la jeune femme ni Vincent. La grand-mère chuchote à son mari qui lui répond qu’ils devraient le lui dire maintenant.
-Dites-moi si vous savez quelque chose que j’ignore, s’il vous plait !
-Eva, des orages ont éclaté un peu partout et son équipe et lui se sont fait surprendre par une tempête.
-Papa a été blessé, c’est ça ?
-Oui. Il est actuellement à l’hôpital de la ville proche de son chantier. Le toit d’une vieille construction qu’ils étaient en train de démonter leur est tombé dessus. Trois ouvriers sont décédés et ton père et son second ont réussi à s’en sortir, mais avec des blessures profondes. Mais je n’en sais pas plus, il a refusé de nous en dire d’avantage. Le décalage horaire pose problème pour avoir des nouvelles. J’appelle tous les jours, mais je n’ai pas toujours de réponse. Ethan ne peut pas trop parler pour le moment, il a été très choqué comme tu peux l’imaginer. Ils sont morts sous ses yeux et bien entendu, il se sent responsable. C’est lui qui nous a demandé de ne rien te dire, sachant que tu partais en séjour.
-Cela s’est passé quand ?
-Deux jours après ton départ.
Eva détourne le regard pour ne pas verser de larmes devant ses grands-parents, Vincent passe son bras autour de ses épaules et elle appuie sa tête contre lui. Trop d’événements s’enchainent, mais elle sait qu’elle doit garder la tête froide.
-Ne t’inquiète pas, Eva, mon Ethan est solide comme un roc. Il va se remettre de ses blessures, j’en suis sûre.
-Oui il est très fort comme garçon, ne t’en fais pas, il va être sur pied en un rien de temps. À mon avis, le chantier, ils peuvent lui dire adieu. Mais le plus important, c’est qu’il rentre entier, même cabossé, mais entier tout de même.
Eva essuie ses yeux et acquiesce. La petite famille sort dans le jardin pour s’aérer après toutes ses émotions et profiter des merveilleuses fleurs de Stéphanie. Main dans la main, Vincent et sa dulcinée se promène en écoutant les dernières plantations qui ont été faites. Elle lève les yeux et regarde la cabane dans l’arbre avec une certaine nostalgie. La journée se termine sur une note douce-amère, due à l’information sur Ethan. Mais au fond d’elle, Eva sait que son père va bientôt rentrer. Au moment du départ, la jeune femme prend sa grand-mère à part et lui demande pourquoi ils ne rejoignent pas son père dans le pays où il se trouve.
-Ton grand-père, comme tu peux le constater, va beaucoup mieux. Mais sa santé n’est pas si paisible que ça et…la mienne non plus.
-Que t’arrive-t-il mamie ?
-Je ne vais pas t’en parler aujourd’hui. Sache que si notre état nous le permettait, nous serions déjà là-bas. Seulement, parfois, il y a des
circonstances qui nous empêchent de faire ce que l’on voudrait.
-Très bien, je comprends. Et tu me diras tout quand tu estimeras que ce sera le bon moment. On fait comme ça ?
-Oui ma chérie, on fait comme ça.
Nos deux amoureux grimpent dans la voiture et rentrent à la maison, profitant encore du peu de tranquillité qu’il leur reste.
Les jours passent à une vitesse phénoménale. Vincent obtient son diplôme d’agent de voyage et cette réussite est fêtée avec joie en compagnie de Medhi et Candice au restaurant. Les épreuves du baccalauréat démarrent dans une semaine, mais il faut d’abord affronter la famille Breteuil chez le notaire. Eva s’habille d’un jean bleu foncé et d’un chemisier en mousseline couleur rose poudré. Des sandales à talons noirs et un petit sac en bandoulière. Elle a pris soin de confier les clés de la maison de Clémence à Candice. On ne sait jamais. Vincent tient absolument à l’accompagner. Il ne viendra pas dans le cabinet du notaire, mais restera à l’extérieur à l’attendre. Ce qui rassure la jeune femme qui ignore comment les choses vont se dérouler. Ils se garent et sortent. Immédiatement, Eva aperçoit sa mère qui l’a vue également. Margot a l’air très tendue, mais elle esquisse un léger sourire à la vue de sa fille, ce qui fait chaud au cœur d’Eva. À part elle, personne d’autre ne semble l’avoir aperçu. Elle décide de rester en retrait jusqu’à ce que toute la famille soit entrée. Elle repère un homme qu’elle n’avait pas encore rencontré : Charles, le frère de Clémence, Jeanne, la mère d’Anna, Catherine, la mère de Margot et épouse de feu Edouard Breteuil et bien évidemment accompagnée de sa fille. La secrétaire du notaire sort et leur demande de bien vouloir entrer et de patienter dans la salle d’attente. Ils exécutent la demande. Eva s’approche pour faire de même lorsque sa mère sort, l’attrape par le poignet et lui fait faire quelques pas sur le trottoir pour que personne ne puisse les voir.
-Maman ? Mais ça ne va pas !
-Chut ! Tais-toi !
Elle semble encore plus terrorisée et tremblante que d’habitude et jette un œil autour d’elle pour voir si personne ne vient à leur rencontre.
-Tu veux bien me lâcher, s’il te plait ?
-Écoute-moi très attentivement ! Tout le monde a appris le décès de ma tante avant-hier quand la clerc de notaire a appelé pour le rendez-vous. Bien entendu, la famille se fiche royalement qu’elle soit morte, ce qui est atroce. Mon oncle Charles ne parle presque plus, donc impossible de savoir ce qu’il ressent. Seul l’héritage compte pour eux. Personne ne sait qui tu es, personne tu entends ! Je n’ai pas révélé ton identité à quiconque. Par contre, dans quelques minutes, toute la famille va le savoir. Je vais faire comme si je ne savais pas qui tu étais d’accord ?
-Mais on ne porte pas le même nom de famille. Ah, mais tu as peur que Clémence n’ait révélé qui j’étais et qui sont mes parents dans son testament, c’est ça ?
-Oui exactement, c’est même sûr et certain.
-Donc, comme tu es censé ne pas savoir qui je suis, tu ne risques rien. Et tu vas faire la dame outragée devant tout le monde pour faire bonne figure, c’est ça ?
-Je ne veux pas faire la dame outragée comme tu dis, mais je ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose de fâcheux.
-C’est bon, ton père est mort, je ne risque plus rien à part un procès qui n’aboutira sûrement pas. Maintenant, tu devrais y aller, et je te laisse deux minutes d’avance, comme ça on ne rentrera pas ensemble. Cela te convient ?
-Oui merci.
Comme prévu, Margot entre dans la salle d’attente de maître Boutier
suivie d’Eva peu après. Lorsqu’elle arrive, tout le monde l’observe comme si elle était une guêpe tournant autour d’un melon.
Jeanne murmure quelque chose à sa belle-sœur Catherine qui secoue la tête comme pour dire non. Charles détourne les yeux pour se concentrer sur un tableau accroché au mur. Quant à Margot, elle se ronge les ongles dans son coin. Sa mère Catherine est une femme à l’air très autoritaire et à très peu de rides sur le visage. Preuve d’une absence de sourire au quotidien ou un sacré lifting qui lui aurait enlevé toute expression. Tout à coup, la porte s’ouvre et la tête de maître Boutier apparaît. Un petit homme tout à fait charmant d’une soixantaine d’années, petite moustache fine et crâne dégarni. Il a l’air jovial et son bureau ne fait pas austère, mais est agrémenté de plantes vertes et d’une peinture couleur amande. Toutes les chaises sont installées dans la pièce et Catherine commence à les compter.
-Une, deux, trois, quatre, cinq chaises ? Pourquoi cinq, maître Boutier ?
-Parce qu’il y a cinq personnes qui ont été contactées et qui doivent être présentes pour le dossier de madame Clémence Breteuil.
-Ce doit être celle-là, je suppose. Tu devais être sa femme de ménage, j’imagine.
Le ton sec et arrogant de Catherine Breteuil est insupportable. Mais il en faut plus pour déstabiliser Eva.
-Je suis plus qu’une femme de ménage, madame !
Elle va pour répliquer, mais Margot l’arrête dans la seconde en lui demandant de s’asseoir. Ce qu’elle exécute non sans maugréer.
Une fois les sièges occupés, maître Boutier prend la parole.
-Bonjour à tous, je suis heureux que nous soyons tous présents pour ouvrir la succession de madame Clémence Breteuil, décédée il y a peu.
Le notaire dicte la loi, énonce les biens qu’elle possédait, et ajoute que tous les biens réunis sont estimés à 1 522 428 euros. Et que l’argent sur son compte en banque est au montant de 88 209 euros pour son compte courant et 125 005 euros sur son livret. Soit un total de 1 735 642 euros. Eva observe le comportement de Catherine qui a l’air de sautiller sur sa chaise de joie en pensant à tout l’argent qu’elle va recevoir, même partagé en trois.
-Ah, ça fait une sacrée somme, dites-moi. Et du coup, partagé à parts égales, cela fait combien ?
-Mais Madame, il y a un testament qui a été fait et je me dois de l’ouvrir devant vous tous pour que vous preniez connaissance des dernières volontés de Clémence Breteuil.
-Un testament ? Bon très bien.
Maître Boutier ouvre le document et commence à lire. Nom, prénoms, date et lieu de naissance et adresse. Puis vient le paragraphe sur lequel il est stipulé que tous ses biens immobiliers, mobiliers, bijoux ainsi que sa voiture personnelle, le tout revenant à Eva Calendal, fille d’Ethan Calendal et Margot Breteuil. L’assemblée semble sidérée, en particulier Catherine.
-QUOI ? COMMENT ? QUI EST CETTE EVA ?
-C’est moi, madame Breteuil.
-PARDON ?
-Oui je suis bien Eva Calendal.
-JE CROYAIS QUE TU ÉTAIS LA FEMME DE MÉNAGE ?
-Non, je suis biologiquement votre petite fille. Alors, grand-mère, vous n’êtes pas heureuse de me rencontrer ?
Catherine Breteuil est sur le point d’exploser de fureur. Ses yeux ensanglantés en attestent. Elle ne prend pas conscience tout de suite de qui est Eva pour elle. Mais quelques secondes suffisent pour que ses neurones se connectent et qu’elle comprenne que tout ce qu’elle croyait avoir lui passe sous le nez pour l’enfant qu’elle a haï avant même sa naissance. Mais le notaire se lève et calme immédiatement la dame qui s’agite dans tous les sens. Margot regarde sa fille et on constate que sur son visage se dessine une légère fierté. Peut-être parce qu’elle constate qu’elle a le courage dont elle-même est dépourvue ?
-Calmez-vous ! Cela ne sert à rien de vous mettre dans un état pareil. Et j’aimerais, au préalable, poursuivre, s’il vous plaît !
Elle se rassoit, mais bouillonne de rage envers Eva. Elle tape sur le bras de sa fille en lui parlant d’une façon dont on ne doit pas parler à son enfant, même adulte.
-Tu étais au courant que cette connasse de Clémence connaissait cette chose ?
-…
-Oh je te parle ! Réponds ! Est-ce que tu étais au courant ?
Margot relève la tête, prend une grande inspiration, se tourne vers sa mère et lui dit :
-Oui, je suis parfaitement au courant de ce qui est en train de se passer ici. Et j’étais au courant aussi pour Eva. Et pour ta gouverne, il s’agit ma fille et que c’est une jeune femme incroyable.
Dans ce moment assez cocasse et tragique, Eva n’en croit pas ses oreilles et regarde sa mère avec satisfaction. C’est sûrement la première fois qu’elle tient tête à sa propre mère. Serait-ce la force psychologique d’Eva qui l’inspire et qui lui donne cette force
soudaine ? Catherine écoute attentivement Margot et soudain lui assène une gifle qui la fait tomber de sa chaise. Tout le monde se lève soudainement pour arrêter cette femme qui va pour s’en prendre clairement à Margot sans retenir ses coups.
Eva s’interpose entre la mère et la fille, mais la mégère la frappe également. Cette fois, c’en est trop ! Eva se retourne et lui fait une clé de bras comme on lui a appris en cours d’autodéfense.
Catherine Breteuil est immobilisée. Elle se débat sans succès car la jeune femme a beaucoup de force. Le notaire appelle sa secrétaire en renfort, mais Eva lance à sa grand-mère :
-Je vous lâche uniquement si vous posez votre fessier sur la chaise et laissez maître Boutier continuer sa lecture.
-Jamais tu entends petite garce, jamais je ne te céderais ce qui me revient de droit. Tu devrais être morte au lieu d’être là. Mon mari a été trop clément.
Eva desserre son étreinte totalement troublée par cette pique et se trouve face à une femme qui n’a aucun sentiment ni empathie, juste une hystérie et une rage incontrôlée, une bête féroce prête à dévorer sa proie. Mais pourquoi tant de haine envers elle ? Jeanne et Charles attrapent leur belle-sœur et la font sortir du bureau, laissant Eva et Margot devant un notaire embarrassé de cette situation.
-Bon, pour la faire courte, Clémence Breteuil vous a tout donné. Vous acceptez l’héritage ?
-Bien évidemment maître.
-On est d’accord. Alors, nous allons nous occuper de tout ce qui concerne le paiement des impôts et tout clôturer. Veuillez signer ici et paraphez toutes les feuilles. Vous aurez l’argent sur votre compte d’ici une semaine. Pensez à aller voir votre banquier, c’est une sacrée somme.
-Merci maître pour ce conseil.
Une fois toutes les formalités terminées. Il remet les clés officielles des différentes maisons de Clémence ainsi que tous les documents relatifs à l’héritage. Lorsque Eva et sa mère sortent du bureau, le frère, la sœur et la belle-sœur sont dans le couloir. Eva part sans regarder qui que ce soit, mais Catherine Breteuil se lève en trombe et se dirige vers la jeune femme qui est déjà dehors avec Vincent qui l’a rejoint. Elle attrape sa petite fille, la retourne et lui crache au visage. Ni une ni deux, le jeune homme pousse l’importune et lui indique de partir immédiatement avant qu’il appelle la police.
-Vas-y connard ! Je n’ai peur de rien ! Et ce n’est pas cette merdeuse qui va prendre mon argent ! Et puis tu es qui toi d’abord ?
-Vous devriez partir tout se suite avant que cela ne dégénère plus.
Margot sort à son tour et regarde avec incrédulité la scène.
-Toi tu dégages de ma vie ! Tu n’es pas une fille, tu es un boulet que je traîne depuis trente-six ans ! Tu aurais dû crever à la naissance !
Margot a les larmes aux yeux. Comment peut-elle être la fille de cette immonde créature ? Mais malgré les pleurs, la mère d’Eva décide de changer de vie et prend une décision.
-Ma chère mère, c’est terminé. Profite bien, car jamais plus tu ne me reverras. Tu ne m’as jamais aimé. Tu as pourri ma vie et continue à le faire. C’est fini. Tu ne veux plus me voir ? Parfait, c’est réciproque !
Et elle se dirige vers sa voiture. Eva et Vincent la rejoignent, laissant madame Breteuil seule sur son trottoir, qui est tellement dans une colère noire que cela lui déforme les traits de sa figure.
Chapitre 22
Les semaines passent et Eva a terminé ses épreuves du bac, qui ont été compliquées au vu des événements récents. Néanmoins, tout cela est fini. L’inscription à l’université est faite où elle va préparer un BTS tourisme. La jeune femme voulait travailler dans l’été, mais au vu de l’héritage qu’elle vient d’obtenir, elle va plutôt s’occuper de savoir ce qu’elle va faire de tout ce patrimoine. Et dans tout ce chaos, Margot est allée se réfugier chez sa fille, le temps de se recentrer et surtout de réfléchir à son avenir.
Nous sommes samedi matin. Les deux femmes prennent le petit-déjeuner dans la cuisine, tandis que Vincent est allé marcher pour continuer la rééducation de sa jambe.
-Je ne sais toujours pas quoi faire, je suis perdue.
-Maman, tu sais qu’il va y avoir pas mal de boulot à faire en juillet et en août pour s’occuper de la maison de notre tante. Donc, tu auras tout le temps d’y penser.
-Tu vas en faire quoi de tout ce que tu viens d’avoir ?
-Pour l’instant, je l’ignore. J’ai quelques idées, mais rien de concret. J’attends le retour de papa pour lui en parler et lui demander conseil.
-D’accord. Tu me diras lorsqu’il reviendra, s’il te plaît ? Je ne sais pas quelle sera sa réaction en me voyant squatter chez lui.
-Ne t’en fais pas, reste ici tant que tu en as besoin. C’est la première fois de ta vie que tu vas prendre une décision pour toi.
-Je sais et ça me fait peur.
-Nous sommes là avec Vincent pour t’aider. Et comme je te le dis, nous avons de quoi nous occuper.
La porte d’entrée claque. Notre jeune homme est de retour et il est de très bonne humeur.
-Bonjour mesdames, comment allez-vous ?
-Bien merci. Vous avez bien promené ?
-Oui, ça m’a fait un bien fou.
-Et votre jambe ?
-Elle a l’air d’aller bien également. J’ai guéri plus vite que prévu et j’en suis très heureux. La seule chose qui me manque, c’est ma moto qui est partie en épave, au vu des dégâts.
-Comment avez-vous eu cet accident ?
-C’est une longue histoire dont je vous ferai part une autre fois.
Margot est un peu déçue, mais respecte le refus de Vincent de répondre. Nos trois acolytes se préparent et se rendent chez Clémence pour commencer le tri. En chemin, ils récupèrent Candice et Mehdi qui ont proposé leur aide, et ce ne sera pas de trop. Lorsqu’ils arrivent, rien n’a changé et Eva ouvre la maison ainsi que toutes les fenêtres. Cette demeure a besoin de lumière et de chaleur. Vincent et Mehdi s’occupent du garage, tandis que les filles sont au premier étage, chacune dans une pièce. Tout est minutieusement classé par catégorie de ce qui doit être gardé, ce qui doit être vendu ou donné aux bonnes œuvres, et ce qui doit être jeté. Les souvenirs de la vie de Clémence sont tristes et émouvants à la fois. L’émotion est à son comble lorsque des photos de son fils sont trouvées. La joie et le bonheur se lisent sur le magnifique visage de cette femme en compagnie de son enfant. La différence est très marquée entre l’avant et l’après Gabriel. Margot marque un temps d’arrêt sur un portrait de sa tante avec son nourrisson dans les bras. Eva entre dans la pièce et observe le regard de désespoir et d’envie de sa mère sur cette photographie. Elle se rend compte au final que la décision qu’elle a prise la concernant a dû être ce qui a été de plus douloureux.
-Maman ?
-Oui Eva ?
-Tu as l’air bouleversée. C’est le fils de Clémence.
-Oui, je sais, je ne l’ai pas connu, mais c’était un très bel enfant.
-Ça te fait quel effet de te retrouver ici en compagnie de ta fille ?
Margot est décontenancée par cette phrase et se tourne vers Eva.
-Quoi ?
-Je te demande ce que cela te fait de te retrouver en compagnie de ta fille après dix-huit ans. Finalement, je suis une parfaite étrangère pour toi et pourtant, nous sommes là toutes les deux ensemble pour s’occuper d’une maison.
-C’est vrai, et cela me semble tellement irréel. Toute ma vie, je n’ai fait qu’obéir aux ordres de mes parents sans broncher et voilà où cela m’a mené. Une existence minable où tout ce que j’aimais a été prohibé. La peinture, le dessin, l’amour et pour finir : toi. Eva, si tu savais comme je me sens mal pour tout cela. Comment as-tu pu vivre sans la présence d’une maman ? J’imagine que ton père a été un être formidable, comme il doit l’être encore.
-En effet, il est un père extraordinaire. Mes grands-parents le sont tour autant. Et puis il y a eu Vincent.
-Depuis quand vous connaissez-vous ?
-Depuis petite fille. Je te la fais courte : papa lui a sauvé la vie en s’interposant entre lui et son père violent.
-Ça ne m’étonne même pas de sa part.
La mère d’Eva baisse la tête et une larme glisse lentement sur sa joue creuse.
-Que t’arrive-t-il ?
-Je repense à quelque chose qui me rend à la fois triste et nostalgique à la fois.
-Je t’écoute. Je crois sincèrement que tu as besoin de vider ton sac et ça te fera beaucoup de bien.
-…
-Vas-y je ne te jugerai pas.
-Ça n’a rien à voir avec un quelconque secret et personne ne l’a jamais su, mais ton père s’est battu avec le mien.
-Ah bon ? Mais comment cela s’est passé ?
-Lorsque j’ai annoncé ma grossesse à mes parents, inutile de te dire que ça n’a pas été le moment le plus joyeux de ma vie. Ils se sont énervés, évidemment, mais Ethan a tenu quand même à venir leur parler en personne. Ma mère n’a rien voulu savoir, mais mon père a été curieux de connaître l’homme responsable de ce déshonneur. Ils se sont donc rencontrés secrètement ici dans cette maison, pendant l’absence de ma tante qui n’en a jamais rien su, et cela ne s’est pas vraiment passé comme nous l’espérions. Ton père s’est reçu un coup de poing monumental qui lui a ouvert l’arcade sourcilière droite. Il s’est relevé et a mis un coup dans le ventre du mien. J’ai essayé de m’interposer, mais cela ne servait à rien. Les raclées s’abattaient quand soudain mon père m’a attrapé et jeté sur le sol assez violemment. Ethan ne l’a pas supporté, c’était la goutte d’eau. S’en prendre à la mère de son enfant à venir lui était intolérable. Alors, il s’est abattu sur Édouard en lui rentrant dans les jambes et lui faisant perdre l’équilibre. La tête de mon père a heurté le mur et il est resté inconscient pendant quelques heures, peut-être. Sans savoir s’il allait reprendre conscience, nous nous sommes enfuis chez Philippe et Stéphanie. Personne n’a jamais été au courant, jamais. La suite, tu la connais.
-C’est drôle, c’est la même tactique qu’il a employée pour sauver Vincent des griffes de son père.
-Ethan était le soleil de ma vie et j’ai tout gâché.
-Dis-moi maman, tu l’aimes encore, n’est-ce pas ?
-Ne raconte pas de bêtises.
-Tu ne me la feras pas. Cela se voit comme le nez au milieu de la figure. Chaque fois que tu parles de lui, ton regard s’illumine et tu as un léger rictus au bord des lèvres. Alors sincèrement répond à ma question même si je pense connaître la réponse s’il te plaît.
Margot semble très gênée par la question de sa fille. Elle tourne la tête comme si elle cherchait une autre personne pour répondre à sa place. Eva voit bien le malaise que cela engendre et décide de passer à autre chose en demandant quelle heure pouvait-il bien être.
Il est 12 h 42, il est temps de grignoter quelque chose. Nos cinq amis s’installent sur la terrasse en arrière de la maison. La vue sur la plaine y est incroyable. Il est assez amusant de constater que la demeure de Clémence, se situe au fond d’une impasse et possède un terrain immense avec des coins de forêt et un étang. Lorsque l’on se trouve devant la maison, on ne le voit pas, mais une fois de l’autre côté, on est transporté dans un autre monde. Autour de la table, les sandwichs et autres salades composées sont distribuées, et chacun se sert une bonne portion. Mehdi en profite pour se rapprocher de Candice qui ne lui est pas indifférente. Eva observe la scène et ricane en douceur en heurtant légèrement le coude de Vincent pour attirer son attention sur le petit manège qui se déroule sous leurs yeux. Tout le monde rit des blagues de chacun et c’est dans cette ambiance joviale que le tri continue. Pour rappel, Clémence Breteuil n’avait pas beaucoup d’antiquités chez elle, car elle avait décoré son intérieur en mélangeant le moderne et l’ancien avec une finesse incroyable. Eva trouve son diplôme de médecine et décide de l’afficher dans le couloir en son honneur. Candice s’acharne à ouvrir un coffret à bijoux, Margot débarrasse les armoires des vêtements qu’elles renferment, Mehdi s’est installé dans la bibliothèque et refuse qu’un quelconque livre soit jeté tandis que Vincent sort la voiture du garage pour faire de la place. Il finit sa manœuvre lorsqu’il aperçoit une silhouette au loin qui les observe avec insistance. Il fait mine de ne rien avoir vu et se dirige dans la maison où il appelle Eva. La jeune femme descend et lui demande de quoi il s’agit.
-Il y a quelqu’un qui nous espionne.
-Tu crois ?
-Regarde discrètement vers la boite aux lettres à droite. Il y a une personne encapuchonnée portant des lunettes noires qui est là telle une statue et qui ne bouge pas. Son attention est rivée sur nos moindres faits et gestes, j’en suis sûr.
-Qu’est-ce qu’on fait ? On appelle la police ?
-J’ai un drôle de pressentiment Eva.
Tout à coup, la voix de Candice se fait entendre. Elle peste, car le coffret qu’elle essaie d’ouvrir est très difficile et elle souhaite vraiment voir ce qu’il contient. Les quelques secondes d’inattention suffisent pour que la personne disparaisse du champ de vision de nos amoureux.
-Merde, il est parti !
-Attends, je vais voir.
-Mon cher, tu ne crois tout de même pas que je vais te laisser y aller seul ?
-Bon vient avec moi alors !
Arrivés au niveau de la boite aux lettres, il y a des traces de pas qui indiquent que quelqu’un est parti en courant et un peu plus loin, des traces de pneus de voiture. Nos amis ne sont pas des experts en traces, mais une chose est sûre : quelqu’un les surveille. Par curiosité, Eva ouvre et constate que la boîte contient une lettre sans adresse qui n’a qu’un seul mot : « Eva ».
-Là, je commence à avoir peur, Vincent.
-On va l’ouvrir dans la maison où on appelle la police ?
-Je ne sais pas, mais j’ai la trouille qui commence à faire sa place dans mon corps, et ce n’est pas bon signe.
Ils décident de fermer la maison pour aujourd’hui et chacun est ramené à son domicile.
Une fois de retour, Eva va prendre une douche dans sa salle de bain, Vincent dans la sienne et Margot va dans celle d’Ethan. La mère de la jeune femme se sent plutôt bien. Elle se déshabille et se contemple dans le miroir. Des cicatrices ornent le dessus de sa poitrine, signe d’une maltraitance ancienne qui a laissé des stigmates encore plus profonds. Sur son ventre, une balafre en dessous du nombril, indique qu’on en voulait à son ventre. Probablement causé par des parents abusifs et souhaitant que leur fille n’ait jamais d’enfant. En touchant ses marques, les larmes roulent sur ses pommettes creuses, mais elle ressent une certaine libération en observant le lieu où elle se trouve. Dans la chambre, l’odeur d’Ethan si particulière lui rappelle le bien-être qu’elle ressentait d’être dans ses bras. Elle ferme les yeux un instant et se remémore les doux moments qu’elle a vécus avec lui. Son premier baiser sous l’arbre derrière leur collège, la première fois qu’il lui a dit qu’il l’aimait, leur première relation sexuelle et la douceur de son cher et tendre. Tout cela la rend nostalgique de cette période heureuse. Hélas, elle rouvre les yeux et contemple son corps maigre de trente-six ans, lardé de cicatrices, se trouvant plus laide que jamais. Elle secoue la tête et entre sous la douche derrière la paroi en verre. Focalisée sur le bruit apaisant de l’eau lui coulant dessus, elle n’entend pas la personne qui vient de faire irruption dans la pièce. Elle se sent tellement bien qu’elle commence à fredonner la chanson Freedom de George Michael. Les yeux rivés sur le mur, elle se retourne pour prendre le savon quand soudain, elle voit la personne en face d’elle l’observer très attentivement derrière la vitre face à elle. Un hurlement du plus déchirant se fait entendre et Eva, les cheveux encore mouillés et Vincent en caleçon, accourent le plus rapidement possible.
-MAMAN ??
-MARGOT QUE SE PASSE-T-IL ?
Nos deux jeunes s’arrêtent net devant la porte de la salle de bain, le regard à la fois effrayé et interloqué. Le spectacle qui s’offre à eux est déroutant.
-Papa ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?
-Ce que MOI, je fais là ? On en parle de mon ex-femme qui prend la douche dans MA chambre avec MON savon et va se sécher sûrement avec une de MES serviettes ? Et d’après ce que je constate, elle dort également dans MON lit. Il va me falloir une explication et vite !
Une fois les émotions fortes passées, tout le monde se réunit dans la salle à manger autour de la table. Ethan est assis les bras croisés, ne prononçant aucun mot et attendant des explications claires et nettes. Vincent a commandé des pizzas pour que le repas soit prit dans un état d’esprit détendu, même si à première vue, ce n’est pas gagné.
Eva se rapproche de son père, l’embrasse sur la joue et lui murmure qu’elle est très heureuse qu’il soit rentré en bonne santé. Malgré son air colérique, un petit rictus vient fendre le coin droit de sa bouche. Margot est assise en face de lui et l’observe discrètement, mais ne sait pas du tout comment aborder cet homme qu’elle a tant aimé et a abandonné. Le livreur arrive et le repas peut attaquer.
C’est Eva qui commence. Elle lui explique tous les évènements qui se sont déroulés depuis son départ, jusqu’à son héritage. Ethan n’en revient pas et ne trouve pas les mots pour exprimer ce qu’il ressent. D’ailleurs, il est tellement dérouté qu’il ne sait même pas quoi répondre. Vincent vient pour prendre la parole, mais Margot lui coupe l’herbe sous les pieds.
-Ethan, la seule chose qu’il faut que tu comprennes, c’est que ta fille vient d’affronter des péripéties que peu de gamine de son âge auraient pu accomplir. Elle a même réussi à passer son bac. Tu peux être très fier d’elle.
-Mais je le suis. Mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi, Eva, tu ne m’as jamais dit que tu voulais voir ta mère ?
-Je n’en sais rien. Je crois que j’avais enfermé ce désir au fond de ma tête et, au final, la vie m’a indiqué le chemin à suivre.
-Tu parles comme mon père.
-Je crois que papy à une certaine influence sur moi.
-Bon, et maintenant, il faut que je sois indulgent et que j’accepte ta mère sous notre toit, c’est ça ?
-Pour le moment, oui. Il est nécessaire qu’elle retrouve un sens à sa vie. On ne peut pas la laisser toute seule.
Les yeux de la mère d’Eva s’humidifient de cette compassion de la part de sa fille. Jamais elle n’aurait imaginé pareil amour, et hormis Ethan, personne ne lui avait jamais manifesté ce sentiment. Les heures passent. Eva va se coucher accompagné de Vincent.
-Ma chérie ?
-Oui papa ?
-Vous allez dormir ensemble Vincent et toi ?
-En effet. Tu y vois une objection ?
-Non au contraire. J’ai eu largement le temps de réfléchir et je suis heureux que ce soit lui que tu aies choisi.
La jeune femme se jette dans les bras de son père et le remercie pour ces paroles bienveillantes.
Vincent s’approche de son meilleur ami et l’enlace également.
-Merci mon pote, merci de tout cœur. Tu sais, j’en suis vraiment amoureux de ta fille. J’y tiens plus que tout.
-Oui, je le sais. Je m’en suis aperçu et je le vois bien. Soyez heureux surtout.
-Compte sur moi.
Il ne reste plus que Margot seule en compagnie d’Ethan. Elle aide à débarrasser la table, empile les cartons à pizzas et commence à faire la vaisselle. Le père d’Eva s’approche d’elle.
-Tu n’es pas obligé, tu sais.
-J’ai envie de le faire. Et puis, cela fait quelques jours que je suis là et comme notre fille ne me demande rien, j’aide du mieux que je peux.
Ethan affiche un sourire éclatant.
-C’est la première fois en dix-huit ans que je t’entends dire « notre fille ». Tu ne peux pas savoir comme cela fait du bien.
-Ethan vraiment, si ma présence te gêne, je pars dans l’instantané.
-Hors de question ! Eva t’a recueillie avec toute l’affection dont elle peut faire preuve. Je me dois de respecter sa décision. Et puis, ça fait longtemps que je ne suis plus en colère contre toi.
-Merci.
Ethan attrape un torchon et commence à essuyer les assiettes. Il ne lâche pas Margot des yeux, trouvant ce moment irréel. Comme si toutes ces années perdues venaient d’être effacées pour ne laisser que la vie de couple qu’il a toujours tant désirée.
La besogne terminée, notre homme propose du thé à la mère de sa fille, qui accepte. Une fois prêt, ils s’installent dans le salon pour continuer leur conversation. Côte à côte, ils commencent à parler en même temps et se mettent à rire de leur maladresse commune.
Est-ce à cause des mois passés à l’étranger qui donne à Ethan cette envie irrépressible de se rapprocher de son ancienne compagne ? Est-ce dû à la vision de l’amour entre sa fille et son meilleur ami qui influe directement sur sa personne ? Toujours est-il qu’Ethan approche sa main du visage de Margot, lui caresse tendrement la joue, et celle-ci ferme les paupières, sentant une chaleur intense lui monter dans tout le corps. Il avance de quelques centimètres pour être contre elle. Il attrape son visage avec une douceur inégalée, l’embrasse tendrement puis laisse émerger la passion qui le consume. Margot suit le mouvement et laisse progressivement son désir se manifester. Et c’est dans une fusion de cette tentation trop évidente et longtemps absente, qu’ils font l’amour toute la nuit. Trop heureux de se retrouver enfin au bout de ces dix-huit années d’absence.
Chapitre 23
Après leur nuit torride, Ethan et Margot se lèvent sans un bruit et décident d’aller prendre le petit-déjeuner dans une boulangerie se situant à quelques kilomètres de la maison. Elle commande un latte caramel accompagné d’un croissant au beurre, tandis que lui prend un café allongé et une brioche au sucre. Ils s’installent en terrasse et commencent à déguster leurs viennoiseries.
-Ethan, je ne sais pas quoi dire à part te remercier.
-Me remercier de quoi ? D’avoir passé la nuit avec toi ?
-Non enfin je veux dire oui, mais… Oh je ne trouve pas mes mots.
-Alors ne dit rien et savoure ce moment entre nous.
-Oui tu as raison.
Ils continuent de manger et de boire, mais Ethan cogite et cela se voit. Il s’agite sur sa chaise et tourne la tête à droite et à gauche. Puis, il finit par ouvrir la bouche.
-Margot, j’ai été tellement en colère contre toi pendant des années, et pourtant, lorsque je t’ai vu hier soir sous la douche, je n’ai vu que la gamine de dix-sept ans. Belle et talentueuse artiste.
La mère d’Eva baisse les yeux vers sa tasse. Elle donne l’impression qu’elle croule sous le poids de la culpabilité. Le père de sa fille la prend délicatement par le menton avec une telle compassion qu’elle ne peut résister et se laisse faire.
-Pourquoi tu fais ça ?
-Je fais quoi ?
-Tu es si gentil, si généreux. Je ne le mérite pas.
-Écoute-moi attentivement. Si Eva est capable de pardonner, je le peux aussi. Et puis, maintenant que j’ai toutes les informations en main, je vois les choses autrement. C’est pour nous protéger que tu nous as laissé. C’est tout ! J’ai enfin eu la réponse que j’attendais depuis toutes ces années. Il n’y a pas plus à dire et cela me suffit. Comme je te le dis, Eva a pris un risque énorme pour te rencontrer et toi aussi d’ailleurs. Tu es venue chez moi, Vincent a cru que tu allais l’assassiner.
-Bon sang oui ! Celui-là, c’est un phénomène ! Vu sa carrure, une gifle et j’aurais décollé
-C’est un jeune homme remarquable.
-Eva m’a raconté comment vous vous étiez rencontré. C’est admirable.
-Oui, je passe ma vie à sauver les gens.
Ils rient de bon cœur tous les deux et finissent par aborder le sujet qui flotte autour d’eux et qui est un passage obligatoire pour éclaircir leur relation.
-Ethan, je voudrais savoir. Quelle sera la suite ?
-Quelle suite ?
-La nôtre. Que va-t-on faire ? Même si cette nuit était magique, je dois dire que tu as fait de très grands progrès depuis toutes ces années.
-Je me suis entrainé.
-Tu n’as jamais refait ta vie ?
-Jamais. J’ai eu des aventures, je n’ai pas fait vœux d’abstinente non plus, il ne faut pas rêver, mais après toi, j’ai focalisé tellement mon attention sur Eva, que le reste n’avait plus d’importance. Donc, il y a des femmes de passage et cela s’arrête là. Puis toi hier soir. Et en ce qui te concerne ?
-J’ai fait une grosse dépression après vous avoir laissé. Puis, lorsque je suis revenue, mon père m’attendait avec celui que j’allais épouser quelque temps plus tard. J’ai fini par divorcer, car c’était un être abject. Le portrait craché de mon père en plus jeune. Il voulait un enfant, mais je prenais la pilule en cachette. Et puis, je trouvais injuste d’avoir un bébé en sachant que j’en avais déjà abandonné un. Bref, la joie et l’amour n’ont pas fait partie de mon existence pendant très longtemps. J’ai travaillé en tant que comptable pour l’entreprise de mon père durant des années qui m’ont semblé être des siècles. Puis je t’ai vu à l’hôpital et ça m’a bouleversé. Ça a réveillé trop de choses en moi, ensuite j’ai croisé Eva au distributeur et ainsi de suite jusqu’à ce que je la voie à l’enterrement en compagnie de Clémence. Je crois qu’au fond de moi, j’étais soulagée de savoir qu’elle cherchait la vérité. Elle a le courage que je n’ai jamais eu et c’est une très bonne chose. Ethan, pour être honnête, je ne suis pas prête à me mettre en couple. Désolée de te l’annoncer tel quel.
-Non ne t’en fais pas. Je ne le souhaite pas non plus. J’ai trop de projets en tête, et je vais aider ma fille à mettre de l’ordre dans ses affaires d’héritage, parce que mine de rien, c’est assez conséquent et c’est beaucoup pour une jeune femme de son âge.
-Je suis d’accord.
-Et puis je pense qu’elle va avoir besoin de toi.
-Je ne crois pas. C’est plutôt moi qui ai besoin d’elle. Donc peut-on considérer que nous sommes amis ?
-Amis et surtout parents d’une merveilleuse jeune femme.
-C’est encore mieux.
Ils terminent leur petit-déjeuner et rejoignent Vincent et Eva. Les deux jeunes gens se sont levés et ne se posent pas trop de questions quant à la tournure de la soirée de la veille, remarquant quelques traces de deux corps ayant passé un moment des plus agréables et torrides. La jeune femme n’en revient pas, mais au final, si cela convient à ses parents, elle n’a pas à s’en mêler. Ils retournent, plus tard, tous les quatre à la maison de Clémence, qui est désormais celle d’Eva. Le tri est bientôt fini et Eva doit prendre une décision sur le futur de cette demeure.Dans la cuisine, ils font une pause autour d’un café.
-Ma chérie, as-tu une idée de ce que tu veux faire de cette baraque ?
-Et bien, j’y ai réfléchi et comme tu voulais créer un centre de formation, je me demandais si l’endroit te plairait ?
-Quoi ici ?
-Oui ici. C’est assez grand, le garage est énorme et peut être aménagé. Il y a tout l’espace qu’il faut.
-Ce n’est pas bête. Mais je ne veux pas. C’est ton héritage, Eva, pas le mien.
-Je t’en fais cadeau de cette maison. Et puis, il y a largement de la place pour loger beaucoup de monde. Même des étudiants, pourquoi pas ?
-C’est une idée séduisante, je reconnais. Et toi, où veux-tu aller ?
-Avec Vincent, on y pense et on aimerait vivre ensemble.
-Ça je m’en serais douté. Mais vous aimeriez habiter où ?
-Ethan, je viens d’obtenir mon diplôme d’agent de tourisme et l’agence où j’ai effectué mon stage est prête à prendre Eva en alternance. L’école où elle a fait sa demande de BTS tourisme a accepté sa demande d’inscription. Donc, comme ça, elle peut préparer son diplôme pour ensuite passer celui d’hôtesse de l’air.
-Euh cela vous aurez écorché la bouche de me mettre au courant ?
-Pardon papa, mais je l’ai appris jeudi. Avec tout ce qui s’est passé, je n’ai pas eu le temps de te le dire.
-Bon, je passe pour cette fois. Mais évitez à l’avenir de me tenir trop à l’écart, s’il vous plait !
Une fois la conversation terminée, les affaires qu’Eva ne garde pas sont chargées dans un camion qu’elle a loué, au profit des bonnes œuvres. Ethan et Vincent retournent à l’intérieur, ferment tous les volets, laissant Margot et sa fille discuter.
-Je crois que c’est bon, on va pouvoir rentrer à la maison. Nous avons bien travaillé.
-Dis-moi Eva, tu n’as pas envie de dormir ici cette nuit ?
-Je n’en ai pas très envie, maman. Je ne m’y sens pas encore très à l’aise. Tu veux rester toi ?
-Certainement pas ! Je n’aime pas être seule dans une immense baraque.
-Papa pourrait rester avec toi ?
-Mais…euh… Mais non, pourquoi le ferait-il ?
-Je ne sais pas ? Une petite idée en rapport à ce que vous avez fait cette nuit, par exemple.
La jeune femme rit de ses propres réflexions avec un sourire malicieux au coin de la bouche. Sa mère est un peu mal à l’aise, mais au final, elle rejoint sa fille dans une jolie complicité, comprenant qu’il fallait qu’elle lâche prise sur ces années de maltraitance de la part de ses parents. C’est avec enthousiasme qu’elle se met à charrier également Eva à propos de Vincent et de sa belle démarche qui met en valeur le fessier musclé de celui-ci.
-Dis donc, maman ? On se calme ! Il s’agit de mon petit copain chipie que tu es !
-Tu sais ma chérie, ça me fait un bien assez étrange d’être là avec toi en train d’échanger ces quelques paroles et plaisanteries.
-Pour moi, c’est magique. Je suis tellement heureuse que tu sois là avec moi. Et en vérité, je voudrais te dire une chose qui à mes yeux est très importante et que j’ai toujours souhaité prononcer un jour : je t’aime, maman.
Margot s’effondre en larmes de bonheur et enlace sa fille. Pas une simple accolade chaleureuse. Non, c’est bien plus fort que cela, elle
l’attrape de l’entièreté de ses bras et la serre très fort, comme si la jeune femme s’échappait et qu’elle essayait de l’en empêcher.
Le moment est beau, poétique, dans cette allée fleurie, le soleil déclinant sa lumière et la chaleur se dissipant lentement, laissant place à une moiteur étouffante. Les deux femmes, prises dans leur étreinte, ne font pas attention à la fourgonnette qui passe derrière elles et se gare précipitamment. La porte latérale gauche s’ouvre brusquement et une personne, portant une cagoule, sort et abat Margot de sang-froid, alors qu’elle tient encore sa fille. Elle s’écroule sous les yeux épouvantés d’Eva qui la tient encore. Ethan et Vincent, qui ont entendu le coup de feu, sortent de la maison et se précipitent sur les deux femmes. Le tireur voit les deux hommes arriver sur lui et décide d’attraper la lycéenne. Elle hurle, mais il l’assomme et la jette dans le véhicule. Le conducteur démarre en trombe, laissant un père complètement effondré et un petit ami dévoré par la rage et la haine qu’on lui ait enlevé l’amour de sa vie.
Ethan prend le corps de la mère de sa fille et s’aperçoit qu’elle n’est pas morte, mais il faut faire vite. Vincent appelle les pompiers et la police. Ils arrivent quelques minutes plus tard et prennent en charge Margot qui est à un fil de partir dans l’autre monde. Elle est installée sur une civière pour être transportée d’urgence à l’hôpital, et Ethan s’approche d’elle, lui prend la main et lui dit de s’accrocher, car elle vient tout juste de les retrouver et qu’elle a encore beaucoup de choses à vivre, qu’il n’est pas trop tard, qu’il sera là une fois de plus pour l’aider. Toutes sirènes hurlantes, le camion s’en va, emportant une femme de trente-six ans bien affaiblie par une balle l’ayant touchée entre les omoplates.
Les deux hommes n’ont pas le temps de souffler qu’ils sont interrogés par la police pour la tentative d’assassinat envers Margot et l’enlèvement d’Eva. Vincent est paniqué et tout en sueur de l’émotion. Ethan est plus calme, même si intérieurement, son cœur est déchiré en
un million de morceaux. Ils se rendent au poste pour compléter leurs dépositions et sont relâchés au bout de quelques heures.
-J’ai un très mauvais pressentiment, Ethan.
-Moi aussi Vincent, mais soyons méthodiques et réfléchis. Cette fourgonnette est apparue comme ça par enchantement ? Non, je suis sûr que la personne responsable est celle qui nous espionne depuis quelque temps.
-Je le crois aussi. Mais que fait-on ? La police va s’en charger, mais j’ai peur que ce soit trop long.
-Surtout que mon instinct me dit que les ravisseurs ne sont pas bien loin. J’en mettrai ma main au feu que ça a un lien avec l’héritage qu’a laissé Clémence.
-Tu as une idée ?
-Retournons chez Clémence, il y a quelque chose qui me tracasse et je voudrais vérifier ça.
Les deux hommes retournent chez la grand-tante. Ils sortent du véhicule et regardent les traces de pneus. Il y en a beaucoup, mais celles de la camionnette sont plus marquées. Ils suivent ces marques jusqu’au bout du chemin de terre et s’aperçoivent qu’elles tournent sur la gauche. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est un début. Ils reprennent la route sans convictions, mais un élément permet aux deux hommes de déduire la destination du véhicule des ravisseurs.
-Vincent ? Tu as toujours le numéro d’Anna ?
-Oui il me semble. Je l’ai bloqué, mais je l’ai.
-Appelle-la ! Et demande-lui où habite sa tante Catherine, s’il te plaît.
-C’est une demande curieuse, mais je vais essayer de ne pas avoir l’air débile en demandant cela.
-Tu sais, je la pense assez naïve pour te répondre. Et puis tu trouveras bien une parade pour la convaincre, même si c’est un mensonge.
-D’accord, je vais faire de mon mieux.
-Vincent, on va la retrouver, je te jure qu’on va la retrouver. Je le jure devant l’univers tout entier. Je vais retrouver ma fille.
Le jeune homme appelle son ancienne petite amie qui lui répond sans hésitation.
-Salut toi. Je ne m’attendais pas à un appel de toi. Qu’est-ce que tu veux ?
-Je voulais savoir où habitait ta tante.
-Ma tante ? Mais pourquoi veux-tu savoir cela ?
-J’ai reçu un colis au nom de Catherine Breteuil, et je ne sais pas pour quelle raison, mais je voudrais lui livrer chez elle, plutôt que de le faire renvoyer par la poste.
-Ah, mais c’est gentil de ta part. Par contre, pourquoi le facteur s’est trompé ?
-Je n’en sais rien pour être honnête. Mais j’ai vraiment besoin de savoir s’il te plaît.
-Il y a des rumeurs au lycée et je voudrais savoir si elles sont fondées.
Vincent appuie son téléphone sur sa poitrine et soupire de désespoir, car il se doute de ce qu’elle va lui demander. Mais il regarde Ethan qui lui adresse un rapide clin d’œil, ce qui lui redonne de la force pour aller au bout de sa tromperie.
-Je t’écoute, dis-moi ce que tu as entendu.
-C’est vrai que tu sors avec Eva Calendal ?
-Non !
-Non, tu ne sors pas avec elle ou tu ne veux pas me le dire ?
-Non, je ne sors pas avec elle. C’est la fille de mon meilleur ami et puis elle est trop jeune. Je ne sors pas avec les gamines. Je préfère les femmes plus âgées et plus matures comme toi.
-Je vois. Mais pourquoi avoir mis un terme à notre relation alors ?
-Je ne savais plus où j’en étais dans ma vie. Mais maintenant que j’ai terminé ma formation, je vais être plus disponible et on pourra se voir pour un dîner en tête-à-tête, qu’en dis-tu ?
-Ce serait formidable, oui, oui, oui.
-On fixera une date plus tard, là, je suis en voiture, je n’ai rien pour noter. Mais à présent, pourrais-tu me donner l’adresse de ta tante, s’il te plait ?
-Tout de suite. C’est le domaine des azalées, route des puits perdus.
-Merci infiniment.
-Ce n’est pas loin de chez mon oncle Charles.
-Il habite où ton oncle Charles ?
-A environ cinq cents mètres au numéro 34. C’est le domaine des roses.
-Je te remercie encore.
-Et puis il y a chez mes parents, mais eux habitent beaucoup plus loin…
Vincent fait mine de ne plus avoir de réseau et raccroche. La conversation factice le désole, mais il a des informations qui peuvent être utiles pour la suite. Ils arrivent devant le chemin menant chez Catherine Breteuil. Ils se garent sur le bas-côté et observent attentivement les traces de pneumatiques. Sur le goudron, il n’y a rien, bien évidemment, mais sur le chemin de terre, il y a des traces différentes.
-Ethan ? Ça ne correspond pas à celles de chez Clémence.
-Pourtant j’en étais certain.
-Allons jusque chez tonton Charles, on ne sait jamais ?
-De toute façon, on n’a pas trop le choix.
Quelques mètres plus loin, l’entrée de chez Charles Breteuil est en bitume et non en terre et pierres. Les deux hommes se regardent et décident en silence de continuer jusqu’à la demeure. Ils arpentent lentement l’allée entourée de différents rosiers, d’où le nom de domaine probablement. Au loin, un manoir assez conséquent émerge à la vue d’Ethan et de Vincent. Arrivés vers l’entrée, ils constatent qu’il y a une Mercedes coupée rouge, un 4X4 de la même marque flambant neuf et un pick-up qui ressemble au véhicule de jardinier, au vu des instruments qu’il contient. Ils se garent, sortent et commencent à jeter un œil aux alentours. Ethan aperçoit bel et bien le jardinier en train de tondre une partie du terrain avec une tondeuse autoportée et casque anti-bruit sur les oreilles. Il se place à quelques mètres devant et lui fait signe de s’arrêter. Le pépiniériste s’exécute et demande gentiment les raisons de cet arrêt soudain.
-Je suis à la recherche de monsieur Charles Breteuil. L’auriez-vous vu par hasard ?
-Oui, il est dans sa maison. Mais je crois qu’il reçoit du monde. Il vous attend aussi ? Vous n’avez pas sonné ? Il ne vous a pas ouvert ?
Ethan s’agace d’entendre trop de questions en même temps. Mais reste tout de même serein, sinon il risque de perdre de précieuses informations au cas où.
-Vous travaillez ici depuis quand ?
-Depuis cinq ans maintenant.
-C’est bien pour vous.
-Oui, c’est un très bon client.
-C’est merveilleux. Mais revenons-en à nos moutons, voulez-vous ? Savez-vous qui est présent aujourd’hui ?
-Attendez, je crois que la voiture rouge, c’est celle de sa belle-soeur.
-Catherine ?
-Oui. Et puis tout à l’heure, une camionnette blanche s’est garée derrière la maison, côté entrée du personnel. C’est sûrement le traiteur.
-Oui, vous avez surement raison. Merci pour tout ça, je vais m’annoncer. Vous devriez remettre votre casque, la surdité, c’est un fléau de nos jours.
-Merci, vous avez raison.
Tandis que le jardinier se remet au travail. Ethan se dirige vers Vincent et lui donne les informations que lui a données l’homme.
-Une fourgonnette blanche ? On va faire le tour immédiatement. Il faut qu’on la retrouve.
-Oui, on y va. Mais attention ! Pas de précipitation et pas de conclusions hâtives.
-Ne t’inquiète pas. Je te fais confiance.
Les deux hommes font le tour à pied du manoir et comme ils s’en doutaient, c’est bien la même fourgonnette. Ils regardent les pneus et les traces sont similaires. Ils retournent discrètement à leur voiture et appellent la police pour leur signaler la présence probable d’Eva dans cette maison. L’agent leur dit de les laisser faire leur boulot et qu’ils vont envoyer quelqu’un sur place. Mais qu’ils ne doivent pas entraver l’enquête en cours. Ethan raccroche et souffle de toute la colère qui l’anime.
-Qu’est-ce qu’on fait ?
-On va aller se garer plus loin et revenir à pied, mais discrètement. Je ne vais pas attendre que quelqu’un se décide à faire quelque chose. Je vais agir moi-même. Si tu as peur, je ne t’en voudrais pas. Tu peux partir si tu veux, il n’est pas trop tard.
-Mais ça ne va pas non ? Je suis là, j’y reste ! Eva est l’amour de ma vie, Ethan. Et quand j’imagine mon futur, c’est elle que je vois et personne d’autre. Donc, nous allons aller la sauver.
-J’ai vraiment de la chance qu’elle t’ait choisi. Je suis un homme comblé et fier.
Les deux hommes se regardent et agissent. Comme convenu, ils cachent plus loin leur auto et retournent sur leurs pas à pied.
Arrivés pratiquement devant la maison, ils voient la porte d’entrée s’ouvrir. Ils se précipitent derrière un grand arbre. Assez grand pour ne pas être vu. Ethan et Vincent regardent tout de même discrètement pour être sûrs de ne pas faire une erreur et voient Catherine Breteuil sortir, récupérer un objet dans son coupé Mercedes et retourner dans la demeure. Nos deux compères se regardent et se précipitent vers les fenêtres pour essayer de voir quelque chose. La salle à manger ne donne rien, tout comme le salon, car les rideaux ont été tirés. Ils espèrent seulement que s’il y a Eva à l’intérieur, elle ne soit pas à l’étage, parce qu’ils n’auraient aucune preuve de sa présence. Ethan en est certain : sa fille est encore en vie, il le sent au fond de lui. Il ne faut pas longtemps pour qu’il s’aperçoive qu’Eva est attachée au milieu de la cuisine avec un bâillon sur la bouche. Vincent bouillonne, mais Ethan pose sa main sur le bras de son ami et lui dit qu’il va rappeler la police. Au moins, ils seront prévenus de la situation actuelle. Ils continuent leur observation lorsque apparaît dans la pièce Catherine Breteuil, se dirigeant vers la jeune femme. Elle lui retire son bâillon et commence à lui poser ce qui semble être des questions. La jeune femme ne pleure pas et parait déterminée. Mais pour combien de temps ? Car tout le monde le sait, cette femme peut perdre les pédales à tout moment. Et Dieu sait la haine qu’elle a envers sa petite fille. Il est surprenant qu’elle ne soit pas encore décédée. Cela veut dire qu’elle cherche à obtenir une information que seulement Eva détient.
Chapitre 24
-Alors petite garce ! Maintenant que nous sommes là, nous avons des choses à nous dire toutes les deux. J’ai quelques questions à te poser et tu as intérêt à y répondre, sinon ça va mal se terminer.
Eva a des poignards dans les yeux et fixe sans relâche le visage gonflé par les injections de botox de Catherine Breteuil. Elle commence à lui tourner autour comme un prédateur autour d’une proie, et même en ayant tout le courage du monde, la jeune femme a peur pour sa vie. Elle repense à son père, à son Vincent bien-aimé, à Candice, à sa mère qu’elle vient de rencontrer. Elle se résout à ne pas laisser sa frayeur prendre le dessus et décide de rester la plus forte possible, sinon sa vie va se terminer là, ligotée à cette chaise.
-Que me voulez-vous ?
-J’ai besoin de quelque chose qui m’est précieux, et je crois que tu es en sa possession.
-Va falloir être plus claire, grand-mère !
-CESSE DE M’APPELER COMME ÇA !!!!!
-Pourquoi ? C’est bien ce que vous êtes, non ?
-NON ! JAMAIS DE LA VIE ! TU N’ES RIEN POUR MOI, JUSTE UN PARASITE QUI EST EN TRAVERS DE MON CHEMIN !
-Vous savez quoi ? Vu que vous avez l’intention de me tuer, c’est moi qui vais vous poser des questions. Ou alors jouons à un jeu !
-Arrête tes conneries tout de suite !
-Je suis sérieuse. Vous voulez que je coopère ? Vous répondez à une de mes questions et après, c’est à moi de vous répondre. Marché conclu ?
-Tu me prends pour qui ? Tu réponds et si cela ne me convient pas, je te fais des entailles sur le corps pour que tu te vides de ton sang petit à petit.
-Oui, mais dans ce cas, si je ne dis rien, je vais mourir sans que vous ailliez votre réponse.
Eva a touché un point sensible et constate bien que sans elle, Catherine Breteuil devra renoncer à ce qu’elle recherche. Mais en vérité, que veut-elle ? La mégère réfléchit et se résout à suivre la voie que lui indique Eva.
-En y repensant, ton jeu n’est pas une si mauvaise idée que ça. Mais si je constate que tu me prends pour une imbécile, ma lame commencera à faire de jolis dégâts sur ta peau délicate.
-Très bien, allons-y ! Jouons !
-Tout d’abord, comment cela se fait que l’autre courge t’ait transmis tout son patrimoine ?
-Vous parlez de Clémence, j’imagine ? Peut-être parce que je suis une gentille fille et que vous et votre famille n’êtes que de vils salauds.
Catherine Breteuil a les yeux ensanglantés par la haine qu’elle voue à la jeune femme. Mais elle essaie de se contrôler du mieux qu’elle peut avec difficultés.
-Nous sommes des opportunistes, c’est différent. Mais je vois que tu as du sang Breteuil dans les veines puisque tu as obtenu la totalité de l’héritage de Clémence.
-Oh, vous reconnaissez donc mon existence en tant que membre de votre famille ? C’est gentil, je suis touchée.
-Ton faux air cynique est vraiment pathétique.
-C’est vous qui l’êtes ! Mais à mon tour de poser une question. Pourquoi détestez-vous tant votre fille ? Ce n’est pas sa faute si son jumeau est mort.
La mère de Margot tressaille à cette phrase, mais décide tout de même de répondre.
-Le garçon était plus important que le reste ! Il transmet le nom de famille et une fille ne vous rappelle que les échecs de votre propre vie.
-Donc pour vous, une fille, ça ne sert à rien ?
-Exactement !
-Vous vivez encore deux siècles en arrière.
-Tais-toi ! Tu ne sais rien du tout, alors ferme-la !
-Et bien puisque je suis si ignorante de toute votre histoire, vous n’avez qu’à me la raconter. De toute façon, votre intention, c’est de me supprimer, alors autant que je parte en vous ayant permis de vider votre sac.
Catherine réfléchit un instant en levant les yeux au plafond, puis s’approche d’Eva en posant ses mains brusquement de chaque côté de la chaise sur laquelle elle est attachée. Elle colle son ignoble front contre celui de la jeune femme, lui souffle dessus et se met à rire. Un rire atroce et diabolique. Même la lycéenne en a la chair de poule.
-Je vais accéder à ta requête, petite merdeuse, ça risque d’être amusant. Et puis peut-être que ta langue va se délier.
-Je vous écoute.
-Très bien, mais avant…
Elle envoie un revers de sa main droite sur la joue d’Eva qui se met à rougir instantanément en lui laissant la marque de tous ses doigts. Au même moment, elle lui fait une incision nette sur la cuisse.
La jeune femme hurle de douleur, ce qui ne manque pas d’affoler Ethan et Vincent derrière leur fenêtre. Mais le père de la jeune femme sent que s’il se manifeste, elle sera tuée immédiatement. Avec une rage contenue, les deux hommes restent là à contempler cet affreux spectacle en cherchant une solution efficace pour aller la sauver en attendant la police qui tarde à venir.
-Je vais commencer par le début pour que tu comprennes le pourquoi du comment. La famille Breteuil est issue d’une longue lignée de nobles. Les hommes y sont forts, puissants et manient l’argent avec beaucoup de facilité. Les affaires commerciales sont leur domaine de prédilection et c’est comme ça que la fortune de cette famille n’a fait que croitre durant trois siècles. Comme tu étais présente lors de l’enterrement d’Edouard, tu as pu constater l’immense caveau et les tombes alentours, n’est-ce pas ?
-Oui tout à fait. On dirait que le cimetière vous appartient.
-Tu n’as pas tort, mais ce n’est pas le cas. Nous avons même un grand-oncle qui était à bord du Titanic et qui a réussi à s’en sortir. Un sacré exploit, tu ne crois pas ?
-Il a probablement soudoyé un officier pour grimper dans un canot de sauvetage à la place d’une femme ou d’un enfant.
Catherine s’approche et entaille l’autre cuisse d’Eva. Le sang commence à tacher le jean de la jeune femme qui, cette fois-ci, retient son cri.
-Je t’interdis de critiquer le moindre geste de mes ancêtres, tu as compris ? Un homme tel que lui n’avait que faire de ces gens sans le sou. Et il a eu raison !
Eva trouve que cette femme est une des pires saloperies que l’on puisse trouver à des kilomètres à la ronde. Néanmoins, elle garde à l’esprit qu’elle peut l’égorger à tout moment et prend sur elle de ne plus faire de remarques déplacées.
-Je suis désolée si je vous ai offensé.
-Tu deviens enfin raisonnable.
-Et votre mari dans tout ça ?
-Il était aussi dur qu’impitoyable, tout comme son propre père : Paul Breteuil.
-Et vous ? Votre lignée ?
-Mon nom complet est Catherine Elizabeth Louise Du Verger. J’arrive également d’une belle lignée. Pas aussi puissante que les Breteuil, mais assez pour être digne d’en épouser un.
-Par curiosité, vous aviez un écart d’âge avec Edouard ?
-Oui douze ans. Cette année, il a fêté tristement ses 80 ans et moi mes 68.
-C’était un mariage d’amour ?
-L’amour n’est rien lorsqu’il s’agit d’argent.
La jeune femme est horrifiée par ce discours pitoyable. Toutes les valeurs que son père lui a transmises n’ont rien à voir avec les convictions de cette créature. Elle comprend de plus en plus le mal-être que devait éprouver sa mère. En y repensant, elle se souvient soudainement qu’elle est probablement morte dans ses bras. Ce qui lui arrache les larmes, alors elle baisse la tête en espérant que l’autre pimbêche de la remarque pas.
-Bon assez discuté et assez de questions. Passons aux choses sérieuses. Figure-toi que cette chère Clémence était en possession d’un dossier très important. Et comme tu as hérité de tout ce qu’elle possède, et que tu as trié tout ce qui lui appartenait, je voudrais savoir si tu as trouvé un dossier s’appelant Fleurette ?
-Fleurette ?
-Oui. Tu as bien dû mettre la main dessus ou un de tes chers amis ? Ou même ton cher petit papa adoré ?
Eva se creuse la tête tout en essayant de ne pas céder à la panique en voyant son sang s’étaler de plus en plus sur ses jambes. Ce nom ne lui dit rien.
-Aller un petit effort jeune fille !
-Franchement Catherine, vous me posez une colle. Sincèrement, ce nom ne me dit absolument rien. Et pourtant j’en ai des papiers en main, mais celui-là non. Que contenait-il ? Peut-être l’ai-je eu sous un autre nom ?
-Je n’ai pas très envie de te le dire, mais tu marques un point. Ce dossier contient des informations capitales sur le patrimoine des entreprises appartenant à mon mari. Si je ne les obtiens pas avant le mois de novembre, tout sera perdu pour moi. Et je n’aurais pas un centime de la vente de l’entreprise.
-Pourquoi la vente ? Vous ne pouvez pas nommer un successeur ?
-Il y en a un ou plutôt une, mais il est hors de question que ce soit elle qui hérite de la fortune de son père.
-Vous parlez de Margot ?
-Oui et qui dit Margot dit toi, puisque tu es sa fille et que cette idiote a décidé de se rapprocher de toi. D’ailleurs, c’est pour ça que nous avons fait éliminer le problème numéro un.
-C’est vous qui avez ordonné d’assassiner votre unique enfant ?
-Non, j’ai fait tuer un boulet inutile, c’est différent. Enfin, pas si inutile que ça, puisque c’est elle qui gérait l’administratif des entrepr…
Elle s’arrête net sur ce qu’elle vient de prononcer et prend soudainement conscience que c’est sa fille qui était surement en possession de ces fameux documents. La question est : qu’en a-t-elle fait ?
-Mais quelle conne suis-je ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? C’est sûrement cette idiote qui savait où ils étaient. Charles ? Tu peux venir, s’il te plaît ?
-Charles ? Votre beau-frère ?
-Oui.
Un homme assez charmant pour son âge entre dans la pièce. Contrairement à la dernière fois où elle l’avait vu, c’est-à-dire chez le notaire, il ne ressemblait pas au monsieur malade, fraîchement opéré et introverti. Il semble sûr de lui, en forme et ne semble ni soufrant ni malheureux. La personne qui vient de faire son apparition est la même, en amélioré.
-Alors elle a parlé ?
-Non, mais je viens de me rendre compte que c’est Margot qui devait les avoir.
-Tu as fouillé son bureau et celui d’Edouard ?
-Oui, mais ça n’a rien donné.
-Attendez, vous allez très bien, Charles !
-Bien sûr ! T’attendais-tu à voir le pauvre Charles que tout le monde plaint sans arrêt ? Sache, jeune fille, que celui-là n’existe en réalité pas du tout.
-Qu’est-ce que cela veut dire ?
-Mon frère a toujours tout eu et moi rien. Tu comprends, je n’étais que le second, donc tout pour l’aîné. Mais j’étais plus intelligent et ça a joué en ma faveur. Grâce à ce rôle de gentil Charles qui ne ferait pas de mal à une mouche, j’ai pu obtenir pas mal de petites compensations financières. Et je m’en suis toujours sorti. Margot, qui gérait les affaires de son père, a toujours pensé que j’étais l’escroc de service, mais n’a jamais pu le prouver. Sauf avec le fameux dossier que nous cherchons désespérément. Après la mort d’Édouard, nous avons six mois pour mettre la main sur ces documents et faire valoir nos droits en tant que successeurs. Sinon, tout sera perdu et l’entreprise ira à son héritière légitime : Margot. Mais, comme elle vient d’être abattue, c’est à toi que revient cet héritage. Et ça, il en est hors de question. Tu viens déjà de récupérer une partie de mes biens, tu ne vas pas en plus prendre tout le reste, sale petite pute !
-Vous savez que je ne suis au courant de rien de tout ça ! Et ma mère ne m’en a jamais parlé. Elle voulait juste tourner la page et enfin vivre une vie paisible. Cet argent ? Gardez-le, je n’en veux pas ! Et puis vous n’avez aucun état d’âme ? Votre sœur Clémence avait beaucoup d’affection pour vous. C’est à croire qu’elle ne vous connaissait pas.
-Tu as raison, elle ne me connaissait pas. Elle était assez naïve pour croire que j’étais un amour de grand frère, alors que c’est moi qui ai assassiné son fils.
-QUOI ? C’est vous ? Mais pourquoi ?
-Un gamin qui a surpris une petite conversation entre moi et un associé gênant.
-Juste pour une conversation ?
-C’était plus une négociation musclée et pour finir ce cher Antoine nous a quitté subitement.
-Vous l’avez assassiné aussi ?
-Oui, une balle entre les deux yeux. Et comme nous étions sur mon domaine de chasse, il était facile de trouver un coin pour l’enterrer. Malheureusement, mon neveu a eu la brillante idée de venir jouer au même endroit ce jour-là. Il a tout vu et il a fallu trouver une solution. Mon frère n’était pas d’accord mais je ne lui a pas laissé l’occasion d’en dire plus. Le gosse est parti en courant et je l’ai abattu direct. Je l’ai eu du premier coup.
Eva à envie de vomir. Sa pauvre grand-tante qui a toujours pensé que c’était Edouard le coupable alors qu’il s’agissait de son autre frère qu’elle aimait tant, c’est abominable.
-Pourquoi avoir fait porter le chapeau à Edouard ?
-Parce que c’était son fusil voyons, je n’allais pas prendre le mien. Mais comme j’avais des amis très bien placés, l’affaire a été rapidement classée sans suite. Et nous avons continué nos petites affaires bien tranquillement à l’abri. Et moi, toujours dans mon rôle de petit frère lésé, bien sûr.
-Et votre femme ?
-Elle ? Je ne l’aimais pas. D’ailleurs, notre mariage n’était qu’une couverture parce que sa famille était riche et que c’était là une belle occasion d’accroître ma fortune, c’est tout. Nous n’avons jamais eu d’enfant parce que je refusais de coucher avec elle tout simplement.
Du coup, des rumeurs comme quoi je serais homosexuel ont commencé à courir à mon sujet, ce qui a été une opportunité supplémentaire pour éviter d’éveiller les soupçons. Une réussite totale, n’est-ce pas mon amour ?
Charles se tourne vers Catherine qui a des yeux de biche en le regardant. Il s’approche et l’embrasse sur la bouche puis dans le cou, lui faisant émettre un petit rire d’excitation qui donne la nausée à Eva. Tout se met en place dans sa tête et le résultat est qu’elle a honte de partager la moitié du sang de cette famille de traîtres et d’assassins. Cependant, elle se remet à penser à sa mère et à son triste sort. Puis, dans un éclair de génie, elle se remémore la fois où Margot s’est rendue chez elle pour lui donner une enveloppe. Incroyable, se dit-elle, ce doit être les documents qu’ils cherchent. La fameuse enveloppe qu’elle n’a jamais ouverte et qui jonche nonchalamment son bureau. Ce doit être ça qu’elle contient. Il ne faut pas qu’ils mettent la main dessus. Ces fumiers en ont assez fait. Et pendant qu’ils se font des embrassades assez gênantes, Eva essaie d’échafauder un plan pour essayer de se détacher de ses liens. Même si l’espoir est infime. Elle tire sur les liens qui sont très serrés, mais ne parvient pas à faire bouger ses mains d’un seul centimètre. L’espoir diminue, quand soudain elle aperçoit quelque chose à travers la vitre d’une fenêtre : son père. Un homme débarque dans la pièce, il s’agit d’un homme de main de son oncle.
-Monsieur ! On vient de trouver un véhicule dans le terrain.
-C’est peut-être le jardinier ?
-Non, il a un pick-up. Celle-ci est une berline grise.
-Bon, prenez plusieurs gardes et faites le tour de la propriété. Je dois savoir qui c’est ! Exécution !
-Bien Monsieur Breteuil.
-Catherine, tu as bientôt fini ?
-Je suis coincé. Je n’arrive pas à savoir si elle ment ou pas. En revanche, je suis quasi certaine que c’est Margot qui avait les documents.
-Mais chère grand-mère, pourquoi les chercher chez votre belle-sœur ?
-Parce qu’elle avait des parts dans cette société et avait donc sa propre copie.
-Mais les autres ne les ont pas ?
-En fait, nous ne les retrouvons pas. Édouard était en possession des siens, de ceux de Charles et de Jeanne. Seule Clémence avait son dossier propre. Et maintenant que j’y pense, Margot a dû tous les cacher.
-Peut-être qu’elle les a fait disparaître ?
-Impossible, puisque c’est elle qui était l’héritière principale. Jamais elle n’aurait renoncé à autant d’argent.
-Permettez-moi d’en douter.
-Non, on ne peut pas renoncer à autant de pognon dans sa vie. Impossible !
-Je ne suis pas d’accord avec vous. Je sens que ma mère était quelqu’un de bon au fond d’elle. Mais l’avez détruite. Et à présent, je dois accepter sa mort.
Eva craque et commence à pleurer. Mais c’est de courte durée, car Charles l’attrape par le col de son t-shirt et la soulève avec une force surhumaine.
-Tu crois tout savoir, hein ? Tu n’as pas idée de la mort qui t’attend. Juste que j’aimerais sincèrement savoir où sont ces putains de documents. Alors, nous allons nous rendre gentiment chez Clémence et tu vas nous aider à les chercher, car je suis sûr que vous n’avez pas encore tout exploré, le grenier et la pièce cachée sous la dalle du garage.
-Un grenier ? Une pièce cachée ? Je confirme, je ne savais rien de tout cela.
-Nous allons nous y rendre tranquillement sans éveiller la moindre suspicion du voisinage. Les flics ont dû y aller, mais sans traces ni preuve, ça va être difficile de nous retrouver. Alors, je vais faire préparer le véhicule et direction chez ma sœur. Toi, tu restes là bien sage, le temps que nous revenions.
Charles repose Eva sur le sol et s’en va suivi de Catherine, laissant la jeune femme seule. Elle écoute très attentivement les pas de chacun et n’entend plus rien au fur et à mesure. Elle prend une grande inspiration et souffle enfin un bref moment. Elle jette un œil vers la fenêtre où elle avait aperçu son père, mais plus rien. Aurait-elle eu une hallucination ? Son esprit lui aurait-il joué des tours ? Elle perd confiance et les larmes commencent à humidifier ses yeux, lorsqu’elle sent quelque chose lui coupant les liens qui la retiennent prisonnière. Elle tourne la tête et voit Vincent qui lui fait signe de se taire pour que personne ne le remarque. Elle acquiesce de la tête et sent monter en elle une telle joie. Mais c’est sans compter le danger qui les menace.
Une fois libres, ils se prennent dans les bras l’un de l’autre, se serrant avec force.
-Je croyais que je ne te reverrais plus jamais.
-J’ai eu si peur, mon amour, mais je me suis accrochée du mieux que j’ai pu.
-Bravo, je suis fier de toi. Ça va, tes jambes, tu peux marcher ?
-C’est douloureux, mais je vais y arriver. Où est mon père ?
-Il monte la garde dehors, il va falloir faire vite, la voiture est cachée plus loin.
-Laisse tomber ! Elle a été repérée et Charles a envoyé ses gardes.
-Charles ?
-Oui le sale type qui est avec Catherine, mais on en parlera plus tard lorsque nous serons partis d’ici, tu veux bien ? Comment es-tu entré ?
-Par la fenêtre des toilettes, les barreaux ne tenaient pas beaucoup et il a été facile d’en démonter deux pour que je puisse me faufiler.
-Un gros coup de chance.
D’un seul coup, ils entendent la porte d’entrée claquée. C’est Charles et Catherine qui viennent chercher Eva, accompagnés de deux de leurs hommes. Nos deux amoureux sont pris au piège et ne peuvent pas se rendre à l’extérieur, les gardes commencent à envahir la maison. Ils n’ont pas le choix, il va falloir se cacher très rapidement et les alternatives sont limitées. Eva se dissimule dans un cagibi rempli de cartons et de denrées en tout genre, tandis que Vincent se glisse dans un placard à balai en essayant de ne rien faire tomber. La tension est à son comble quand ils entendent le couple diabolique envoyer les gardes chercher la jeune femme partout dans la maison.
-Cette petite traînée a intérêt à se montrer. Mais les liens sont coupés, elle ne l’a pas fait toute seule. Quelqu’un est ici avec elle. Impossible qu’ils puissent repartir, leur voiture a été trouvée et un homme y monte la garde, prêt à les accueillir.
-J’ai une idée, Charles ? Finalement, nous n’avons pas besoin d’Eva en y réfléchissant bien.
-Où veux-tu en venir ?
-Admettons que les documents soient cachés quelque part. Margot étant morte, si Eva meurt aussi, l’héritage me revient, n’est-ce pas ? Et à toi aussi puisque tu es sociétaire et frère du défunt patron.
-Ce n’est pas bête. Mais il reste Jeanne et Anna.
-Mais elle avait une part, mais moins importante que la nôtre. Et puis un accident est si vite arrivé.
-C’est pour ça que j’ai toujours été amoureux de toi. J’aime ce machiavélisme chez toi, c’est tellement enivrant.
-Je sais, je sais. Tu as une bonne assurance ?
-Oui, une des meilleures, pourquoi ?
-Si on faisait brûler la maison. Par accident, cela va de soi.
-La brûler ? Pourquoi pas ? Après tout, tous les objets ici présents sont assurés. Si tout disparait, je toucherai le triple de son prix. Excellente idée, ma chère. J’ai un bidon d’essence dans le garage. Je m’en vais le chercher, attendez-moi ici, je reviens tout de suite.
Catherine sourit de son idée folle et attend patiemment que son amant revienne. Eva se ronge les ongles de peur. Sa grand-mère se trouve juste derrière l’endroit où elle se cache. Elle ne peut pas s’échapper. Vincent, quant à lui, ne peut pas s’enfuir, sinon il y laissera la vie et son avenir avec sa dulcinée. Le temps semble passer lentement et pourtant, trente-cinq minutes se sont écoulées depuis que Charles est allé chercher son carburant. Soudain, des bruits de mécanismes s’enclenchant retentissent dans toute la demeure. Catherine voit avec effarement tous les volets roulants qui se ferment. Elle court vers la porte d’entrée qui est verrouillée. Comment est-ce possible ? Il n’aurait pas fait ça, se dit-elle ? Elle se dirige vers les deux autres ouvertures vers l’extérieur, verrouillées également. Elle s’arrête et se met la main sur la bouche.
-Non ce n’est pas possible, il n’aurait pas fait ça tout de même ?
Chapitre 25
Catherine monte à l’étage dans l’espoir de pouvoir s’échapper. Vincent quitte sa cachette et constate avec effroi la forteresse dans laquelle ils sont prisonniers. Eva sort à son tour et ne peut qu’être désespérée par la situation dans laquelle ils se trouvent. Elle regarde autour d’elle et la terreur l’envahit. Une odeur de brûlé commence déjà à se faire sentir. Tous les deux se rendent à l’évidence : il faut trouver une sortie, et rapidement car le temps leur est compté.
-Bordel, Vincent, qu’est-ce qu’on va faire ?
-J’appelle les pompiers tout de suite.
-OH PUTAIN, REGARDE !!!
La fumée s’engouffre entre les fenêtres et les volets. On peut déjà apercevoir l’ombre de quelques flammes danser dans la pénombre. À l’étage, on entend Catherine faire une crise d’hystérie. Vincent agrippe la main de son amour.
-Eva, il faut retourner par le passage par lequel je suis passé, viens !
Ils se dirigent vers les toilettes, mais le feu les a devancés. Ce salaud de Charles a tout prévu pour que personne n’en réchappe.
-Nous n’avons pas le choix, il faut que nous montions à l’étage. La fumée va se répandre petit à petit et l’air va être irrespirable. Nous mourrons d’asphyxie avant de mourir carbonisés. Il faut arriver à sortir d’ici par n’importe quel moyen tout en espérant que l’autre folle ne nous saute pas dessus.
Ils montent en quatrième vitesse et se retrouvent face à une Catherine explosant de rage tout en jetant divers objets qu’elle trouve pour essayer de briser les volets qui semblent blindés.
-Cet enfoiré m’a bien roulé ! Je lui ai donné ma vie, mon corps, mon âme et maintenant il veut m’assassiner moi aussi ? Quel connard !
-C’est peut-être le moment d’essayer de sauver notre peau plutôt que de tout détruire en pestant, vous ne croyez pas ?
-Toi ! C’est à cause de toi tout ça !
Comme un félin bondissant sur sa proie, Catherine saute à la gorge d’Eva pour l’étrangler. La jeune femme a le réflexe de l’esquiver et la mégère se vautre sur le sol en marbre telle une crêpe ratée. Elle se relève, mais Vincent l’a déjà saisie et la maintient fermement tout en lui faisant une clé de bras.
-Écoutez-moi, Catherine ! Il va falloir mettre votre haine de côté pour le moment, si nous ne voulons pas tous finir carbonisés. Si je vous lâche, vous me promettez de ne pas faire de connerie comme essayer de tuer une fois de plus ma petite amie ?
-Je m’en fous ! On va tous crever de toute façon !
-Je sais que vous me détestez, mais par pitié, écoutez-moi ! Nous allons être rôtis dans cette baraque si nous ne trouvons pas de solution, alors soyez coopérative bon sang !
-Tu n’aurais jamais dû venir au monde ! J’ai essayé d’éventrer ta mère pendant son sommeil ! Qu’est-ce que tu dis de ça, hein ?
Le visage de Catherine est déformé par toute cette rage et cette hargne qu’elle éprouve envers Eva. Elle semble être possédée par un démon, tellement ses yeux reflètent le mal.
-Vous êtes encore plus monstrueuse que ce que je pouvais imaginer.
-Elle s’est réveillée et s’est enfuie. Mais la cicatrice que cela a laissée lui rappelle chaque jour la haine que j’ai toujours éprouvée envers elle.
-Tu sais quoi, Vincent ? Laisse là !
-Tu veux que je la relâche ? Tu es sérieuse ?
-Oui. Mais attention, je vous préviens ! Vous me touchez encore une fois, je vous balance dans les escaliers, c’est clair ?
-Vas-y, essaye un peu pour voir !
Vincent n’est pas du tout rassuré à cette idée, mais le temps presse et Catherine ou pas Catherine, il faut s’échapper coûte que coûte. Il finit par desserrer son étreinte. La folle furieuse ne bouge pas et Eva ne la quitte pas du regard, prête à se défendre en cas d’attaque imminente. Soudain, le son d’une porte qui s’ouvre résonne jusqu’à l’étage : c’est celle de l’entrée en chêne massif. La voix de Charles retentit :
-MON AMOUR, JE SUIS VENU TE CHERCHER !
-Il est là ? Pour de vrai ? Il ne m’a pas trahi alors ? Vous deux, vous restez là ! De toute façon, si vous descendez, il va vous buter et moi aussi, je le jure !
Elle descend les marches à reculons pour toujours avoir un œil sur le couple qui est abasourdi de ce revirement de situation qui est de pire en pire. Puis, elle se retourne à mi-parcours et descend rapidement les escaliers. Ils entendent les talons de Catherine résonner, lorsque tonne l’abominable son d’un fusil qui vient de tirer. Sauf que celui-ci marque la fin de la vie d’une personne. Vincent se penche par-dessus la balustrade et aperçoit, en bas des marches, le corps inanimé pour l’éternité de Catherine Breteuil. Son amant, probablement dévoré par la cupidité et la folie, vient de la tuer. Le jeune homme se recule et chuchote à son amante que leur porte de sortie est celle que Charles a ouverte pour entrer.
La seule question est : que va-t-il faire maintenant ? Va-t-il repartir et refermer derrière lui ? Ou va-t-il les traquer comme un chasseur poursuit la bête effarouchée ? Au stade où ils en sont, tout peut arriver. Les deux jeunes gens n’attendent pas et foncent dans les couloirs de cet immense étage pour trouver une alternative autre que la porte d’entrée. Ils ouvrent les pièces une à une, mais ne trouvent que des chambres dont les volets roulants sont également clos. Une lueur d’espoir apparaît lorsque Eva entre dans une immense salle de bain et que la fenêtre semble accessible. Elle l’ouvre et constate que la vue donne sur le terrain à l’arrière de la maison. Mais son espoir s’écroule dans la seconde, lorsqu’elle voit les flammes s’agrippant au lierre accroché au mur. Elle referme les vitres et commence à penser à la vie qu’elle n’aurait sûrement jamais. Un joli mariage avec son Vincent. Sa vie d’hôtesse de l’air. Peut-être des enfants ? Son père et ses grands-parents qu’elle aime tant. Sa meilleure amie Candice qui fera sa vie avec Mehdi qui sait. Tout cela commence à s’effacer dans son esprit qui renonce à se battre, abandonnant toute perspective d’un bel avenir. Vincent débarque en trombe dans la pièce et secoue sa dulcinée.
-Oh Eva ? Vite, j’ai trouvé quelque chose, viens !
Il l’entraîne au fond du corridor. Il y a un vieux monte-plat comme on peut en trouver dans certaines maisons victoriennes et il a l’air en parfait état de marche. L’idée du jeune homme est d’y faire glisser sa bien-aimée à l’intérieur, pour qu’elle puisse descendre et s’échapper par la seule sortie possible. Vu la structure et l’emplacement, ce petit ascenseur doit arriver dans la cuisine où la jeune femme se trouvait quelques heures auparavant.
-Tu es sûr de ton coup ?
-Ça vaut la peine d’essayer, en tout cas.
-Tu sais si Charles est monté ?
-Je n’ai entendu aucun bruit, mais ce n’est pas rassurant du tout.
-Mais si je descends et que je me retrouve face à lui, il va me descendre directement ? Et toi ? Je ne vais pas te laisser aux mains de ce monstre, hors de question ! Ni te laisser tout court d’ailleurs !
Des bruits de pas retentissent un peu plus loin derrière eux. Vincent n’hésite plus, soulève Eva qui proteste, l’installe rapidement dans le monte-plat et la fait descendre avec la corde sur le côté droit qui permet l’accès au rez-de-chaussée. Il se retourne, sachant qu’il va se retrouver nez à nez avec l’ennemi, mais ce qu’il voit le surprend tout autant.
-Ethan ?
-Vincent tu es sain et sauf. Bordel, j’étais dans un état de détresse indescriptible. Où est Eva ?
-Je viens de la faire descendre et l’autre taré, tu sais où il se trouve ?
-Je n’ai vu personne. Je sais qu’il a ouvert la porte, alors je me suis faufilé en catimini et sans être vu par ses gardes. Mais à part le cadavre de la mère de Margot, personne d’autre. Et s’il était ressorti, il l’aurait sûrement fermée.
-Putain, je suis sûr qu’il est toujours dans la maison. M’est avis qu’il nous pourchasse.
-En effet !
Charles se trouve dans l’embrasure de la porte, vise et tire sur Vincent. Mais Ethan, dans un réflexe surhumain, se jette devant le jeune homme, prend la balle à sa place et s’écroule inanimé sur le carrelage glacé.
-ETHAN ! NON !
-À ton tour, sale petit con !
Vincent se baisse à la vitesse d’un éclair, fonce sur le vieil homme. Il lui rentre dedans et lui fait perdre l’équilibre. Tactique copiée à Ethan. Mais Charles ne se laisse pas intimider aussi facilement et se relève assez rapidement. L’adrénaline jouant un rôle crucial. Il réarme son fusil et repart après Vincent qui essaie désespérément d’atteindre les escaliers, mais les tirs fusent autour de lui et cela le ralentit dans sa course. Il décide de tenter le tout pour le tout et adresse la parole au traqueur.
-Dites-moi Charles ? À votre âge, pourquoi vouloir autant de pouvoir et d’argent ? Vous n’avez personne qui va en profiter après vous.
-Tu ne sais pas de quoi tu parles ! C’est tout ce dont j’ai toujours rêvé étant gamin : la reconnaissance. Mais mes parents ne juraient que par Edouard. Édouard par-ci, Édouard par là. Ils n’avaient d’yeux que pour lui. Ça me rendait dingue. Alors, je me suis arrangé pour obtenir tout ce que je voulais par son intermédiaire. Et ça a marché. Même les magouilles, les vols et les meurtres, c’était toujours lui qui prenait à ma place. Heureusement, nos avocats communs étaient aussi corrompus que nous. Mon frère faisait un bel enfoiré tout de même, il ne faut pas croire que c’était un saint homme, mais des deux, j’étais le pire et surtout celui que l’on n’aurait jamais soupçonné. Je me suis tapé sa femme la veille de leur mariage. Cette gourde est tombée amoureuse de moi et j’avais de l’attirance. Et puis elle possédait un corps et un cul sublimes auxquels je ne pouvais pas résister. J’ai pu la manipuler comme j’en avais envie pendant des années. Ensuite, l’idée m’est venue qu’il était temps qu’elle prenne congé de ce monde. Sa vieille carcasse va finir dans les flammes. Je vais même économisé sur la crémation avec tout ça !
-Vous êtes complètement fou !
-Peut-être, va savoir. Mais en attendant, je dois m’assurer de t’éliminer ainsi que l’autre petite pute ? Dis-moi, où tu l’as mise ? Tu en as bien profité j’espère ?
Cette fois, la coupe est pleine. Vincent attrape une petite statue se trouvant sur une commode, et au moment où Charles s’avance en direction de sa cachette, il la brise, avec une force inouïe, sur le crâne du vieil homme, qui tombe à la renverse en perdant connaissance. Son arme tombe et glisse sur le sol, le jeune homme la récupère rapidement et cours vers les escaliers. Il veut s’assurer qu’Eva s’est échappée et s’est mise en sécurité. Mais en regardant par-dessus la rampe, le feu a atteint l’intérieur de la maison et dévore les rideaux. Il crie le nom de sa bien-aimée et n’entend pas de réponse. Il faut qu’il fasse confiance à son instinct en se disant qu’elle est à l’extérieur, à l’abri. Il repart en direction du couloir où se trouve le corps de son ami. Il se baisse et vérifie son pouls. Il est vivant, faible, mais en vie. La balle a laissé un trou net qui ne saigne pas beaucoup. Le problème est que l’hémorragie doit être interne, profonde et a dû faire pas mal de dégâts.
-Tiens bon mon pote, je vais te sortir de là.
-Va…t’en…
-Non, je ne t’abandonnerai pas !
-Sauve…ta…peau…
-Tais-toi ! Économise ton énergie.
Ethan ne dit plus rien, en étant bien conscient qu’il est inutile d’insister car il n’en a plus la force.
Vincent le soulève à la manière des pompiers et parcourt le couloir. Il va tenter de passer par le rez-de-chaussée. La fumée s’intensifie et une toux désagréable le prend. Il faut faire vite. Il arrive au niveau du palier quand brusquement une main l’attrape par la cheville et le fait chuter, entrainant le corps du père d’Eva qui chute de ses épaules et dévale les escaliers comme une poupée de chiffon. L’horreur et la fureur envahissent l’esprit du jeune homme qui se demande quand est-ce que ce cauchemar prendra fin. Il envoie un coup de pied dans la tête de Charles qui résiste telle une tique sur le dos d’un chien. Il finit par arriver à détacher les doigts de l’homme et croise son regard vide d’émotion qui est à vous glacer le sang. Il se relève et dévale les marches pour récupérer Ethan, dont les chances de s’en sortir diminuent fortement.
Le vieil homme se redresse une fois de plus. Malgré les coups qu’il vient de recevoir, il se rue en titubant sur Vincent qui, au dernier moment, saute sur le côté, lui faisant perdre l’équilibre dans sa lancée. Il bascule par-dessus la rampe, faisant une chute de quelques mètres en poussant un cri de stupéfaction. Vincent n’a pas le temps de s’apitoyer sur le sort de ce monstrueux personnage et se précipite dans les escaliers pour tenter de sauver son meilleur ami. Il écoute son cœur en priant pour qu’il soit toujours vivant après tout ça. Quoi qu’il arrive, il jure de le sortir de là, comme il l’a fait pour lui lorsqu’il était gamin. Avec difficulté, il arrive tout de même à le reprendre sur ses épaules. Il regarde les flammes qui traversent l’immense hall et aperçoit la porte ouverte : sa planche de salut. Mais la probabilité qu’il parvienne à traverser ce brasier sans gravement se blesser, ou pire encore, est très mince. Il ferme les yeux une seconde, se concentre un maximum, fige une pensée positive dans sa tête, un but à atteindre : celui de la liberté. Il les rouvre et s’élance dans les flammes qui dansent autour de lui telles des danseuses étoile en plein Lac des cygnes. Dans ce faible espoir de survie, une image lui apparaît. Une vision magnifique d’un ange ? Tout semble ralentir et il sent deux mains fraîches, semblables à la rosée du matin, se poser sur son visage. Il entend une voix qui l’apaise. Serait-il mort sans s’en rendre compte ? Le paradis ouvre-t-il ses portes pour lui ?
-Je suis là maintenant, ça va aller. Les pompiers viennent d’arriver.
Eva ? Est-elle décédée aussi ? Non, ce n’est pas possible ! Il avait tout fait pour qu’elle survive à cet enfer. Cependant, partager l’éternité du jardin d’Éden avec elle semble une perspective bien agréable. Même s’il aurait préféré qu’elle puisse vivre encore très longtemps.
-Vincent ? Vincent ?
Le jeune homme sort de sa transe et reprend ses esprits.
-C’est toi ? Tu es vivante ?
-Mais oui, bien sûr, que je suis vivante. Je suis venu t’aider, les secours sont là et on va s’en sortir, je te le promets.
Elle regarde le visage de son père avec un mélange de compassion, tristesse et rage. Il a le regard clos, du sang partout, mais le temps presse, il faut y aller.
Il reste une quinzaine de mètres entre la sortie et eux, lorsque l’embrasure de la porte d’entrée menace de s’effondrer. Vincent donne tout ce qu’il lui reste d’énergie pour sortir Ethan de là avec Eva. La jeune femme se poste derrière son bien-aimé pour l’aider à soulever son père et pour lui alléger un peu les épaules. Des braises leur tombent dessus et les brûle, mais peu importe la douleur, il faut garder espoir. Plus que cinq mètres et une armoire s’écroule sous la chaleur, dispersant des débris incandescents. La jeune en reçoit sur ses jambes et étouffe un cri pour ne pas alarmer son homme. L’air commence à être plus respirable : enfin la sortie.
Les soldats du feu se jettent sur eux et les prennent en charge immédiatement, en priorisant Ethan dont la vie ne tient qu’à un fil. La police a arrêté les gardes, même si certains se sont volatilisés dans la nature. Eva et Vincent contemplent le brasier qui consume le manoir. Finalement, ce n’est pas seulement une maison qui disparaît, c’est un morceau de l’histoire tragique d’une famille, corrompue par le pouvoir, consumée par l’orgueil et la jalousie.
Dans un univers parallèle au nôtre, Eva se dit que Clémence peut désormais reposer en paix. La vérité sur les drames ayant frappé la lignée Breteuil a été révélée. La jeune femme a accompli la mission qui lui avait été confiée par sa grand-tante. Le médecin des pompiers arrive vers elle et lui donne des nouvelles de son père qui ne sont pas bonnes. Ils sont obligés de partir très rapidement, sa vie étant sur le point de l’abandonner, il faut l’opérer en urgence. La réalité est toujours cruelle, mais malheureusement, il faut l’accepter telle qu’elle est. La jeune femme monte dans une ambulance se rendant au même hôpital. Il faut s’occuper de ses plaies sur les cuisses. Vincent l’accompagne. Sans s’en rendre compte, il a de vives brûlures sur les bras et le visage qu’il faut soigner également. Les véhicules médicaux partent et nos deux amoureux regardent par la vitre, le bâtiment dévoré par les flammes, emportant avec lui, son lot de malheurs et de secrets. Les pompiers ont beaucoup de difficultés pour éteindre l’incendie. Une pensée traverse l’esprit de la jeune femme : peut-être faut-il que cette demeure disparaisse à tout jamais. Car elle porte en elle le mal qui s’est tapi dans l’ombre d’un frère aîné et qui a causé probablement plus de destruction qu’on ne l’imagine, sans que qui que ce soit ne s’en méfie une seule seconde. Maintenant qu’elle y repense, sa mère devait avoir tout découvert et c’est pour cette raison qu’elle a caché les documents dans un endroit où personne ne serait allé les chercher : chez son ancien compagnon. Elle sourit pour elle-même et se laisse aller à pleurer de bon cœur pour relâcher la pression. Assise sur le brancard, elle pose sa tête sur l’épaule de Vincent qui se serre contre elle. Une chose est sûre et certaine, toute cette folie est désormais derrière eux. Reste à savoir ce qu’il adviendra d’Ethan.
-Vincent ? Tu crois qu’il va s’en sortir ?
-Il est coriace, crois-moi !
-J’espère que tu dis vrai. Parce que si je devais perdre mon père, ce serait un drame de trop.
Vincent se met également à pleurer. Ethan. Cet homme qui est plus qu’un ami pour lui. S’il meurt, pour lui aussi, ce sera une tragédie insurmontable.
-Où est le corps de ma mère ?
-Le corps ?
-Oui, elle s’est prise une balle dans le dos et s’est écroulée sur moi.
-Je sais, mais elle n’est pas morte. Ton père et moi avons appelé les secours et ils l’ont prise en charge très rapidement. Ce minuscule bout de métal n’a touché aucun organe vital par chance. Elle sera vite sur pied.
-Il y a de l’espoir alors ?
-Oui mon amour, il y a de l’espoir.
Chapitre 26
Un mois s’est écoulé depuis l’incendie. Une enquête a été ouverte au sujet du passé de Charles Breteuil. Ses agissements troublants ont été mis à nu. Certains des gardes ont avoué des meurtres dont l’oncle d’Eva est responsable. La jeune femme a fait une déposition à la gendarmerie et celle-ci s’est occupée d’organiser des fouilles sur l’immense terrain adossé au manoir. Ils ont trouvé plusieurs corps d’hommes déclarés disparus depuis des années, ainsi que trois femmes. Un des gendarmes a même pensé qu’ils étaient dans la propriété du diable. Vu les faits, il est probable que cet homme incarnait le mal sous ses traits du pauvre Tonton que l’on plaignait et qui subissait les traits sombres de sa famille. L’insoupçonnable était en fait un individu abject et perfide, qui a juste profité de la position de son frère pour commettre des actes abominables sans état d’âme. Quant à Catherine Du Verger épouse Breteuil, un journal intime se trouvait parmi ses affaires, lors de la perquisition de son domicile, où elle racontait toute l’histoire de sa liaison avec son beau-frère. Inutile de détailler plus, elle détestait sa fille au plus haut point, mais a préféré la tourmenter par pure perversité et machiavélisme, mais surtout lui faire payer une mort, celle de son jumeau. L’enveloppe que Margot avait mise à l’abri chez Ethan et Eva au mois d’avril était bien celle contenant les documents précieux, laissant à celle-ci la totalité de l’héritage. Contrairement à ce que tout le monde pensait, Edouard voulait que ce soit sa fille qui reprenne les rênes des entreprises, car elle seule en connaissait toutes les ficelles. Seulement, Catherine et Charles ne l’entendaient pas de cette oreille et voulaient mettre la main sur tout le patrimoine des entreprises Breteuil. Bien entendu, en faisant disparaître les héritiers, tout leur revenait. Margot a tout découvert juste après le décès de son père, et connaissant sa mère, il fallait qu’elle mette tout en sécurité, pensant qu’elle n’était pas au courant.C’était sans compter sur Charles, bien entendu, qui avait des yeux et des oreilles partout. Des complices prêts à faire n’importe quoi pour lui, contre quelques menus services en compensation.
Nous sommes à la fin du mois d’août. Eva, Vincent et les grands-parents de la jeune femme discutent sur la terrasse, tandis qu’Ethan et Margot profitent de la piscine et, tels des enfants, s’amusent comme des petits fous. Ethan se remet assez rapidement de ses blessures. Par miracle, la balle que lui a tirée Charles n’a pas percé d’artère, mais lui a perforé un poumon. Il a eu des côtes cassées et quelques petits os fracturés, mais rien de catastrophique, sachant tout ce qu’il a subi. Sans compter les nombreuses ecchymoses qui ont recouvert une grande partie de son corps. Mais il en faut plus à Ethan Calendal pour se laisser abattre. Il est récemment sorti de l’hôpital et profite du soleil. Eva observe ses parents et en particulier sa mère. Cette femme qu’elle ne connaissait pas et qu’elle regarde avec beaucoup d’amour et de compassion. Depuis sa rencontre avec elle, jamais un sourire éclatant n’était apparu sur son visage émacié. Mais avec le retour d’Ethan dans sa vie, la transformation est stupéfiante.
-Tu surveilles tes parents, ma chérie ?
-Pas du tout, mamie, mais je les trouve tellement beaux et complices.
-Tu as raison. Il me semble les revoir à l’époque de leurs quatorze ans.
-Je suis heureuse qu’ils se soient retrouvés.
-Beaucoup de gens n’auraient pas pardonné ce que tu as pardonné.
-Je n’ai pas pardonné. J’ai simplement essayé de comprendre ce qui avait bien pu pousser maman à nous laisser de cette façon.
-Et je suis heureuse que tu sois allé chercher la vérité. Même si ça a failli te couter la vie au passage.
-Cette partie-là n’est pas la plus agréable, j’en conviens.
Ethan sort de l’eau et se dirige vers sa fille. Margot sort à son tour et s’installe sur un transat pour prendre un bon bain de soleil. Elle porte un maillot deux pièces et, grâce à la bienveillance de son ancien compagnon, désormais elle n’a plus honte de cacher ses cicatrices.
-Alors, tu as bien réfléchi ? C’est sûr et certain, tu abandonnes l’idée d’être hôtesse de l’air ?
-Oui papa, j’ai pris ma décision. Je vais rentrer à la fac et poursuivre un cursus de psychologie. J’ai décidé d’aider les gens à surmonter les épreuves que la vie peut leur infliger.
-Tant que cela te rend heureuse, ça me rend heureux aussi. Et toi, Vincent ?
-En parallèle de mon travail à l’agence de voyage, je vais suivre une formation de psychanalyste. Et si tout va bien, dans cinq ans, nous pourrons ouvrir un cabinet. Eva et moi avons pris la décision de nous installer dans la maison dont elle a hérité de sa grand-tante.
-Je ne vous cache pas à tous les deux que cela me fait bizarre de savoir que mon meilleur ami et ma fille vont désormais vivre ensemble.
-Tu sais mon pote, pour tout te dire, je n’ai pas l’impression que tu sois mon meilleur ami.
Ethan sursaute à cette phrase et se demande bien ce que Vincent va lui lâcher comme information.
-Tu me considères comme quoi alors ?
Le jeune homme se lève et fait signe à Ethan d’en faire autant. Les deux hommes se regardent d’un air interrogateur.
-Tu n’es pas mon ami. Tu as toujours été comme un père pour moi et je voulais vraiment que tu le saches.
Les yeux d’Ethan s’humidifient. Il attrape Vincent dans ses bras pour lui faire une accolade magistrale.
-Tu as toujours été un fils à mes yeux, mais je n’ai jamais mis les mots dessus. Et en y pensant, puisque tu sors avec ma fille, tu deviens officiellement mon beau-fils.
-C’est vrai ça, je n’y avais pas pensé. Mais c’est un concept qui me plaît beaucoup.
Ce moment magnifique partagé en famille est immortalisé par des photos qu’Eva prend, pour que cet instant reste figé pour toujours.
-Tu sais Vincent, nous sommes quittes.
-Pourquoi ?
-Je t’ai sauvé la vie il y a dix ans, et toi, tu m’as sauvé la mienne il y a un mois et demi. La dette est payée.
-Idiot !
Les deux hommes rient de leur bêtise, laissant leurs proches assister à ce spectacle amusant de complicité. Eva profite de l’euphorie ambiante et se rapproche discrètement de sa mère.
-Maman ?
-Oui ?
-Voilà, je voulais savoir ce que tu comptes faire de ta vie désormais.
-Je suis suivie par la psychologue pour pouvoir faire le deuil de cette vie misérable. J’ai mis en vente les entreprises de mon père et il y a déjà trois acquéreurs qui sont sur le coup. La maison de mes parents également, ainsi que les voitures de luxe et autres. Je ne veux rien de mes bourreaux. Pour ma part, je fais table rase de ce passé encombrant et douloureux. Par contre, ton père m’a fait une suggestion quant au fait de reprendre ce que j’aime le plus au monde : la peinture. J’y réfléchis sérieusement. J’ai juste peur de ne pas y arriver.
-Je suis confiante. Et je pense que toutes les personnes présentes ici croient en toi. Et puis nous sommes une famille, nous serons là pour t’aider.
-Je ne sais pas quoi dire. J’ai tellement été privé d’amour depuis si longtemps que je suis réticente à laisser mes émotions prendre le dessus et surtout, à faire confiance aux gens. Mais ça va aller, j’y travaille.
-Nous t’aiderons et te soutiendrons du mieux que nous pourrons.
-Merci ma fille, je t’en suis reconnaissante.
Stéphanie se lève à son tour et annonce solennellement qu’il est temps de passer à table, car les estomacs commencent à gargouiller.
L’ambiance est très joyeuse et conviviale. Pendant le repas, Ethan reçoit un coup de téléphone qui dure plus longtemps qu’il ne devrait et qui le laisse sans voix. Son père, Philippe, l’interroge une fois que son fils raccroche.
-Que se passe-t-il, Ethan ?
-On vient de m’appeler pour me faire une offre d’emploi. Je leur ai dit que j’étais en convalescence suite à un accident, mais l’homme qui m’a appelé, monsieur Brady, m’a dit que ça n’avait aucune importance. Que ça me laissait le temps de réfléchir à sa proposition.
-Quelle proposition ?
-On vient de m’offrir un poste à Montréal.
-A Montréal ? Waouh, c’est surprenant ! Mais pourquoi là-bas ?
-Un des fournisseurs de matériaux où j’avais mon chantier m’a vu à l’œuvre et s’est intéressé de très près à mon travail. Il me propose un poste dans une de ses entreprises en tant qu’architecte en chef. Je peux commencer quand j’en aurai envie. Il a plusieurs immeubles en projet et souhaiterait que ce soit moi qui exécute la totalité de ses chantiers. Il va m’envoyer un e-mail avec toutes les modalités.
-Mais c’est formidable, papa. C’est une chance extraordinaire.
Mais Ethan n’est pas de cet avis et fait comprendre à tout le monde qu’il ne faut pas insister sur le sujet.
La journée passe. Philippe et Stéphanie rentrent chez eux tandis que Margot, Ethan, Vincent et Eva se retrouvent au salon autour d’un thé. La tension est palpable et cela n’échappe pas à la jeune femme qui remarque bien que son père est anxieux. Elle donne un léger coup de coude à son cher et tendre qui comprend aisément ce qu’il se passe. Il lui fait un léger signe de tête en guise d’approbation silencieuse et demande soudain à Margot de venir l’aider en cuisine. Elle acquiesce et s’en va rejoindre le petit ami de sa fille, laissant Eva et son père seuls. La jeune femme regarde son père avec beaucoup d’amour, mais ressent également de l’agacement.
-Papa, il faut que je te parle.
-Je sais ce que tu vas me dire. Ma décision est prise : je n’irais pas au Québec.
-Pourquoi ?
-Parce que !
-Ce n’est pas une réponse. De quoi tu as peur ?
-Ce n’est pas la question, je ne veux pas point barre !
-C’est à cause de moi, c’est ça ?
-Non…oui enfin je…
-C’est bien ce que je pensais, c’est bien à cause de moi. Alors vas-y, crache le morceau !
-Eva, tu te rends compte que j’ai failli te perdre ?
-Oui et alors ?
-Mais bordel non ! Je ne veux plus m’éloigner de toi, c’est fini !
-Écoute-moi bien attentivement ! J’ai quel âge ?
-Dix-huit ans.
-Ok, et je vais emménager avec mon chéri dans ma nouvelle maison. Nous allons refaire la décoration, remettre au goût du jour certains meubles, racheter la literie et bien plus encore. Pour être claire, je vais vivre ma vie, papa. Avec un homme que j’aime énormément et qui me le rend au centuple. Et tu sais quoi ? C’est grâce à toi.
-C’est grâce à moi ?
-Oui. C’est toi qui m’as ramené Vincent à la maison, toi qui l’as sauvé des griffes d’un monstre, toi encore qui l’a guidé pour devenir l’homme incroyable qu’il est. Je t’en remercie pour ça. Même s’il est comme un fils pour toi, et accessoirement beau-fils désormais, c’est un homme fabuleux et j’ai vraiment envie de faire ma vie avec lui. Je sais, je suis jeune, bla bla bla. Mais je m’en moque, c’est lui et pas un autre. Je l’aime tout simplement.
-Et j’en suis très heureux, même si au départ, ça était compliqué pour moi, je l’avoue.
-Je le sais. Mais tout cela pour te dire qu’il n’est pas temps que tu penses un peu à toi en tant qu’homme et pas en tant que père ?
-Je n’en sais rien. Et puis j’ai envie de te voir devenir une psychologue puisque c’est ce que tu as décidé.
-Ne t’inquiète pas pour cela. Maintenant, j’ai une autre question pour toi. Et maman dans tout ça ?
-Quoi maman ?
-Que va-t-il se passer entre vous ?
-…
-Aller ça va, j’ai parfaitement compris que vous aviez couché ensemble le soir où tu es rentré. Je ne suis pas née de la dernière pluie.
-Tu nous as grillé, je l’avoue.
-Tu l’aimes encore ?
-Je l’ignore. J’ai du mal à faire le tri dans ma tête.
-Je ne te parle pas de ta tête, je te parle de ton cœur. Tu as bien dû ressentir quelque chose, non ?
-Mais bien sûr, que j’ai ressenti quelque chose. C’est la femme qui m’a fait le plus beau cadeau au monde : toi. Et de me retrouver face à elle, nue dans ma douche en plus, ça a été un choc à la fois terrible et magnifique en même temps. Je sais qu’elle a des cicatrices, je sais qu’elle a maigri, vieilli, moi aussi au passage, mais lorsque je la regarde, je vois toujours la jolie adolescente qu’elle était. Et tout le reste n’existe plus parce que je ne vois qu’elle.
-Oui, en clair, tu as encore des sentiments pour elle.
Ethan s’arrête de parler, jette un œil vers la cuisine, aperçoit Margot placer une pile d’assiettes, soupire et doit s’avouer vaincu par sa propre fille.
-Oui, je l’aime encore. Et je te dirais même mieux : j’en suis retombé amoureux lorsque nous nous sommes retrouvés tous les deux dans la cuisine après que vous êtes allé vous coucher.
-Dis-lui !
-Elle a dit qu’elle ne voulait pas d’histoire d’amour entre nous.
-C’est normal, c’est la première fois qu’elle est libre. Elle peut faire ce qu’elle veut, mais il faut qu’elle soit aidée. Elle est suivie par un spécialiste et a décidé de ne pas prendre d’anxiolytiques pour dormir. D’ailleurs, elle m’a avoué l’autre jour qu’elle commençait à trouver plus facilement le sommeil depuis qu’elle est ici avec nous. C’est formidable, tu ne trouves pas ?
-Oh que oui.
-Pars au Québec et emmène-la avec toi !
-Pardon ?
-Je crois sincèrement que maman t’aime toujours. Et puis quoi de plus beau que d’enfin vivre ensemble sans inconvénients ni personne ?
-Je vais y réfléchir, mais je ne te promets rien.
Quelques jours passent et il reste une semaine avant la rentrée universitaire d’Eva. Le dimanche, Ethan organise un barbecue en invitant ses parents, la meilleure amie de sa fille, Candice, l’ami de Vincent, Mehdi, son collaborateur Christophe et bien entendu les autres membres présents partageant son quotidien : Eva, Vincent et Margot. Les saucisses et autres steaks grillent, les salades vont bon train et l’ambiance festive est à son apogée. Tout le monde partage ce moment avec bonheur quand soudain Ethan fait tinter une cuillère sur un verre. Les regards se tournent, les conversations s’arrêtent pour observer l’homme à l’origine de ce tintamarre.
-Je suis tellement content que vous soyez tous là. Maintenant que j’ai votre attention, je voudrais vous faire partager quelque chose qui me tient à cœur. Je souhaitais d’abord dire à ma famille à quel point je les aime et que je suis fier de voir ma fille et mon meilleur ami ensemble.
Ethan lève son verre en l’honneur de ce couple. Eva rougit, mais est très heureuse de voir son père aussi joyeux.
-Cependant, vous savez tous, ici présents, les événements qui nous ont frappés durant cet été, qui a été laborieux, je dois le reconnaître. Mais retenons le principal : nous en sommes ressortis plus forts, plus combatifs et plus aimants. Je suis chanceux de pouvoir vous annoncer, officiellement, mon départ pour le Québec.
Des expressions de joie se font entendre. Eva se dirige vers son père pour le prendre dans ses bras et lui dire à quel point elle est fière de lui et de la décision qu’il a prise.
-Merci ma chérie, mais tu sais, je n’ai pas fini mon discours.
-Oh pardon, excuse-moi.
-Merci. Je dois ajouter que la femme ici présente s’appelle Margot et qu’elle est la mère de ma fille adorée.
Ethan tend la main vers Margot qui, tout en rougissant, la prend et se rapproche de lui. Il la regarde avec des étoiles dans les yeux. La conversation avec sa fille des jours auparavant aurait-elle porté ses fruits ?
-Margot et moi avons été séparés bien trop longtemps. Il est temps pour nous de vivre enfin la vie dont nous rêvions. Je vous annonce donc que je pars au Québec, mais pas tout seul.
Il se penche vers la mère de sa fille et l’embrasse tendrement devant tout le monde. On peut lire la satisfaction sur leurs deux visages triomphants. Eva écarquille les yeux de stupeur et de joie à la fois, quant à Vincent, il arbore un sourire radieux pour son meilleur ami et père de substitution. L’assemblée applaudit en guise de félicitations. Le bonheur irradie dans toute la maison et chacun va voir Ethan et Margot pour les complimenter. Eva reprend son père dans les bras, mais la larme à l’oeil cette fois-ci.
-Je ne sais même plus que dire, tellement je suis heureuse pour vous deux. C’est un nouveau départ incroyable.
-Je sais et c’est grâce à toi et à ta ténacité. Alors merci, ma fille.
-Maman, je te souhaite le meilleur pour cette toute nouvelle vie qui commence.
-Ton père a raison, ta persévérance et ton obstination ont été la clé de tout ça. Merci, ma chérie, merci.
Les jours passent. Eva est entrée à l’université et Vincent a commencé à travailler à l’agence de voyage et poursuit, en parallèle, ses études de psychanalyse. Ethan et Margot sont prêts à partir et nos quatre amis se trouvent ensemble dans le hall de l’aéroport.
-Voilà, un nouveau chapitre de votre vie à deux se dessine.
-Tu as raison, ma chérie, et j’en suis toute chamboulée. Vous viendrez nous voir avec Vincent, n’est-ce pas ?
-Il y a intérêt. Et puis on se revoit dans deux mois pour les fêtes de Noël.
-Oui ça va vite passer.
-J’espère qu’il y aura de la neige.
-Oui, mais on va investir dans une motoneige, je crois. Le Québec n’est pas connu pour ses hivers doux.
-Je pense que c’est une bonne idée, en effet.
Ethan s’avance vers sa fille et la prend dans ses bras.
-Ma chérie, je pars, mais je suis serein parce qu’il y a Vincent avec toi. C’est un garçon merveilleux.
-Je le sais parfaitement. Je l’ai, je le garde.
-Je suis aussi rassuré. Vous avez un toit sur la tête et les dépenses liées aux frais de la maison sont assurées. Tu peux poursuivre tes études sans te soucier de quoi que ce soit.
-C’est un avantage, je le reconnais, mais j’ai trouvé un petit boulot tout de même, parce que mon père m’a donné des valeurs et je compte bien les mettre en pratique et surtout les transmettre lorsque j’aurai des enfants.
-C’est merveilleux. Ma grande fille qui est devenue une femme.
-Merci papa. Je te souhaite un excellent nouveau départ avec maman.
-Je ne te cache pas que ça me fait drôle d’être en compagnie de celle que j’ai aimée il y a des années de cela et que j’aime encore plus maintenant. Je ne lui ai pas dit, ce sera une surprise pour elle, mais il s’avère que mon futur collaborateur est un amateur d’art et qu’il a un ami professeur dans cette matière, et qui a un poste à pourvoir dans sa classe en tant qu’élève et en tant que professeur pour des cours du soir. Ta mère a déjà sa place pour quelque chose qu’elle aime par-dessus tout. Ça a toujours été son rêve, et je veux contribuer à ce qu’elle puisse le réaliser.
-Mes lèvres ne révéleront jamais le secret.
-Je te fais confiance. Aller c’est l’heure du départ. Au revoir ma jolie Eva. Je t’aime.
-Je t’aime aussi papa.
-Mon Vincent, mon ami, mon presque fils, prends soin de toi et de ma fille. Vous êtes tellement mignons tous les deux.
-C’est bien la première fois que je t’entends le dire. Merci pour tout.
-Non, c’est moi qui te remercie.
Ethan, Eva et Vincent s’attrapent et se serrent les uns contre les autres. Margot reste en retrait, mais le jeune homme ne l’entend pas de cette oreille et saisit la mère de sa petite amie pour qu’elle les rejoigne. Ils se séparent après de vives émotions et les parents d’Eva, se tenant main dans la main, se dirigent sur le chemin d’une nouvelle vie vers le comptoir d’embarquement.
Vincent et Eva restent seuls à les regarder partir, les larmes coulant toutes seules sur leurs joues.
-Et voilà, ils sont partis. Ils vont me manquer. Mais je suis très contente pour eux. Et puis, avant de partir, ma mère m’a avoué quelque chose que mon père ignore pour l’instant. Ce qui est très drôle et paradoxal, c’est que mon père m’a confié quelque chose que ma mère ignore également.
-Qu’est-ce que ta mère t’a dit ?
-Tu vas rire. Elle est enceinte et l’a découvert il y a quatre jours.
-Non, ce n’est pas possible ? Incroyable. Il va être surpris.
-Je pense que oui, sauf que cette fois-ci, ils vont pouvoir en profiter sans risque. Et moi, je réalise que je vais être une grande sœur à bientôt dix-neuf ans.
-Tu pourras mieux gérer et on pourra le ou la prendre pendant les vacances.
-C’est ça. Et si on rentrait ? J’ai plein de choses à faire. À commencer par ceci.
Eva attrape son Vincent avec fougue au milieu du hall de l’aéroport et l’embrasse avec intensité. L’année qui s’est écoulée a vu une chrysalide devenir papillon. La jeune femme s’est découverte une force dont elle ignorait l’existence et c’est cette même force qui lui donne, désormais, l’impulsion pour avancer dans sa vie. Sa cohabitation avec Vincent a commencé avec une lycéenne désespérée, mais a fait naître une femme dont la détermination et la volonté sont devenues ses maîtres-mots. On ne peut qu’imaginer son avenir tourné vers un altruisme accru et un amour infini et partagé pour celui qu’un jour son père a sauvé.
FIN
La suite la suite 😍
Ethan va annoncer à sa fille qu’il a rencontré quelqu’un et qu’ils vont devoir déménager 🤪
Je prends note de ton commentaire. Merci
Trop bien vivement la suite.
Super J’ai lu quasi d’un coup toute l’histoire . C’est fluide pleins de rebondissements .
Merci beaucoup. Ravie que l’histoire vous ai plu. 😉